Fil d'Ariane
Une fois de plus, le spectre d'une crise politique semble planer sur Madagascar, en cette année cruciale, avec les élections présidentielle et législatives prévues du 25 novembre au 25 décembre. En cause : l'adoption début avril de trois nouvelles lois électorales qui régissent la présidentielle, les législatives mais aussi le régime général des élections et des référendums.
Des textes législatifs qui ont donné lieu à de nombreuses consultations, notamment de la société civile. Objectif: favoriser le consensus et renforcer la légitimité du processus électoral et donc de ses résultats futurs. Un moyen de sortir du cercle vicieux qui enferme la vie politique malgache depuis près de trois décennies : des élections contestées et des crises à répétition.
Mais cette opportunité a été gachée. Selon le SEFAFI, l'Observatoire de la vie publique à Madagascar, une association indépendante qui veille au respect de la démocratie et de l'Etat de droit, "la faute en incombe pour l'essentiel au gouvernement qui n'a pas voulu entendre les recommandations et revendications émanant de partout, notamment de la société civile".
Reste que l'adoption de ces textes controversés par le Parlement malgache va cristalliser la contestation à un point de non-retour. Le vote des députés qui s'est déroulé le mardi 3 avril a donné lieu à un bras de fer entre partisans et opposants. En fait, pas de place accordée au débat, mais une séance marquée par la confusion et l'intervention des forces de l'ordre.
Issus en majorité des partis des deux anciens présidents Marc Ravalomanana et Andry Rajoelina, les députés de l'opposition manifestent bruyamment : ils accusent le pouvoir d'avoir versé lors d'une réunion durant le week-end pascal une somme de 50 millions d'ariary -plus de 12 000 euros- aux députés pro-régime pour qu'ils votent les lois sans broncher. Les députés d'opposition s'appuient notamment sur des soupçons rapportés par certains médias de la capitale. Ils décident alors de quitter la salle. Une tactique qui ne va pas jouer en leur faveur. Le résultat tombe 4 heures plus tard : les 3 lois électorales sont adoptées par 79 voix sur 151 députés.
Présent lors de la séance, le Premier ministre Olivier Mahafaly Solonandrasana parle de "victoire de la démocratie". Mais l'opposition crie immédiatement au scandale de flagrant délit de fraude : s'appuyant sur des images du vote, elle estime qu'il n'y a pas eu de majorité et que le décompte des votes à main levée a donc été faussé. Adoption jugée illégale et anticonstitutionnelle, corruption présumée de députés : c'est sur cette base qu'un groupe de députés dépose plainte le 5 avril auprès de la Haute Cour Constitutionnelle (HCC) et du Bureau indépendant de lutte anti-corruption, le Bianco.
Un groupe de généraux à la retraite sème un peu plus le trouble en lançant lors d'une conférence de presse tenue le 11 avril un appel "à leurs cadets", officiers généraux, sous-officiers et soldats à ne pas se taire face aux irrégularités et aux injustices. Un appel ambigu, dénoncé par le ministre de la Défense Beni Xavier Rasolofonirina. Cet épisode ne va pas empêcher les sénateurs de voter à leur tour les 3 lois électorales dans une quasi unanimité.
Dans l'attente, la pression monte dangereusement, à plusieurs mois des échéances électorales. La Haute Cour Constitutionnelle doit se prononcer sur la constitutionnalité des lois dans les meilleurs délais.
Au-delà des critiques sur la forme, beaucoup de griefs reposent sur le fond des trois lois électorales. Il est question en particulier des procédures de révision des listes électorales jugées trop lourdes en cas d'omission ; du retour aux bulletins séparés plutôt qu'au bulletin unique ce qui impose des coûts logistiques conséquents ou encore du délai de campagne pour le second tour réduit de 30 à 7 jours. Quant à l'obligation pour les médias privés de garantir un accès gratuit et équitable pour tous les candidats sous peine d'amendes et de suspension d'antenne, cela est interprété comme une mesure visant à défavoriser les candidats-propriétaires de ces médias face aux candidats du pouvoir qui jouissent d'une médiatisation plus avantageuse sur la télévision et la radio nationales.
En dernier lieu, le critère d'inégibilité en cas de condamnation menace directement l'ancien président Marc Ravalomanana. A l'instar de son successeur Andry Rajoelina, il brigue la magistrature suprême. Par un retournement de situation, ces deux poids lourds sont devenus des alliés de circonstance redoutables, face au président Hery Rajaonarimampianina qui n'a, lui, pas officiellement déclaré ses intentions.