Fil d'Ariane
Ils marchent depuis de longues heures, voyagent depuis de nombreux jours : des centaines de milliers de Malgaches ont bravé la poussière rouge des chemins pour venir des quatre coins de leur immense île afin d'aller à la rencontre du pape François.
Dès les abords de Antananarivo, la capitale - six millions d'habitants - de longues files de pèlerins et des dizaines de mini-bus bondés convergent vers le site de Soamandrakizay.
Spécialement aménagés pour l'occasion, les 70 hectares du domaine peuvent accueillir jusqu'à un million de personnes lors de la messe géante de ce dimanche 8 septembre 2019. Le point d'orgue de la visite du souverain pontife dans la Grande Île, la plus vaste du continent africain.
« Nous attendons de lui la paix, tout simplement !, affirme avec ferveur Isabelle, jeune catholique de la capitale malgache, à la fois enthousiaste et intimidée à l'idée d'apercevoir le pape François, de se mêler à la foule. La ville et et le pays ont besoin de paix parce que l'insécurité et la pauvreté sont très grandes. Par son message, sa parole, il peut permettre à toute la population de se concentrer sur un objectif : sa venue est un moment unique ! »
Aux côtés d'Isabelle, planté dans la cour du centre d'aide aux enfants de rue qu'il dirige dans un quartier défavorisé de Antananarivo, le Père Ephrem acquiesce. Calme, souriant et bienveillant, ce travailleur social confirme que dans tous les esprits, la venue du pape est liée aux problèmes socio-économiques et politiques que traverse Madagascar.
Le devoir du politique est de servir le peuple et en particulier les plus vulnérables.
Le pape François, lors de son allocution à Madagascar le 6 septembre 2019
« Ici, l'Église catholique et les institutions comme la nôtre pallient les carences de l'État. Dans le centre de jour, et au sein de l'accueil de nuit, nous accueillons des mineurs qui n'ont nulle part où aller. Les enfants des rues sont un très grave problème dans notre ville. Selon les recensements, ils seraient entre 3 et 23 000. »
Errance juvénile et habitat informel en ville, insécurité alimentaire et épisodes récurrents de disette dans le milieu rural, en particulier dans le Sud du pays : selon les chercheurs Mireille Razafindrakoto, François Roubaud et Jean-Michel Wachsberger, Madagascar est « le seul pays n’ayant subi aucun conflit majeur à s’être appauvri depuis son indépendance, en 1960. » Son indice de développement humain est l'un des plus faibles du monde. Ce serait bien pour cette raison que celui qui est surnommé depuis sa désignation à Rome « le pape des pauvres » effectue une visite de quatre jours dans le pays.
« Le devoir du politique est de servir le peuple et en particulier les plus vulnérables : il faut lutter contre toutes les formes de corruption, d'exclusion et contre la pauvreté extrême parce que tout le monde a le droit de construire son futur dans notre maison commune, a ainsi exhorté le pape François dans une allocution aux autorités, et à la société civile, ce vendredi 6 septembre 2019.
Dans la même adresse au peuple malgache, celui qui est aussi le chef de l'État du Vatican a insisté sur la nécessité de lutter contre la déforestation qui ravage le pays et de préserver la biodiversité. Il conclu son propos en rappelant avec force « la disponibilité et la volonté de l'église catholique d'être au service de toutes les communautés et de toutes les religions afin de restaurer l'unité et la fraternité ».
La mission sociale et éducative de l'Église catholique à Madagascar constitue l'une des clés de compréhension de son importance dans ce pays africain. Sa cohabitation harmonieuse avec les autres confessions, ainsi qu'avec la tradition animiste ancestrale, en est une autre.
« Dimanche dernier, il y a eu un retournement des morts dans ma famille, à Fianarantsoa : tous les pratiquants sont des catholiques très fervents, dont une partie ira voir le pape à la fin de cette semaine ! », témoigne Ursula, Malgache originaire de la région centrale de l'île, de l'ethnie Betsileo.
« Le retournement des morts » fait référence à un moment fort du culte des ancêtres tel qu'il est pratiqué sur la Grande Île et qui consiste concrètement en une procession avec les dépouilles des défunts, tous les cinq ans. Une pratique largement acceptée par les chrétiens à Madagascar, catholiques et protestants.
« Retourner les morts, nettoyer les ossements, faire des « servis kabaré », rendre un culte aux ancêtres : beaucoup le font parce que c'est la tradition malgache et il y a un mélange avec le catholicisme, réel et délicat », confirme Thierry Malbert, anthropologue spécialiste des cultures des îles de l'océan Indien, maître de conférences à l'Université de La Réunion. « Le culte des ancêtres est beaucoup plus ancien que le catholicisme, ou le protestantisme à Madagascar, et il ne faut pas perdre de vue que le christianisme est arrivé en même temps que l'empire colonial. Pour l'instant, le culte des ancêtres reste majoritaire. »
Mon mari est catholique, je suis protestante, mes enfants aussi, mais nous irons ensemble à la grande messe de dimanche !
Ny Antsa, directrice d'une école protestante du quartier d'Androhibe à Antananarivo
Un culte encore majoritaire mais qui doit faire face depuis quelques années - comme dans nombre de pays du continent – à l'essor des évangélistes et d'églises informelles. Le Père Ephrem déplore ce "prosélytisme" à tout crin : « Pour nous, les œuvres sociales ne sont pas un lieu de prosélytisme, nous éduquons et nous aidons les jeunes à partir de nos valeurs. J'ai d'ailleurs écrit aux évêques de Madagascar afin que le pape envoie un message clair aux travailleurs sociaux afin qu'ils ne soient plus désorientés et retrouvent le sens de leur action. J'espère qu'il s'exprimera sur le sujet lorsqu'il rencontrera le Conseil oecuménique, qui regroupe tous les chrétiens de notre île. »
Afin de permettre à des pèlerins de tout Madagascar de venir à la rencontre du pape François, les églises protestantes ont ouvert leurs portes et fourni gracieusement des possibilités d'hébergements. « Mon mari est catholique, je suis protestante, mes enfants aussi, mais nous irons ensemble à la grande messe de dimanche ! », se réjouit Ny Antsa, directrice d'une école protestante du quartier d'Androhibe à Antananarivo.
La visite papale et l'effervescence qu'elle génère font vibrer la société malgache et ont créé l'espoir d'une nouvelle ère. Munis de leurs chapeaux traditionnels, chargés des paquets de leur long voyage, les centaines de milliers de pèlerins réunis à Soamandrakizay y voient une promesse. Celle d'un soutien de l'Église dans le combat contre la pauvreté ?
Madagascar abrite une population d'environ 25 millions de personnes . La moitié fréquente les églises chrétiennes - protestantes et catholiques. Légèrement minoritaire à Antananarivo, la capitale, mais majoritaire en milieu rural, l'Église catholique rassemble 25% des Malgaches, soit un peu plus de 6 millions de pratiquants.
Marquée par une diversité ethnique composée de 18 grands groupes, la population malgache pourrait atteindre, selon les projections démographiques de l'ONU, 60 millions de personnes en 2050.
Son étendue est de 587 000 kilomètres carré soit deux fois la superficie du Royaume-Uni.