Madagascar : "Didier Ratsiraka était le patron des politiciens malgaches"

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Didier Ratsiraka en 2002
Le président malgache Didier Ratsiraka dans son palais présidentiel, le 28 février 2002 à Antananarivo. (AP)
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Madagascar consacre une journée de deuil national, ce lundi, à l'ancien président malgache, l'amiral Didier Ratsiraka, décédé le 28 mars à Antananarivo à l'âge de 84 ans. Lors de funérailles nationales, son inhumation est prévue au Mausolée de la capitale malgache. Le député Roland Ratsiraka, son neveu, défend l'héritage de celui qui a été président de Madagascar pendant 23 ans, un long règne controversé. ENTRETIEN.

TV5MONDE : Vous êtes député de Madagascar, ancien maire de Toamasina, ancien ministre et neveu de Didier Ratsiraka, comment avez vous appris la mort de l’ancien président de Madagascar Didier Ratsiraka, votre oncle?

Roland Ratsiraka, député malgache : J’étais avec lui pendant plusieurs jours, il était à l’hôpital militaire d'Antananarivo pour contrôle, il n’avait pas de problème majeur, rien d’alarmant. Il était en forme. Sa fille m’a téléphoné dimanche matin. Elle m’a dit « Papa a fait un malaise, il est parti ».

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Madagascar : qui était Didier Ratsiraka, l'ancien chef d'État décédé le 28 mars ?

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TV5MONDE : Quelles étaient vos relations avec lui, notamment depuis son retour à Madagascar ?

Roland Ratsiraka : Mon oncle et moi avions des rapports familiaux et aussi des liens politiques. On discutait par exemple sur le Covid, on était tous les deux pour la vaccination à la différence du gouvernement, on avait aussi des petites divergences, par exemple sur le confinement. Mais sur le fond on était en phase, sur les principes, le respect de la Constitution. Par exemple, je critique le pouvoir actuel mais je suis contre le renversement du gouvernement. Nous étions en phase sur les valeurs, les priorités.

C’est lui le patron des politiciens malgaches et personne n’ose le contredire. Il avait une mémoire énorme, une grande culture, il était exceptionnel. On a perdu un grand homme qui n’a jamais trahi sa Nation et une grande mémoire de Madagascar.

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TV5MONDE : Comment vous a-t-il inspiré dans votre parcours, depuis votre enfance ? Sans lui vous n’auriez peut-être pas fait de politique ?

Roland Ratsiraka : Bien sûr, il a porté haut le nom de la famille. Il y avait des élections où je n’avais pas à faire campagne et je gagnais (en 1998, Roland Ratsiraka est élu député de la 1ère circonscription de Toamasina, ndlr).

En 1972, Didier Ratsiraka est nommé ministre des Affaires étrangères (dans le gouvernement de transition du général Ramanantsoa après la révolution de mai 1972, ndlr) et lui a dit « vous me nommez, mais à certaines conditions, que nous soyons non-alignés, par rapport au Maroc et au Front Polisario, par rapport à l’Indonésie ». Les autres n’étaient pas au courant des problèmes qu’il évoquait. 

Ce n’est pas un homme à qui on donne des ordres. C’était un des premiers à défendre la lutte contre l’apartheid, à autoriser l’ANC d’émettre à Madagascar, c’était un homme de conviction, extrêmement intelligent.

Il m’a nommé directeur de campagne pour la province de Toamasina pour la présidentielle en 1996 et ensuite je me suis lancé en politique. Il n’appréciait pas trop que la famille fasse de la politique, mais il était fier de mon petit parcours.

TV5MONDE : Pourquoi a-t-il autant marqué la vie politique malgache ?

Roland Ratsiraka : Déjà parce qu’il était au pouvoir pendant 21 ans (officiellement  président pendant 23 ans, de 1975 à 1993 pendant le régime socialiste de la IIe République, puis de 1997 à 2002, deux périodes ponctuées par une grave crise d'alternance politique, ndlr) et aussi pour ses convictions, pour ses discours. Les Malgaches ont été marqués par son intelligence, c’est lui qui a changé le pays, il a fait construire les barrages hydroélectriques, un lycée dans chaque district, des universités en province, il a permis l’octroi de bourses d’études. Il y avait la sécurité à son époque, les gens n’oublient pas, le riz coûtait l’équivalent de 400 ariary le kilo.

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TV5MONDE : Pourtant, après 17 années au pouvoir, il est contraint d'accepter un pouvoir de transition issu d'un vaste mouvement démocratique en 1991. N’a-t-il pas échoué dans la lutte contre la pauvreté et pour le développement de Madagascar ?

Roland Ratsiraka : En 1989, Madagascar avait un fort taux de croissance (taux de croissance du PIB de + 4,075 %, source Banque Mondiale, ndlr ) et en 1991 il est parti parce qu’il y avait un problème de démocratie. Mais en 1997, il est réélu président, donc les gens sont revenus vers lui. Le développement c’est quoi ? La population est pauvre parce que les indices d’éducation, de santé sont très bas. Lui avait augmenté tout ça. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Lui avait apporté la lumière pour tous, aujourd’hui il y a des délestages.

TV5MONDE : Vous n’êtes pas membre de l’Arema (en 1976, Avant-garde pour la Révolution malgache, devenu Avant-garde pour la Rénovation de Madagascar), le parti fondé par votre oncle, vous vous êtes plutôt éloigné politiquement de lui, pourquoi ?

Roland Ratsiraka : Je ne me suis pas éloigné de lui. C’est une question d’organisation. J’ai soutenu l’Arema, et eux aussi m’ont soutenu. L’Arema et mon parti le MTS (Malagasy Tonga Saina s’appelle initialement Toamasina Tonga Saina, fondé en 1998 pour les législatives, ndlr) ont les mêmes militants, c’est un peu spécial. Aujourd’hui nous sommes un peu affaiblis.

TV5MONDE : Didier Ratsiraka avait une stature d’homme d’Etat, mais son long parcours est controversé et il est parti en 2002 en exil laissant un pays déchiré, que faut-il retenir de lui selon vous ?

Roland Ratsiraka : C’est un grand homme d’Etat, mais tout est la faute de Tana (Antananarivo, la capitale). C’est Tana qui l’a mis dehors en 2002. Tana fait le pouvoir, mais ce n’est pas Madagascar. Ensuite, Ravalomanana aussi a été enlevé par Tana en 2009. En 2002, il y a avait un deuxième tour à faire, mais Ravalomanana s’est autoproclamé. A l’époque, j’étais maire de Toamasina, et j’ai conseillé à mon oncle d’arrêter car il y avait des combats. Alors, on a organisé son départ pour préserver la paix, pour arrêter que le sang coule.

TV5MONDE : Même après avoir quitté le pouvoir, Didier Ratsiraka était toujours consulté : quelle influence avait-il, jusqu’à aujourd’hui’?

Roland Ratsiraka : Les dirigeants qui lui ont succédé sont perdus. Ils le consultaient. C’est le cas de Hery Rajaonarimampianina (2014-2018) et aussi de Andry Rajoelina, par exemple sur le coronavirus ou sur les îles Eparses.

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TV5MONDE : Ratsiraka a-t-il un ou des héritiers en politique ?

Roland Ratsiraka : Didier Ratsiraka a dit une fois, mes héritiers sont là : en parlant de Tantely Andrianarivo (son dernier premier ministre de 1998 à 2002), Pierrot Rajaonarivelo (vice-premier ministre et ex-secrétaire national de l'Arema) et de moi-même. Mais je ne sais pas. Le ratsirakisme, ç’est une gouvernance qui essaie de respecter l’Etat de droit et la démocratie, et il a des héritiers. J’en fais partie car j’ai déjà terminé 3e à la présidentielle de 2006 (derrière Marc Ravalomanana et Jean Lahiniriko, ndlr). Je suis le premier côtier en vue (par distinction avec les personnes issues des Hautes Terres centrales de l'île, ndlr).