Fil d'Ariane
Le climat de tensions ne cesse de s’alourdir à Madagascar à l’approche de la présidentielle du 16 novembre. La grande majorité des candidats boycotte la campagne et les manifestations de l’opposition interdites sont réprimées. Si la date du premier tour a été repoussée, à la suite de la blessure d’un candidat lors d’une manifestation, ce report d’une dizaine de jours ne change rien au fond. Un large front politique et populaire s’oppose à l'organisation d’un scrutin jugée non démocratique.
Des manifestants sont bloqués par les forces de l'ordre qui leur interdisent l'accès au centre de la capitale pour se rassembler à l'appel du collectif de onze candidats à la présidentielle, Antananarivo le 11 novembre 2023.
« Il n’y a aucune raison pour que les élections ne se tiennent pas le 16 novembre », a déclaré à une semaine du scrutin Lalatiana Rakotondrazafy, la porte-parole d’Andry Rajoelina. Celle qui fut ministre de la Communication et de la Culture et porte-parole du gouvernement malgache qualifie même d’«idée farfelue » une telle demande formulée par un collectif de 11 candidats sur 13 dont deux anciens présidents de la République, soutenue par un vaste front politique et populaire, relayée par plus de 50 organisations de la société civile malgache. « La crise est là, rampante. Si les élections sont organisées au forceps, elle va perdurer bien après », prévient Solofo Randrianja, professeur d’histoire à l’université de Toamasina, auteur de « Madagascar, le coup d’État de mars 2009 » (Karthala). Et d’ajouter : « quoi qu’il arrive la légitimité d’Andry Rajoelina en prend un grand coup ».
Contre toute attente, l'ancien ministre de l’Éducation du président Hery Rajaonarimampianinana (2013-2018) et ex-candidat à la dernière présidentielle, Paul Rabary a lui fait le choix de rallier Andry Rajoelina. « On veut de la stabilité, c'est ce qui manque au pays », déclare pour sa part cet enseignant de sociologie politique à l'Université qui s'était jusque-là toujours montré critique d'Andry Rajoelina. Il fustige la stratégie du collectif de candidats qui, selon lui, se liguent contre le président sortant pour obtenir une transition.
Des observateurs électoraux internationaux notamment de la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC) sont présents sur la Grande Île. Mais plusieurs pays et organisations, dont les États-Unis et l'Union européenne, suivent « avec la plus grande vigilance » la préparation du scrutin et dénoncent un usage excessif de la force contre l'opposition alors que les manifestations à caractère politique sont interdites dans un lieu public depuis avril 2023. Symbole historique de la contestation du pouvoir à Madagascar, la place du 13 mai 1972 au coeur de la capitale Antananarivo reste inaccessible aux manifestants malgré de nombreuses tentatives à l'appel du collectif des 11 candidats.
Après des mois d'efforts infructueux de dialogue par le biais du Conseil œcuménique des églises chrétiennes (FFKM), la présidente de l’Assemblée nationale (PAN) Christine Razanamahasoa a récemment lancé une initiative de médiation conjointe. Ensemble, cette plateforme PAN/FFKM demande solennellement à la Commission électorale nationale indépendante (CENI) « la suspension de l’élection présidentielle ». En représailles, le parti d’Andry Rajoelina dont elle est membre l’a immédiatement exclu de ses rangs. Pour sa part, le gouvernement malgache « condamne avec la plus grande vigueur la tentative de coup d’État institutionnel orchestrée par la présidente de l’Assemblée nationale ». Si l’initiative de Christine Razanamahasoa est perçue comme une trahison par les partisans d’Andry Rajoelina, « la présidente de l’Assemblée nationale est la seule institution qui n’est pas entachée de non conformité à la Constitution, et qui par ailleurs n’est pas nommée mais élue », observe la politologue Christiane Rafidinarivo, chercheuse invitée au Cevipof Sciences Po. Les partisans d’un report de la présidentielle dénoncent, eux, la manipulation de toutes les autres institutions au bénéfice du président sortant.
Candidat à un second mandat élu, Andry Rajoelina qui a dû démissionné 60 jours avant le scrutin pour se présenter, peut compter sur l’exécutif et les institutions chargées des élections pour maintenir le calendrier. En premier lieu, il y a le gouvernement malgache avec à sa tête le Premier ministre Christian Ntsay, inamovible à son poste depuis juin 2018. C’est lui qui avait tenu les rênes du pays lors de la dernière élection présidentielle remportée par Andry Rajoelina à l’issue d’un second tour contesté par son rival Marc Ravalomanana.
Cinq ans après, il a reçu avec son gouvernement la présidence par intérim par décision de la Haute Cour Constitutionnelle, à la place du président du Sénat Herimanana Razafimahefa. Ce dernier avait décliné « pour raisons personnelles » avant de se rétracter en dénonçant des menaces. Mais il est finalement destitué et remplacé à la tête de la chambre basse par le général Richard Ravalomanana tout juste nommé sénateur puis élu à la présidence du Sénat. Saisissant à son tour la HCC, ce dernier obtient l'accord de cette institution pour se voir transférer la présidence par intérim le 27 octobre.
La CENI n'est pas exempte de critiques ouvertes, dont certaines s'appuient sur une analyse de la refonte des listes électorales. La plateforme de médiation demande un audit du fichier électoral. Officiellement, plus de 11 millions d'électeurs sont inscrits après la dernière refonte mais loin des 13,5 millions visés représentant environ la moitié de la population totale. De plus, la CENI a reconnu que deux millions de personnes inscrites lors de la Révision annuelle de la liste électorale ne figurent pas sur les listes des électeurs. Le nombre d’électeurs a même baissé de 220 000 dans la région Analamanga, celle de la capitale, la plus importante en poids électoral.
Autre instance cruciale, qui établit la liste des candidats officiels et proclame le vainqueur de l’élection, la HCC est accusée de partialité à l’égard du président sortant. Les critiques mettent en exergue les conflits d’intérêts de la majorité de ses membres qui eux-mêmes ou leurs proches ont occupé ou occupent des fonctions gouvernementales et au sein des cabinets ministériels. Le politicien pro-Rajoelina Paul Rabary dénonce un « procès d'intention » et souligne que la nomination de certains membres de la HCC fait partie des prérogatives du président.
Le 11 septembre, un collectif de candidats déclarent ne plus faire confiance à la HCC pour avoir « opéré un coup d’État institutionnel » en transmettant le pouvoir du président démissionnaire au Premier ministre avec son gouvernement afin de « manipuler les résultats » au profit de Andry Rajoelina.
Ces soupçons envers la HCC sont renforcés par une autre décision : la non disqualification de la candidature de Andry Rajoelina demandée par plusieurs partis et candidats pour avoir été naturalisé français en 2014, après 5 années de pouvoir acquis grâce à un putsch militaire. S’appuyant sur le Code de la nationalité malgache, ils estiment que cette naturalisation acquise volontairement lui fait perdre sa nationalité malgache. Une naturalisation qu’Andry Rajoelina n’avait jamais évoqué publiquement et qu’il justifie dans une interview récente par sa volonté de faciliter les études de ses enfants à l’étranger. « Sur le plan légal, la question reste ouverte. La HCC dit tout simplement qu’il ne lui appartient pas de vérifier le certificat de nationalité malgache déposé » par Andry Rajeolina, remarque la politologue Christiane Rafidinarivo. Dans ce contexte, « l’opposition et le collectif des candidats revendiquent une remise à plat du processus électoral, de prendre le temps de corriger ce qui n’est pas légal et constitutionnel et dans le cadre d’un accord politique, revoir en concertation le dispositif et l’agenda ».
L’aveu tardif d’Andry Rajoelina concernant sa nationalité française est un argument qui pourrait jouer contre lui sur le plan électoral. « C'est un faux débat », affirme Paul Rabary. « Beaucoup de Malgaches, y compris des membres du gouvernement des régimes précédents ont une double nationalité et il n'est jamais question de déchéance de nationalité malgache pour autant. Peut-être que la loi n'est pas appliquée, peut-être qu'elle doit être modifiée, mais cette question ne s'est jamais posée », assure ce soutien d'Andry Rajoelina.
« Ce n’est pas un détail, car il semble anormal que le chef suprême des armées ait une autre nationalité », souligne Solofo Randrianja. L'information a été révélée dans les médias en juin et a suscité une polémique quant aux implications qu'elle engendre.
« Reste que cela n’a pas été l’élément déclencheur car les candidats d’opposition dénoncent un système et non pas juste un personnage qui manipule ce système » assure cet historien, directeur de recherches à l'Institut d'Études Politiques (IEP) de Madagascar. « Il s‘agit d’un système de prédation tenu par un groupe de gens qui ont mené le pays à la catastrophe et ruiné notamment plusieurs milliers de paysans porteurs de vanille » dont Madagascar fournit 80% des exportations mondiales.
Interrogé sur son bilan par des médias étrangers, le président Rajoelina se targue d'un taux de croissance de 4,4% en 2022 contre 3,6% pour l'Afrique subsaharienne. Mais cela n'améliore pas le niveau de vie de la population dont 81% vit sous le seuil de pauvreté en 2022 dans un pays classé parmi les moins avancés au monde avec un PIB par habitant les plus faibles de la planète à 536 dollars par an en 2023. L'extrême pauvreté a une incidence sur la politique. « La population malgache essaie de survivre ce qui rend les gens facilement manipulables. Les dirigeants malgaches comptent aussi là-dessus. On peut facilement acheter des votes contre un peu d'argent voire un tee-shirt pendant la campagne électorale », souligne le professeur Solofo Randrianja.
Néanmoins, « malgré le niveau de répression, il est remarquable que la population malgache se mobilise pour les droits, la lutte contre la corruption, estime Christiane Rafidinarivo. Cela faisait longtemps qu’elle semblait s’être résignée à vivre dans un État de non droit ».
Pour cette chercheuse en sciences politiques, les conditions actuelles d'organisation de la présidentielle à Madagascar n'offrent pas de possibilité d'alternance réelle. « C'est tout le contraire qui se passe, à savoir le verrouillage de l'organisation de la non alternance dans une démocratie de façade ».