Madagascar : fierté ou cauchemar, comment sauver la filière vanille de la Grande Île ?

Premier producteur et exportateur mondial de vanille, Madagascar tente de réguler la filière et impose depuis 2020 un prix plancher pour se prémunir d'une chute brutale du cours. Mais le pays se voit contraint de revoir cette politique. Reste que la libéralisation annoncée par le président Rajoelina doit surtout garantir un revenu décent aux paysans planteurs malgaches laissés pour compte.
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vanille mada
Gaelle Borgia / AFPTV / AFP
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A combien faut-il vendre le kilo de vanille ? C’est à cette question et beaucoup d’autres encore que les acteurs de la filière vanille à Madagascar, exportateurs, collecteurs et planteurs, vont plancher lundi 24 avril lors d’une réunion à Antananarivo à l’invitation du président Andry Rajoelina.

Une douzaine de jours plus tôt, le 13 avril, à Sambava, dans la capitale de la vanille à Madagascar située à la pointe nord est de la Grande Île, le président Rajoelina avait annoncé la libéralisation du prix de la vanille, devant une foule rassemblée dans un gymnase réunissant tous les locaux concernés par cette épice, qui fait vivre environ 85 000 familles de paysans malgaches et représente 25% des exportations du pays. Ici, la région Sava est le cœur battant de cet or noir qui irrigue 10 des 23 régions de l’île, la venue d'Andry Rajoelina avait des airs de campagne en cette année électorale. « Vous avez fait appel à votre Président, je suis venu, j’ai écouté », déclare-t-il dans un tweet.

Des perspectives et solutions pour le développement de la filière vanille sont ébauchées sur une plaquette qui accompagne son tweet. Il est question notamment de fluidifier l'obtention d’agrément indispensable pour tout exportateur, de faciliter les contrôles locaux et de libéraliser progressivement la filière et son potentiel.

250 dollars minimum le kilo de vanille noire à l'exportation

Mais cette libéralisation, c’est surtout la fin de la politique appliquée depuis 2020 par les autorités malgaches d’un prix de la vanille sèche, noire et préparée, fixée à 250 dollars minimum le kilo par le Conseil national de la vanille (CNV). Cette organisation créée en 2020 réunit l’Etat et des représentants des exportateurs, des collecteurs et des planteurs. Or, cette politique montre ses limites. Cette année, la filière vanille à Madagascar a du mal à vendre et accumule des centaines de tonnes de stocks pour cette saison finissante. Le niveau actuel des exportations malgaches de vanille s’élèverait autour de 800 tonnes, soit trois fois moins que l'année précédente.
 
En enlevant le prix plancher de 250 dollars, c’est la loi du marché de l’offre et la demande qui primerait. Au cours des deux dernières décennies, les fluctuations du cours sont conséquentes, par exemple avec l'impact des dégâts des cyclones. Aux alentours de quelques dizaines de dollars le prix au kilo de vanille sèche au début des années 2000, il a flambé en 2003 à quelques centaines de dollars avant de rechuter complètement puis remonter avec un pic en 2015 jusqu’à plus de 600 dollars pour rester à un niveau relativement élevé. Depuis trois ans, l’enjeu du prix plancher fixé à 250 dollars est de taille à Madagascar qui est à l’origine de 80% des exportations mondiales de vanille dont la consommation annuelle s’élève à 3000 tonnes. Selon les autorités malgaches, Madagascar a exporté 2400 tonnes en 2022. Les rentrées de devises générées oscillent entre 500 et 800 millions de dollars, soit 6 à 7% du PIB.

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La grande problématique consiste en l'existence d'un marché parallèle

Georges Geeraerts, président du Groupement des exportateurs de vanille de Madagascar

Mais les importateurs en Europe et aux Etats-Unis semblent rechigner à accepter plus longtemps le tarif. Par ailleurs, le marché de la vanilline explose grâce à la molécule de vanille d'origine industrielle. D’autant plus que « les premiers utilisateurs de la vanille naturelle sont les mêmes qui utilisent la vanille de synthèse », souligne Georges Geeraerts, le président du Groupement des exportateurs de vanille de Madagascar (GEVM) et membre du Conseil national de vanille (CNV). En l’absence de chiffres officiels sur la vanille invendue, il estime à 700-800 tonnes les stocks potentiels à Madagascar, soit environ deux fois plus qu'habituellement.

« Pour ma part, la libéralisation n’est pas une bonne nouvelle », assure le président du GEVM qui comprend 47 des 88 exportateurs agréés. S’il semble aussi sceptique, c’est qu’il attend d'en savoir plus. Pour le moment, ni date, ni prix n’ont été évoqués. En d’autres termes, sans détail et dans l’attente de la réunion du 24 avril au Palais présidentiel à laquelle il est convié, la libéralisation relève plus d’un effet d’annonce.

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75 000 ariary minimum le kilo de vanille verte, soit 17 dollars pour les paysans planteurs

« Tout se décide à Tana (Antananarivo) » regrette Clovis Razafimalala, coordinateur de la Coalition Lampogno qui regroupe des associations environnementalistes de la région Analanjirofo, productrice de vanille, située juste au sud de la Sava. Ce militant écologiste chevronné n’est pas un acteur de la vanille, mais il est proche des paysans planteurs malgaches qui travaillent en famille sur de petites parcelles et qui grignotent parfois sur les aires protégées. Il est surtout témoin d’une dégradation des conditions de vie des paysans planteurs. En tant que membre de la société civile malgache, il plaide notamment pour délocaliser les décisions de l’échelon central au niveau régional, par exemple la date officielle de récolte de la vanille verte, qui se fait d’autant plus attendre que le risque de vol s’élève. Un autre aspect négatif selon lui de la centralisation est que l’octroi d’agrément est devenu plus difficile. Il donne l’exemple de paysans planteurs réunis au sein de petites associations qui faisaient du commerce équitable et qui ont perdu leur agrément. Il constate à l'inverse que des entreprises débutantes dans la filière qui ne connaissent ni le traitement, ni le conditionnement, mais obtiennent leur agrément, se trouvent surtout dans la capitale.

Il y a un risque de famine dans les régions productrices de vanille

Clovis Razafimalala, militant écologiste et coordinateur de la Coalition Lampogno

En fait, le prix de la vanille qui intéresse au premier chef les paysans malgaches planteurs, c’est celui de la vanille verte, qui est achetée par les collecteurs. Il est fixé lui aussi à un tarif plancher de 75 000 ariary le kilo par le CNV soit 17 dollars. L’objectif est de garantir un niveau de vie décent pour les planteurs et donc les communautés de base, sachant qu’une famille produit en moyenne 100 kg de vanille verte par an.
Le problème est que ce prix minimum de 75 000 ariary le kilo de vanille verte est peu respecté par les collecteurs. En conséquence cela contraint les planteurs à vendre parfois très en dessous, jusqu'à 20 000 ariary le kilo, pour éviter de tout perdre. Lors d’une Assemblée générale de la société Sahanala, le 19 avril, qui travaille dans la filière vanille avec 60 000 paysans de 13 régions différentes, les témoignages de planteurs étaient éloquents en ce qui concerne leurs attentes. « On a mené une vie stable. Grâce aux revenus de la vanille, on a pu scolariser nos enfants, assurer des frais d’hospitalisation, la vanille c’est notre vie. Et il faut que l’Etat s’occupe de cette situation et fasse appliquer le prix minimum de la vanille verte à 75 000 ariary », déclarait Armel, un paysan de la Sava, cité par le journal Midi Madagasikara

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Plus qu'une libéralisation de la filière, c'est un respect des règles dont les paysans planteurs ont besoin, en premier lieu le prix plancher de vanille verte. Pour les organisations de la société civile malgache qui les soutiennent, l'Etat devrait aussi être dans le contrôle de la qualité tout au long de la période de récolte. De plus, les ristournes perçues sur les ventes de vanilles vertes et traitées devraient faire l'objet de suivi et de transparence afin de contribuer au dévelopement des communes et des régions, voire à la sécurisation. 

Marché parallèle, corruption, blanchiment d'argent ?

Reste que selon Clovis Razafimalala, le système actuel de prix plancher à l'exportation de 250 dollars le kilo de vanille sèche favoriserait la corruption et le blanchiment d'argent en raison de l'obligation de rapatrier la totalité des devises à Madagascar pour tous les exportateurs. Ces derniers peuvent surfacturer sur le papier mais vendre en-dessous du prix plancher. C'est le moyen de faire rentrer des devises de l'étranger d'origine douteuse, issu de trafics de produits miniers comme l'or. 

"La grande problématique consiste en l'existence d'un marché parallèle", déplore pour sa part Georges Geeraerts. Pour contourner le prix plancher à l'exportation à Madagascar, on retrouve de la vanille malgache aux Comores ou Maurice et il y a des rétrocessions. Cela dit, ce président de syndicat d'exportateurs estime que la corruption est un fléau présent dans la filière mais n'est pas généralisée. Néanmoins, il observe que s'il est question de devoir de contrôle à Madagascar, des sanctions ne sont jamais prises contre certains contrevenants.

Assainir la filière vanille à Madagascar reste un vaste chantier ouvert. Le GEVM insiste pour "le rétablisement de la confiance des acteurs de la profession et surtout des acheteurs internationaux". Après le rendez-vous des acteurs de la filière vanille au palais présidentiel, une réunion avec les importateurs est prévue dans un second temps. Il y a un travail à faire avec tous les importateurs, notamment en Europe et aux Etats-Unis, qui ont des programmes de développement et des obligations en matière de responsabilité sociale et environnementale, selon Georges Geeraerts. 

Ce qui est le plus à craindre, c'est que les paysans planteurs soient les laissés pour compte des changements à venir. Les conséquences pourraient être catastrophiques selon Clovis Razafimalala. "Il y a un risque de famine dans les régions productrices de vanille". L'or noir de Madagascar, qui selon les mots du président Rajoelina est une fierté nationale, pourrait alors virer à la malédiction des ressources naturelles.

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