Fil d'Ariane
Réélu le 16 novembre 2023 au premier tour, Andry Rajoelina a été investi ce samedi président de la République de Madagascar à Antananarivo. Retour sur la trajectoire d'un homme d'affaires et politique, qui ne recule devant rien.
Le président sortant Andry Rajoelina lors d'un meeting de campagne à Antananarivo pour la présidentielle à Madagascar, 12 novembre 2023.
Que de chemin parcouru par Andry Rajoelina qui a moins de 50 ans entame son second mandat comme président de la République de Madagascar.
Sa réélection au premier tour proclamée par la Haute Cour Constitutionnelle s’est réalisée au forceps, lors d’un scrutin boycotté par 10 des 13 candidats et dans un climat de répression de toutes manifestations de l’opposition, interdites par les autorités depuis plusieurs mois.
C’est pourtant dans la rue que Andry Rajoelina avait conquis pour la première fois le pouvoir suprême en 2009, dénonçant alors "la dictature” de Marc Ravalomanana, président réélu de l’époque.
Lors de sa première investiture le 21 mars 2009, la communauté internationale avait boycotté la cérémonie à Antananarivo en raison du coup d’État qui lui avait permis de conquérir le pouvoir faisant de lui à 34 ans, l’un des plus jeunes chefs d’État du monde.
Derrière son apparence juvénile, le jeune dirigeant n'a pas de réelle expérience politique. Mais dans les affaires comme en politique, Andry Rajoelina est un fonceur. Cette célérité lui a valu le surnom de TGV, qu'il assume habilement en reprenant le sigle pour son propre parti Tanora mala Gasy Vonona, les Jeunes Malgaches Décidés. C’est avec cette formation créée en 2007 qu’il va remporter la mairie d’Antananarivo face au candidat du président de la République Marc Ravalomanana. Il va faire de la capitale son bastion, considérée comme un tremplin vers la présidence, comme ce fut le cas pour Marc Ravalomanana face à Didier Ratsiraka. Certains détracteurs le surnomment DJ en référence à son passé de disc-jockey et d’organisateur d’événements musicaux et festifs.
Andry TGV est un entrepreneur dans le secteur de la communication, à la tête d’Injet, une société d’impression graphique. Il s’étend au secteur de la publicité et de l'affichage publique qu’il domine. Son succès dans les affaires est reconnu. Il acquiert une radio et une télévision, Viva, deux outils incontournables dans son ascension politique.
Élu triomphalement maire en décembre 2007, Andry Rajoelina veut forcer son destin présidentiel. Dénonçant des dérives autoritaires de Marc Ravalomanana, il prône la désobéissance civile et s’autoproclame en charge sur la Place du 13 mai à Antananarivo en janvier 2009. Le bras de fer avec le chef de l’État est jalonné de violences meurtrières qui vont aboutir à la tuerie du 7 février devant le palais présidentiel. Face à une foule de partisans d’Andry Rajoelina marchant vers l’institution, la garde présidentielle ouvre le feu au cœur de la capitale, 28 personnes sont tuées.
Acculé par les autorités malgaches qui le recherchent, Andry Rajoelina trouve refuge dans la résidence de l’Ambassade de France. Une mutinerie dans un camp militaire va renverser le rapport de force. L’Etat-major malgache est renversé par des putschistes pro-Rajoelina, le président Ravalomanana démissionne au profit d’un directoire militaire qui est contraint de remettre les pouvoirs à Andry Rajoelina.
S’ouvre une période politique trouble à Madagascar mis au ban de la communauté internationale après le coup d’État. Sans convaincre, Andry Rajoelina parle lui d’une “Révolution orange” à l’image du mouvement populaire prodémocratie en Ukraine en 2004. Il prend la tête de la Haute Autorité de la Transition (HAT). Il se donne pour objectif de doter Madagascar d’une nouvelle Constitution qui sera adoptée en 2010. Des accords de Maputo sont signés pour un partage du pouvoir entre 4 mouvances politiques rassemblant les trois anciens présidents malgaches et Andry Rajoelina. Une feuille de route est instaurée mais non appliquée.
Les 4 années de transition sont marquées notamment par l’explosion des trafics, notamment de bois de rose, alors que le pays est privé de financements internationaux. La corruption et l’insécurité croissent durant cette période qui s'achève avec l’organisation d’élections présidentielle et législatives fin décembre 2013. Sous la pression internationale, Andry Rajoelina est privé d’y participer tout comme Marc Ravalomanana et son épouse Lalao. Le duel se joue par procuration : le candidat soutenu par Andry Rajoelina l’emporte au second tour face à celui soutenu par Marc Ravalomanana. La plateforme pro-Rajoelina arrive en tête aux législatives, couplées avec le 2e tour de la présidentielle. Mais le pacte entre le nouveau président Hery Rajaonarimampianina, ex-ministre des Finances de la HAT, et son tuteur Andry Rajoelina est rompu. Ce dernier quitte la Grande Île pour la France, un retrait temporaire dans l’objectif de revenir au pouvoir.
Andry Rajoelina prépare son retour : le 18 décembre 2018, il remporte le duel au second tour face à Marc Ravalomanana dans un scrutin auquel participent 36 candidats. Des accusations de fraudes massives ternissent le vote. La HCC rejette les recours et Ravalomanana reconnait sa défaite.
Andry Rajoelina a fait campagne sur de nombreuses promesses d'actions et réalisations. Mais son gouvernement accouche d’un Plan Émergence Madagascar un an avant la fin de son mandat. La pandémie de Covid bouleverse les plans. Andry Rajoelina se transforme en promoteur zélé d’une tisane à base de plantes produite à Madagascar, le Covid Organics. Le président malgache adopte une stratégie aux accents opportunément panafricanistes, sans fournir de preuves scientifiques sur l'efficacité de sa potion.
Par ailleurs, le chef de l’État malgache joue sur la fibre patriotique sur le contentieux territorial avec la France, ex-puissance coloniale, concernant le dossier des Îles Éparses. Mais loin du règlement promis pour le 60e anniversaire de l’indépendance le 26 juin 2020 et la restitution de ces îlots entourant Madagascar, le dossier piétine à l’image de la Commission mixte franco-malgache instaurée.
Au final, malgré quelques réalisations d’ouvrages et d’infrastructures, le bilan d’Andry Rajoelina n'offre aucune amélioration sensible du sort de la population. Les indicateurs de développement humain se détériorent. En 2021, le pays est classé 173ème à l'Indice de développement humain (indice regroupant trois critères, le PIB par habitant, l’espérance de vie à la naissance, le niveau d'éducation).
Le climat politique devient exécrable dans la perspective de la présidentielle de novembre 2023. La révélation de sa naturalisation française, obtenue en 2014 et qu'il a jusque-là tue, alimente une polémique sur la légalité de sa candidature. Un large front d'opposition politique et de la société civile s'insurge contre les conditions d'organisations de la présidentielle. Mais les recours seront balayés par une HCC acquise à sa cause.
Andry Rajoelina a remporté une victoire logique face à ses rivaux politiques dont la stratégie n'a visiblement pas convaincu les électeurs, ni les partenaires internationaux. Mais le président réélu malgache investi en présence de quelques chefs d'État africains accède à un second mandat décrié, sans état de grâce.