Madagascar : le retour manqué du président déchu

Image
Madagascar : le retour manqué du président déchu
L'ex président Ravalomanana, à son arrivée à Antananarivo, ce 13 octobre 2014
(AFP Photo/Rijasolo)
Partager7 minutes de lecture
Rentré lundi 13 octobre à Madagascar après cinq ans d'exil en Afrique du Sud, l'ancien président du pays Marc Ravalomanana a été arrêté sans heurts dans la journée et placé en résidence surveillée à Diego Suarez (Nord de l'île). Rebondissement ou épilogue d'un feuilleton de douze ans récemment conclu par la victoire de ses adversaires ?

Série

Épilogue pathétique ou rebondissement ? C'est une interminable et médiocre série aux protagonistes usés, dont les péripéties répétitives ne font plus beaucoup rire. Les distraits ou ceux qui ont manqué le début reviendront un peu en arrière pour en saisir les ressorts. Résumé. La saison 1 débute en 2002. Marc Ravalomanana, jeune et fringuant maire de la capitale de Madagascar doublé d'un homme d’affaire avisé (son industrie laitière lui vaut le surnom de « roi du yaourt ») vient à bout, avec le soutien de la rue et de l’armée, du régime personnel et corrompu de Didier Ratsiraka, au pouvoir  (malgré une coupure) depuis la nuit des temps post-coloniaux. Celui-ci prend le chemin de l’exil. Ravalomanana promet aux Malgaches démocratie et prospérité. Quelques élections frauduleuses et dûment soutenues par la communauté internationale plus tard débute la saison 2 : en 2009, Andry Rajoelina, jeune et fringant maire de la capitale de Madagascar doublé d'un homme d’affaire avisé (disc jockey, publicitaire et propriétaire d’une chaîne de télévision) vient à bout, avec le soutien de la rue et de l’armée – mais non sans tueries -, du régime personnel et corrompu de Marc Ravalomanana, au pouvoir depuis sept ans. Celui-ci prend le chemin de l’exil. Rajoelina promet aux Malgaches démocratie et prospérité.

Cinq ans de confusion

Madagascar : le retour manqué du président déchu
Prise de pouvoir de Rajoelina en 2009 (AFP)
Contrairement à son prédécesseur, Rajoelina souffre cependant d’un handicap  : nul électeur ne l’a jamais mandaté pour devenir président de la République. Pire : son jeune âge (trente-cinq ans) l’exclut légalement de cette charge. Qu'à cela ne tienne. Une "Haute autorité de la transition" est créée dont il se déclare président (mars 2009). Le parlement élu est suspendu. Une cour constitutionnelle peu regardante valide le putsch. A l’inverse de Ravalomanana, pourtant, Rajoelina  - malgré une certaine compréhension française - peine à le vendre à la communauté internationale qui, dans son ensemble, tarde à valider la prise du pouvoir un peu aventureuse et suspend la majeure partie de son aide à la grande île. Isolé, il doit négocier sous l’œil de celle-ci avec les « trois mouvances » représentant, en gros, les factions qui l’ont précédé au pouvoir : celle d’Albert Zafy, éphémère président élu des années 90, celle de Didier Ratsiraka, en exil à Paris mais toujours actif à travers ses partisans et celle de Marc Ravalomanana, réfugié en Afrique australe. Cette saison 2 va s'éterniser près de cinq ans, durant lesquels le pays plonge dans l'abîme économique. Les innombrables épisodes de son poussif scénario sont émaillés de dizaines de trahisons, claquements de portes, faux ou vrais retours. Il se conclut, il y a un an par de nouvelles élections (présidentielle et législatives), qui ouvrent la saison 3.

Issue

Madagascar : le retour manqué du président déchu
Hery Rajaonarimampianina, élu à la présidence en décembre. © AFP.
Au terme des accords imposés par la communauté internationale, les chefs de files historiques ennemis (voir saisons 1 et 2) ne peuvent se présenter à la présidentielle. Eux-mêmes issus de la vieille classe politique, les candidats agréés – promettant chacun aux Malgaches démocratie et prospérité - les représentent jusqu'à un certain point. Jean-Louis Robinson est ouvertement soutenu par Ravalomanana en exil, dont il semble préfigurer le retour, Hery Rajaonarimamapianina plus discrètement mais plus efficacement par Rajoelina et les siens, au pouvoir effectif dans cette « transition ». Sans surprise, c'est le second – justement apprécié de la France et des bailleurs de fonds - qui l'emporte en décembre 2013. Mauvaise pioche pour Ravalomanana dont le séjour en exil semble d'autant plus devoir se prolonger qu'il est officiellement condamné dans son pays aux travaux forcés à perpétuité pour un massacre commis sous son autorité quelques jours avant sa chute (29 tués à la mitrailleuse devant son palais). Après avoir dénoncé les « fraudes massives » à l'origine de sa défaite, son camp finit pourtant par reconnaître la victoire d'Hery Rajaonarimamapianina qui paraît de son côté vouloir atténuer les tensions du passé : « C'est la réalité et on l'accepte », concède en février Lalao Ravalomanana, épouse et porte-parole officieuse sur place du prédécesseur déchu. La « communauté internationale », elle, applaudit ce qu'elle espère voir devenir la normalisation. Chancelleries, organisations internationales et bailleurs de fonds se pressent au chevet du pays exsangue mais potentiellement convalescent. A défaut d'happy end un peu prématuré, chacun croit se dessiner l'achèvement du feuilleton. C'est compter sans l'obstination du personnage récurrent, toujours proscrit mais nullement résigné en réalité à sa retraite. Confirmant son retour à tout prix, il se dit en juillet prêt à comparaître devant une cour de justice. C'est pourtant après une entrée clandestine sur le territoire (« je suis venu tout seul ») qu'il apparaît hier en public à Madagascar, et peu ambigu sur ses intentions : « J'étais président en exercice quand j'ai quitté le pays, maintenant que je suis de retour, le peuple malgache sait ce qu'il a à faire », a-t-il lancé en appelant ses partisans à empêcher son arrestation. Une quarantaine de gendarmes ont mis fin cette fois à ses illusions. « Mis en sécurité », affirme sans rire le nouveau président. Commentaire de l'épouse, Lalao : « on prie pour lui ».

Encombrant

15.10.2014par Tsiresena MANJAKAHERY (AFP)
Madagascar, après une longue et difficile transition, flirtait de nouveau avec la crise politique mercredi après le retour d'exil de l'ancien chef d'Etat Marc Ravalomanana que les autorités ont provisoirement mis au secret dans le Nord après ses déclarations belliqueuses. Quarante-huit heures après la réapparition surprise de M. Ravalomanana, qui s'est vanté d'avoir encore "beaucoup de pouvoir", les analystes joints par l'AFP s'accordaient à dire que la partie s'annonçait difficile pour le président Hery Rajaonarimampianina, malgré le soutien reçu de la communauté internationale. "La situation actuelle profite à l'ancien président Ravalomanana", a jugé Serge Zafimahova, politologue et membre de l'association Club Développement et Ethique. Selon lui, le gouvernement n'a "que deux options": continuer de l'enfermer et risquer une crise propice à M. Ravalomanana, ou "admettre qu'il faut passer par la phase de réconciliation nationale". La deuxième option est "la seule qui permette de sortir de cette situation. Sinon, Madagascar va s'engouffrer à nouveau dans une situation de crise", a-t-il dit. "Soit il le renvoie à l'extérieur, soit il le garde, et donc, il faut composer avec lui et le prendre comme acteur politique à part entière", a renchéri Toavina Ralambomahay, auteur du livre "Madagascar dans une crise interminable". "Personne ne peut prévoir ce qui va se passer, la paix ou des troubles", a-t-il ajouté. Dans l'immédiat, le gouvernement a annoncé que M. Ravalomanana, 61 ans se trouvait "dans un endroit digne de son rang", "en bonne santé" et avec "un médecin (qui) l'accompagne", sans dire publiquement où. Le lieu où M. Ravalomanana est confiné, la résidence de l'Amirauté, villa de type colonial à Diego Suarez (Antsiranana, nord), a été rapidement connu après une rencontre entre le Premier ministre Roger Kolo et l'épouse de M. Ravolamanana. Cette dernière a été autorisée à aller lui rendre visite, mais le vol privé a été reporté à jeudi. L'ancien président y a été transféré mardi en hélicoptère, selon la presse locale. - 'Provocation inadmissible' - Personne ne sait comment il a pu gagner Madagascar et arriver jusqu'à son domicile d'Antananarivo, sans être intercepté ou reconnu. Le gouvernement a affirmé avoir été prise de court. Son discours et son point-presse ont mis le feu aux poudres, qualifié deux jours après par l'Union africaine (UA) de "provocation inadmissible" et également condamné par la France. "Son action unilatérale et ses propos compromettent les acquis démocratiques obtenus à la suite d'un long et difficile processus de sortie de crise appuyé par la communauté internationale", a également déclaré l'ambassadeur de l'Union européenne Antonio-Sanchez Benedito Gaspar. "J'ai beaucoup de pouvoir, la preuve, je suis rentré sans passeport", a déclaré M. Ravalomanana. Il a ouvertement défié le président Rajaonarimampianina, en déclarant qu'il "a eu la reconnaissance internationale mais (...) ce n'est pas le choix du peuple qui a été reflété". Trois à quatre cents de ses sympathisants se sont rassemblés mercredi au Magro Behoririka, leur lieu habituel dans la capitale, pour chanter ses louanges et se répandre sur les turpitudes du président actuel. "Ce n'est pas aujourd'hui qu'il est là au pays qu'on va se décourager", a dit Nina Rasolonjatovo, une sexagénaire, choquée que son champion ait été arrêté "comme un bandit". "Si Marc Ravalomanana ne sort pas d'ici peu, cela peut entraîner beaucoup de choses car il a encore beaucoup de partisans. On peut s'attendre à une nouvelle crise", a affirmé un autre supporter, Michel Ratsimbazafy, 44 ans. Un camion de l'armée était posté sur place.