L'accusation de trafic d'organe est récurrente sur la Grande Ile où elle peut viser des autochtones mais plus fréquemment des étrangers et singulièrement des blancs.
Le
mpaka-fo (mangeur de cœur) est une figure de l'imaginaire malgache. « Le terme de « preneur de cœur » est à Madagascar fort connu mais son contenu est mouvant, écrit l'ethnologue Françoise Raison-Jourde, spécialiste du pays. Il est porté par la rumeur et désigne chaque fois des individus étrangers dont on soupçonne les intentions nuisibles manifestées par des meurtres. (…) Les victimes sont abandonnées après qu'on leur ait arraché le cœur. Celui-ci est utilisé pour s'approprier la vitalité des autochtones. Sous la colonisation, la rumeur revient périodiquement » (
Bible et pouvoir à Madagascar au XIXe siècle: invention d'une identité …).
InstrumentalisationsDans les années 1980, cette rumeur visera des coopérants nord-coréens (alors nombreux dans le pays, son président du moment Didier Ratsiraka s'étant rapproché du modèle de Kim Il Sung). Elle revient de temps à autres dans un cadre xénophobe spontané ou non. Dans les années 2000, elle est utilisée de façon discrète contre l'adoption internationale, les familles occidentales étant suspectées dans certains journaux ou sur internet d'adopter des enfants malgaches pour en prélever les organes. En reportage dans une école de Tananarive en 2007 sur la thématique de l'enseignement, l'auteur de ces lignes a eu la surprise de voir des jeunes élèves apparemment effrayés se cacher à la vue de notre caméra, ce qui est inhabituel. Un peu embarrassé, le directeur nous a confié que le bruit courait que nous venions prendre leurs cœurs.
Dans le cas de Nosy Be, la rumeur de trafic d'organes semble avoir amplement circulé sur l'île bien avant que soit retrouvé le corps de l'enfant disparu, dont rien ne prouve, en l'absence d'autopsie (les obsèques ont eu lieu rapidement selon le rite musulman), qu'il ait été tué. Si elle n'était liée à un tel drame lourd de telles conséquences, on pourrait rire à se représenter des touristes non médecins découpant un corps humain sur un bord de plage, glissant des morceaux dans leur sac ou une glacière pour les ramener chez eux quelques jours plus tard aux fins de commerce.
Opération hautement complexe, la transplantation - même crapuleuse - d'organes vivants nécessite un personnel très qualifié, un environnement stérile de type "bloc opératoire" et un transport rapide respectant la chaîne du froid pour une ré-implantation immédiate ou dans les heures suivantes. Malgré des centaines de récits édifiants souvent évoqués avec conviction, aucun cas avéré de ce type n'a jamais été établi à Madagascar, ceux de mutilations réelles de cadavres relevant plutôt de pratiques de sorcellerie.
D'une rumeur à l'autreEn dépit de l'émotion suscitée par les lynchages et son caractère manifestement fantaisiste, la rumeur de Nosy Be perdurera et, internet et « réseaux sociaux » aidant, se propagera à travers le monde. Des « témoins »assez instruits pour publier sur des forums du web y affirmeront les jours suivants avoir vu leurs « suspects » transporter d'étranges glacières. On a même, jure t-on, trouvé des restes humains «
dans le réfrigérateur de leur bateau ».
« Malgré la colère, écrit une étrange «
dépêche » abondamment citée,
la foule est restée clairvoyante et ne s’en est pas pris du tout aux étrangers croisés dans la rue, seuls les deux commanditaires des enlèvements étaient visés par cette vengeance collective ».
Nombre de médias français qualifieront eux-mêmes dans un premier temps les victimes de la foule de « suspects de trafic d'organes » voire le lynchage d' « exécution » avant de corriger leur terminologie … et de glisser vers une évocation scientifiquement plus simple mais également porteuse : la pédophilie et le tourisme sexuel. Là, assène t-on enquêtes rapides à l'appui, réside certainement la clef du drame. Le lien avec l'enfant ou avec les trois tués n'est jamais explicité, seulement suggéré. Une rumeur pour chasser l'autre avant de s'achever, sous les protestations des parents des suppliciés, en silence.