Entretien. Onze millions de Malgaches sont appelés aux urnes, le 29 mai, pour élire leurs 163 députés de l'Assemblée nationale. Six mois après la réélection du président Andry Rajoelina lors d'une présidentielle boycottée par l'opposition, l'ensemble des forces politiques s'affrontent pour les législatives. Décryptage avec la politologue Christiane Rafidinarivo, chercheure associée au LCF Université de La Réunion et au CEVIPOF Sciences Po.
Un candidat d'opposition aux législatives mène campagne à Antananarivo, mai 2024.
TV5MONDE : Six mois après l'élection présidentielle boycottée par la quasi-totalité de l’opposition, quel est le climat politique entre l'opposition et le pouvoir ?
Christiane Rafidinarivo, Politologue, Chercheure associée au LCF Université de La Réunion et au CEVIPOF Sciences Po : A la différence de la présidentielle du 16 novembre 2023 boycottée en raison de la nationalité française du président sortant, cette fois-ci les partis d’opposition participent aux législatives. Il s’agit de candidats de proximité qui briguent un siège de député et en vue d’obtenir une majorité à l’Assemblée nationale.
La collaboration avec la CENI, qui avait été fortement décriée lors de la présidentielle, a repris. Des anomalies signalées ont été prises en compte et des rectifications se font.
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La vigilance est toujours de mise, mais pas au point de remettre en cause la participation au scrutin. Les préoccupations portent sur d’autres aspects. Par exemple, la multiplication des arrestations de candidats. Ou encore l’implication dans la campagne de nombreux présidents de fokontany [chefs de quartier,NDLR] et de maires qui peut faire craindre une mainmise sur l’encadrement du scrutin, c’est-à-dire sur les personnes clés qui organisent et contrôlent le bon déroulement du scrutin.
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TV5MONDE : Lors de la dernière présidentielle, l’Assemblée nationale sortante a été marquée par une crise en son sein avec le limogeage de sa présidente. Cela a-t-il laissé des traces ?
Christiane Rafidinarivo : L’ancienne présidente de l’Assemblée Nationale, Christine Razanamahasoa, avait pris position pour le report de la présidentielle contre l’avis de son camp, le parti présidentiel. Récusée par son propre parti, elle s’est engagée au sein d’une Plateforme de médiation avec des membres de la société civile, notamment les églises, mais aussi beaucoup d'experts et d'anciens responsables politiques.
Ce qu’il faut souligner est que son différend n’a pas été tranché au sein de son parti par une radiation mais a été porté devant la Haute Cour Constitutionnelle afin de limoger cette présidente de l’Assemblée nationale qui avait été élue à l’unanimité. Une démarche similaire a été faite contre l’ex président du Sénat lui aussi limogé dans le contexte de la présidentielle.
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TV5MONDE : Comment s’annonce le scrutin législatif, l’opposition peut-elle réussir à contester la majorité présidentielle sortante ?
Christiane Rafidinarivo : D’un côté, il y a des critiques connues qui ont été mises en cause au moment de la présidentielle en terme de crédibilité et de fiabilité du scrutin. D’un autre côté, les votes peuvent changer très vite surtout en raison des pressions nombreuses dans la campagne, des arrestations, du climat de menaces, de censure et d’autocensure. Tout cela ne permet pas de prédire des perspectives sur ce que pourrait être les résultats.
Ce qui est intéressant dans la vie politique malgache de ces dernières années, notamment lors des deux derniers mandats, c’est les capacités d’alliance et de renversement d’alliance. Jusqu’au dernier moment, il n’est pas exclu que des coalitions inattendues se forment pour la nomination d’un Premier ministre.
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Lors des 2 derniers mandats présidentiels [de Hery Rajaonarimampianina puis de Andry Rajoelina] et même un peu avant, on a observé une oscillation dans la vie politique malgache, entre régime présidentiel voire hyperprésidentiel et régime parlementaire ou semi-parlementaire, sans arriver à un équilibre.
Aujourd'hui, il est intéressant de noter que l’opposition ne renonce pas au processus démocratique électoral. Malgré toutes les difficultés et les vicissitudes, l’opposition relève le défi démocratique en acceptant d’aller aux urnes.
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