Fil d'Ariane
L'opposition malgache dénonce "un coup d’État institutionnel" orchestré par le président Rajoelina. Cela intervient après une série de décisions de justice qui favorise, selon elle, le chef d’État candidat à sa réélection dans moins de deux mois.
Le président de Madagascar Andry Rajoelina le 23 juin 2023 à Paris.
Dans une lettre reçue mardi par la commission électorale, dix candidats au scrutin présidentiel accusent le chef d’État malgache de manipuler les institutions pour favoriser son élection à un second mandat à la tête de la grande île de l'océan Indien. Les Malgaches se rendent aux urnes pour le premier tour du scrutin le 9 novembre. Le second est prévu le 20 décembre. Treize candidats sont en lice dont Andry Rajoelina, 49 ans, arrivé au pouvoir en 2009 à la faveur d'un coup d’État.
"Le pouvoir (...) a opéré un véritable coup d’État institutionnel dans le but de mettre le Premier ministre aux commandes de l’État pendant la période électorale présidentielle afin d'en manipuler les résultats au profit de leur candidat", dénoncent les dix signataires de la lettre. Ces derniers jours, une série de décisions de la Cour constitutionnelle, plus haute juridiction du pays, ont, selon l'opposition, dégagé à dessein l'horizon du président sortant en vue du vote.
Le 9 septembre, Andry Rajoelina a cessé d'exercer le pouvoir, comme prévu par la Constitution en période électorale. Le président du Sénat, qui devait assurer l'intérim, a toutefois invoqué des "raisons personnelles" et laissé les rênes à un "gouvernement collégial" mené par le Premier ministre, Christian Ntsay, un proche du chef de l’État. Ce jeu de chaises musicales a été validé samedi par la Cour constitutionnelle.
Le même jour, la Cour a rejeté trois recours réclamant que la candidature de Andry Rajoelina soit déclarée invalide "pour défaut de nationalité malgache". La décision publiée tard dans la soirée a jugé les requêtes, déposées en septembre par trois partis d'opposition, "irrecevables".
Fin juin, des informations divulguées dans la presse ont dévoilé que le président a été naturalisé français en catimini en 2014, déclenchant une polémique dans le pays. Selon le code de la nationalité malgache, il serait alors censé perdre sa nationalité malgache. Sans cette nationalité, il ne peut ni diriger le pays, ni être candidat à une élection.
L'opposant et député Jean-Brunelle Razafintsiandraofa dénonce les "irrégularités commises par les institutions", disant vouloir interpeller par la lettre "intellectuels, observateurs et surtout les institutions existantes et la communauté internationale". Eléonore Johasy, qui représente le candidat Auguste Paraina, a dénoncé "des décisions prises à des heures indues, de manière à ce qu'aucune chance ne soit donnée à ce que l'on s'y oppose".
"C'est vrai que la confiance s'effrite et que toutes les manigances et manœuvres ne favorisent pas la confiance dans les différentes instances", explique-t-elle. La Constitution malgache prévoit que le président en exercice, candidat à sa propre succession, démissionne de son poste 60 jours avant la date du scrutin et que le président du Sénat assure l'intérim. Mais aucune disposition n'est prévue en cas de refus de ce dernier. "Le président du Sénat a renoncé à cette charge. On ne peut pas l'obliger à prendre les rênes du pouvoir", justifie le président de la Cour constitutionnelle, Florent Rakotoarisoa.
"Nous avons seulement appliqué la mesure de réserve prévue par la Constitution", poursuit-il, ajoutant que la justice a œuvré pour "assurer la continuité de l’État". Selon la Constitution, un gouvernement collégial assure l'intérim dans le cas où le président du Sénat est lui-même candidat à la présidentielle. Cette série de décisions a "été dictée par le pouvoir", estiment les dix rivaux d'Andry Rajoelina au scrutin. Ils accusent les membres de la Cour constitutionnelle de "s'être faits complices de ces manœuvres" et d'avoir "validé ce coup d’État institutionnel".