Madagascar : un référendum sur mesure

Destinée, selon ses rédacteurs à « éviter les dérives dictatoriales » la réforme constitutionnelle de 2013 vise avant tout à légitimer le processus en cours. Quatre ans plus tôt, Andry Rajoelina a arraché par un coup d'Etat le pouvoir à Marc Ravalomanana, président initialement élu mais en pleine dérive autocratique. En 2013 (déjà ...), les deux hommes continuent de s'affronter par partisans interposés, menant leur pays au désastre économique et politique.
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Madagascar : un référendum sur mesure
Andry Rajoelina en campagne à Fianarantsoa, le 13 novembre (photo du site officiel de la Présidence)
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Les feux de l'amour

S’il n’était dans la réalité dramatique, le feuilleton pourrait faire sourire. Résumons.
Madagascar : un référendum sur mesure
Saison 1 : en 2002, Marc Ravalomanana, jeune et fringuant maire de la capitale de Madagascar et homme d’affaire avisé (son industrie laitière lui vaut le surnom de « roi du yaourt ») vient à bout, avec le soutien de la rue et de l’armée, du régime personnel et corrompu de Didier Ratsiraka, au pouvoir (malgré une coupure) depuis la nuit des temps post-coloniaux. Celui-ci prend le chemin de l’exil. Ravalomanana promet aux Malgaches démocratie et prospérité.
 
Saison 2 : en 2009, Andry Rajoelina, jeune et fringant maire de la capitale de Madagascar et homme d’affaire avisé (connu comme disc jockey, publicitaire et propriétaire d’une chaîne de télévision) vient à bout, avec le soutien de la rue et de l’armée, du régime personnel et corrompu de Marc Ravalomanana, au pouvoir depuis sept ans. Celui-ci prend le chemin de l’exil. Rajoelina promet aux Malgaches démocratie et prospérité.

Contrairement à son prédécesseur, pourtant, Rajoelina souffre d’un handicap : nul électeur ne l’a jamais mandaté pour devenir président de la République. Pire : son jeune âge (trente-cinq ans) l’exclut légalement de cette charge. On va arranger tout cela. Une "Haute autorité de la transition" est créée dont il se déclare président (mars 2009). Le parlement élu est suspendu. Une cour constitutionnelle peu regardante valide le putsch.
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A l’inverse de Ravalomanana, pourtant, Rajoelina peine à vendre le coup d’État à la communauté internationale qui, dans son ensemble, ne le reconnaît pas et suspend la majeure partie de ses aides à la grande île.

Isolé, il doit négocier avec les « trois mouvances » représentant, en gros, les factions qui l’ont précédé au pouvoir : celle d’Albert Zafy, éphémère président élu des années 90, celle de Didier Ratsiraka, en exil à Paris mais toujours actif à travers ses partisans et celle de Marc Ravalomanana, réfugié en Afrique australe.

Des accords de partage de pouvoir sont signés à Maputo en août 2009. Les principaux postes législatifs et exécutifs sont répartis entre les différents clans qui acceptent en contrepartie du bout des lèvres la présidence de Rajoelina. Un Premier ministre de consensus est désigné. Il ne durera guère, limogé un mois plus tard tandis que se durcit l’autorité de fait d’un pouvoir de moins en moins transitionnel.

Des pourparlers se poursuivent cependant. En août 2010, le régime de Rajoelina et une centaine de partis politiques malgaches signent un nouvel accord de "sortie de crise", qui prévoit notamment la tenue d'une élection présidentielle en mai 2011. Les trois mouvances des ex-présidents rejettent cet accord.
Madagascar : un référendum sur mesure

Amour de soi

C’est dans ce contexte que débute la Saison 3 : le référendum constitutionnel du 17 novembre.

Destinée, selon ses rédacteurs à « éviter les dérives dictatoriales » la réforme vise avant tout à légitimer le processus en cours.

Elle introduit quelques innovations pittoresques (voir ci-contre) tels un statut de « chef de l’opposition » et une « inspection générale de la justice » et remplace le mot « liberté » de la devise malgache (« liberté, patrie, progrès ») par « amour ». Sans doute celui pour son Président Andry Rajoelina, confirmé au passage dans son rôle de « chef de l'État ». La nouvelle constitution lui permet justement de se présenter à la future élection présidentielle en abaissant sur mesure l’âge requis.

Les « trois mouvances » qui appellent au boycott du scrutin se voient interdire de rassemblement, de même qu'un ancien Premier ministre de « consensus » désormais partisan du « non ». Plusieurs dirigeants de l’opposition sont arrêtés. La communauté internationale, pourtant à la recherche d’une sortie de crise présentable ne reconnaît pas la consultation jugé « peu consensuelle ». C’est un euphémisme.

Rajoelina, lui, fait campagne sans encombre. Quelques stades pleins lui donnent l’illusion d’être porté par une vague. Il est en réalité bien seul. La Saison 4 s’annonce assez mauvaise.
 
 

Laïcité, réconciliation et présidentialisme: le projet de constitution


Le nouveau projet de Constitution à Madagascar, soumis mercredi à référendum, ne modifie pas fondamentalement la forme de l'Etat malgache mais vise à prévenir les "dérives dictatoriales", selon ses rédacteurs. Le texte offre "balisage, limitation et rationalisation des pouvoirs afin d’éviter les dérives dictatoriales", expliquent les rédacteurs de la nouvelle Loi fondamentale, dans une analyse transmise à l'AFP.

Le régime est présenté comme semi-présidentiel et semi-parlementaire, notamment car le président nomme son Premier ministre sur proposition du "parti ou groupe de partis majoritaires à l’Assemblée nationale", ce qui n'était pas le cas jusqu'à présent.

L’âge minimum pour pouvoir être candidat à la présidence est abaissé de 40 à 35 ans, ce qui autorise désormais l'homme fort du pays, Andry Rajoelina, 36 ans, à se présenter au prochain scrutin présidentiel (même s'il s'est engagé à ne pas être candidat).

Un statut de "chef de l’opposition" est créé. L’opposition aura droit à un poste de vice-président de l’Assemblée nationale et à une présidence de Commission parlementaire.

De plus, "l’Etat de droit", et non plus seulement "la démocratie", devient le "fondement de la République" (article 1). Dans ce cadre, un Haut Conseil pour la défense de la démocratie et de l’Etat de droit est créé, notamment pour "observer le respect de l’éthique du pouvoir".

Un Haut Conseil de la Défense nationale est également mis en place, et les Forces armées se voient désormais confier la mission de "préserver la paix sociale".

Supprimées lors de la révision constitutionnelle de 2007, les six provinces sont réintroduites, et "dotées d'une personnalité morale, de l’autorité administrative et financière", avec une élection du chef de province au suffrage universel.
Une "Inspection générale de la justice" est crée pour "contrôler le respect des règles déontologiques particulières aux magistrats, ainsi que les agissements du personnel de la justice". Cette institution sera rattachée directement à la présidence, ce qui suscite de nombreuses critiques.

Par ailleurs, la laïcité de l’Etat, supprimée en 2007, est réintroduite, tandis que l’anglais perd son statut de langue officielle obtenue lors de la même révision.

Dans leur communication, les rédacteurs insistent beaucoup sur la volonté de "remettre sur pied une société malgache qui conserve son originalité, son authenticité, ses valeurs et fondamentaux traditionnels, tout en évoluant et en s’épanouissant dans la modernité du millénaire".

Ainsi, un Conseil du Fihampihavanana (réconciliation) est créé. Dans cette logique, la nouvelle devise nationale devient "Amour, Patrie, progrès", le mot amour remplaçant celui de liberté.

(Agence France Presse)
Laïcité, réconciliation et présidentialisme: le projet de constitution