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©TV5MONDE / Commentaire : K.G Barzegar - Images : M. Vanden Bossche - Montage : R. Clemendot
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"Makala" : l'épopée d'un forçat de la terre en RDC

Tourné dans le sud de la République démocratique du Congo, dans la région du Katanga, "Makala", troisième long-métrage du réalisateur Emmanuel Gras raconte le l'odyssée d'un charbonnier congolais, sorte de mythe de Sisyphe contemporain. Un documentaire d'une grande beauté formelle, filmé comme une fiction...
C'est en tournant en République démocratique du Congo, qu'Emmanuel Gras a eu l'idée de son documentaire. "J’avais déjà fait deux tournages en tant que chef opérateur dans cette région et j’avais été marqué par le fait de rencontrer partout des hommes et des femmes transportant à pied des chargements de toutes sortes", raconte Emmanuel Gras. "Même au milieu de la brousse, on était sûr de croiser quelqu’un transportant quelque chose. Mais c’est l’image de gens poussant des vélos surchargés de sacs de charbon qui m’a visuellement le plus frappé", ajoute-il.
Makala la route
Le documentariste est donc parti en repérage dans les villages autour de Kolwezi pour rencontrer des gens qui faisaient du charbon. "J’ai rencontré Kabwita à Walemba et j’ai su très vite que je voulais faire le film avec lui. J’aimais son attitude, un peu en retrait mais pas timide, son allure, et surtout son regard, plutôt doux mais très vif", confie-t-il.

Un an après, il est revenu sur place, et a commencé à filmer le quotidien de Kabwita et de sa famille. 

Le charbon, seule moyen de survie

"Makala" suit ainsi pas à pas le parcours de Kabwita Kasongo, un villageois congolais de 28 ans, marié et père de trois enfants. Avec sa femme Lydie, ils sont locataires de leur modeste case, alors que d’autres habitants sont propriétaires. Le couple rêve de construire sa propre maison et offrir un avenir meilleur à ses enfants. 

Pour cela, Kabwita n'a pas d'autres ressources que ses bras, la brousse environnante et une volonté tenace. Ses seuls biens de valeur sont son vélo et ses outils qu'il a fabriqué lui-même. Alors comme bien d'autres en République démocratique du Congo, il fabrique du charbon.
Makala Kabwita Kasongo
Emmanuel Gras filme de A à Z le processus de fabrication, de transport et de vente du charbon, à commencer par le découpage d'un immense arbre jusqu'à l'obtention du charbon en faisant brûler le bois dans un immense four confectionné selon des méthodes traditionnelles. Ce produit obtenu après d'immenses efforts doit ensuite être revendu en ville...

"Le film raconte l'histoire d'un villageois qui fabrique du charbon de bois et qui doit aller le vendre en ville et le film raconte son parcours, son épopée puisqu'il doit accomplir une longue route entre son village et la ville et donc ça devient une sorte de Road movie africain à vélo", résume le réalisateur.

Un road movie africain

Un homme, une route, un vélo, et une cargaison de charbon. Ensemble, ils vont parcourir 50 kilomètres au coeur du Katanga. Un périple solitaire, dans la poussière. filmé au plus près, de jour comme de nuit, sur une route semée d'obstacles: les camions et les crevaisons, l'épuisement et les backchichs pour passer les postes de contrôle.​
 
Filomgraphie d'Emmanuel Gras
2017 – Makala - Semaine de la Critique Cannes 
2015 – 300 Hommes (co-réalisé avec Aline Dalbis)
2013 – Être vivant (Court-métrage) 
2012 – Bovines- Sélectionné à l’ACID à Cannes 
2007 – Soudain ses mains (Court-métrage) 
2005 – Tweety lovely Superstar (Court-métrage)
2003 – Une petite note d'humanité (Court-métrage) 
2002 – La motivation ! (Court-métrage) 

Dans le documentaires d'Emmanuel Gras, le spectateur se retrouve en immersion complète avec le personnage grâce à une caméra toujours très proche du personnage.

"J’ai essayé de rendre la sensation de l’effort qui consiste à pousser pendant longtemps un vélo avec un chargement", explique Emmanuel Gras. "La roue qui rentre dans le sable donne la sensation d’un poids. On sent la machine, le vélo qui s’enfonce et devient un élément vivant.​"

Pour cela, "Makala" a été filmé avec deux caméras différentes, une caméra à l’épaule, et un appareil photo assorti d’un petit système de stabilisation, proche du steadycam. Le réalisateur a aussi a mis l'accent sur la prise de son : le bruit du vent, le bruit du chargement , des élastiques, des sacs et des roues, le bruit de la respiration... Tout contribue à faire partager aux spectateur l'ampleur de l'effort accompli par Kabwita.

Kabwita Kasongo, héros ordinaire 

"Pour moi, Kabwita,  c'est la condition de prolétaire, parce que la condition de prolétaire, elle n'a pas disparu avec la modernité. C'est quelqu'un qui a comme seule richesse en fait sa force de travail, qui vend sa force de travail, dans un univers qui est celui du Congo mais qui se retrouve dans plein d'autres de pays", souligne le réalisateur.
 
On est dans un capitalisme sauvage, c'est-à-dire qu'il n'y a pas de règles.Emmanuel Gras, le réalisateur de "Makala"
Pas de règles dans un pays où l'argent se fait rare, où tout se marchande âprement, où le travail ardu finit par être bradé... Une fois arrivé en ville, le jeune charbonnier est contraint à vendre sa marchandise à bas prix, après des marchandages difficiles avec les clients, dans une région où tous ont faim, où tous tentent de survivre malgré la richesses des sous-sols du pays... 

Travailler, baisser l'échine et survivre.  Kabwita, son vélo et sa cargaison de charbon symbolisent la tenacité, la résilience et la condition du travailleur, sublimée par la caméra d'Emmanuel Gras. "Je ne suis pas en train de filmer quelqu'un qui est en souffrance permanente, je suis en train de filmer quelqu'un qui accomplit des hauts fait, si on veut, comme un héros légendaire part de chez lui, c'est la même structure. Le héros part de chez lui, sur un avenir meilleur pour combattre un dragon et lui part combattre la route et les camions, et pour moi, je l'ai filmé comme un héros mythologique." 

L'odyssée moderne d'un forcat de la terre, dépeint dans un documentaire d'une grande beauté formelle... En Swahili, "Makala" veut dire Charbon...
 
MAKALA
Un film d'Emmanuel Gras
France - 2017
96 mn
Avec Kabiwita Kasongo, Lydie Kasongo
Produit par Nicolas Anthome (Bathysphère)