Mali : après Kidal et Tessalit pourquoi les soldats français quittent Tombouctou ?

Ce 14 décembre, l'armée française quitte la base de Tombouctou, une ville qu'elle avait libérée des djihadistes en 2013. Le symbole est fort. Tombouctou est le centre religieux et spirituel du Mali. Comment comprendre ce retrait français ? Entretien avec le Général Bruno Clément-Bollée, consultant en matière de sécurité en Afrique et ancien directeur de la coopération de sécurité et de défense au ministère français des Affaires étrangères.
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Soldat de la force Barkhane à Gao
Un soldat de la force Barkhane à Gao, Mali, le 9 juin 2021. Depuis six mois, l'armée française redéploit son effectif présent au Mali. Après les bases de Kidal et Tessalit, les soldats français quittent Tombouctou pour aller à Gao le 14 décembre 2021. De 5 000 militaires français au Sahel à l'été 2021, il ne devrait y en avoir que 3 000 à l'été 2022.
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TV5 MONDE : Pourquoi ce retrait de Tombouctou, un symbole très fort de la présence de la France au Mali depuis l'opération Serval en 2013 ?
 
Bruno Clément-Bollée : Ce retrait des troupes françaises de Tombouctou ne signifie pas un retrait de l’engagement français. Au plan militaire ce n’est pas du tout illogique.

Traitons d’abord le symbole. Nous nous souvenons du président Hollande, qui avait été à Tombouctou et prononcé ces paroles à Bamako :  "C’est le plus beau jour de ma vie politique." Et nous nous souvenons de l’enthousiasme des populations locales qui était proche du délire.
François Hollande à Tombouctou février 2013
Le président François Hollande accueilli triomphalement à Tombouctou, Mali, le 2 février 2013. Ce 14 décembre 2021, l'armée française quitte sa base de l'opération Barkhane de Tombouctou pour se rédéployer à Gao.
© AP Photo/Jérôme Delay
Nous pouvons dire que huit ans après les choses ont bien changé. Les fautifs, si faute il y a, sont à la fois Africains et internationaux, donc Français. Cela étant, il faut bien comprendre ce que vous appelez un "retrait" ou une diminution d’effectifs. Au plan militaire, il s’agit d’une reconfiguration, autrement dit un redéploiement obligé.

TV5MONDE : Pourquoi ce redéploiement ?

Bruno Clément-Bollée : Il y a plusieurs raisons à cela. La première est une certaine inefficacité tactique. Certes, nous avons eu des coups d’éclats mais au global, la présence et l’action des groupes djihadistes s’est quand même multipliée.

La deuxième une image française très dégradée, donnant le sentiment d’une armée d’occupation et non plus d’une armée appelée par les autorités locales.

La troisième est une ambiguïté entre la France et le Mali symbolisée par nos autorités politiques. Le président français a eu des mots très ambigus mais assez durs vis-à-vis des autorités maliennes du moment. Une ambigüité que l'on retrouve côté malien, quand le Mali dit, et on comprend qu’il puisse le dire, que la paix passera par le fait que tous les Maliens se parlent, y compris ceux d’AQMI (Al-Qaïda au Maghreb islamique).
CARTE MALI RETRAIT FRANCE
L'armée française vient d'évacuer trois bases militaires du nord du Mali, Tombouctou, Tessalit, Kidal.
On sait que le GSIM (Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans) et la katiba Macina, respectivement l’un Touareg l’autre Peule, sont tous les deux Maliens. Ce n’est pas du tout le cas de l’autre obédience, l’État islamique, actif dans la zone des trois frontières, qui est composé essentiellement de non Maliens. Mais il se trouve que l’Armée française, et les autorités françaises, ont désigné ces groupes comme leur ennemi numéro un. Et le Mali veut discuter avec ceux que nous considérons comme nos ennemis numéro un.
 
Le gouvernement français a réfléchi, sur le plan militaire ainsi qu’au plan tactique à la nécessité de reconfigurer l’engagement français au Mali.
Bruno Clément-Bollée, ancien général français et consultant en matière de sécurité en Afrique

Quand on aligne cette inefficacité tactique avec l’image dégradée et l’ambigüité entre les autorités, on comprend qu'il faut changer. Mais il faut faire évoluer notre engagement sans y renoncer car il est réclamé par les autorités des pays du Sahel. Par ailleurs nous ne sommes pas seuls. Il y a d’autres forces, locales et internationales comme la Minusma ou la force Takuba, qui interviennent sur le terrain. Nous ne pouvons pas partir comme ça, sinon il y aurait des conséquences graves.

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Le gouvernement français a réfléchi, sur le plan militaire ainsi qu’au plan tactique, à la nécessité de reconfigurer l’engagement français au Mali.

On s’est rendu compte de la difficulté que représente le fait d’avoir de gros effectifs, déployés partout au Sahel. Ces effectifs imposent une logistique très lourde, de tout moment, et ils sont très vulnérables, car ils peuvent être victimes d’I.E.D (n.d.l.r. des mines ou autres engins explosifs) car nous avons beaucoup de convois. Plus vous mettez de convois, plus vous risquez ce genre d’accidents.

Les djihadistes sont beaucoup plus rapides, plus souples et plus manœuvriers. C’est une des raisons de notre inefficacité tactique.
Bruno Clément-Bollée, ancien général français et consultant en matière de sécurité en Afrique

Plutôt que d’avoir un engagement numériquement extrêmement lourd, réparti partout dans le pays, émietté sur une grande quantité de bases, ce qui est très difficile à soutenir sur le plan logistique et accroit sa vulnérabilité, l’armée française a décidé de changer de tactique.

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Dans le dispositif Barkhane, cette logistique était très lourde. Agir sur renseignement, en montant de grandes opérations coordonnées avec plusieurs acteurs, sur la longueur, et qui ne sont pas discrèts, s’est révélé finalement être en complet décalage avec la tactique employée par les djihadistes. Eux sont beaucoup plus rapides, plus souples et plus manœuvriers. C’est une des raisons de notre inefficacité tactique.

TV5MONDE : Quelle forme va prendre cet engagement au Mali alors ?

Bruno Clément-Bollée : L’idée est d’avoir beaucoup moins de bases et de regrouper nos éléments sur quelques bases plus importantes sur l’ensemble du Sahel. Ensuite l’autre idée serait d’avoir un système de renseignement très sophistiqué, à base de drones, d’avions de surveillance, de renseignement humain.

Mettre en place un dispositif fondé sur le renseignement et qui permette, à partir de ces bases, d’avoir des équipements et des matériels extrêmement rapides et performants, qui agissent sur renseignement, par coup de poing. Cela vient en accompagnement de ce que font les troupes locales et en accord avec les autorités.

La situation sahélienne ne sera réglée que par les Sahéliens.
Bruno Clément-Bollée, ancien général français et consultant en matière de sécurité en Afrique

Ce regroupement permet de la rapidité, de la réactivité et de la souplesse. Moins de convois logistiques à déployer sur le terrain puisqu’il y a moins de bases, donc moins de vulnérabilité. Et surtout ça nous permet de passer en deuxième ligne. Nous (les Français) avons pêché par orgueil en nous mettant en première ligne, en étant très visibles. Nous en payons le prix aujourd’hui auprès de la population car nous n’avons pas résolu la question. Nous passons un peu pour les responsables.
 

Ce regroupement permet de la rapidité, de la réactivité et de la souplesse. Moins de convois logistiques à déployer sur le terrain puisqu’il y a moins de bases, donc moins de vulnérabilité.

Bruno Clément-Bollée, ancien général français et consultant en matière de sécurité en Afrique

TV5MONDE : Qu’appelez-vous "se mettre devant" ?

Bruno Clément-Bollée : C’est claironner notre action sur le terrain. C’est convoquer les chefs d’États à Pau pour leur donner la leçon par exemple. Je pense qu’on ne peut pas sortir de la maxime "Le Sahel aux Sahéliens".

La situation sahélienne ne sera réglée que par les Sahéliens. Ce qui ne veut pas dire que la France doit les laisser seuls. Il faut leur donner la première part, la première place. Ils doivent être en première ligne et nous les Français, il faut que nous soyons non pas en posture d’imposition mais en posture d’accompagnement.