Fil d'Ariane
Un colonel de l'armée malienne, Assimi Goita, s'est présenté le 19 août comme le nouvel homme fort à Bamako, au lendemain du coup d'État ayant renversé le président Ibrahim Boubacar Keïta. Le putsch, unanimement condamné à l'étranger, fait l'objet d'une réunion des 15 États de la Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest (Cédéao) ce 20 août.
"Je me présente : je suis le colonel Assimi Goita, le président du Comité national pour le salut du peuple (CNSP)", a déclaré à la presse cet officier supérieur qui était apparu dans la nuit de mardi à mercredi à la télévision nationale aux côtés d'autres militaires, sans prendre la parole. Il a estimé que son pays se trouvait "dans une situation de crise socio-politique, sécuritaire" et n'avait "plus le droit à l'erreur".
L'opposition malienne s'est félicitée mercredi du coup d'Etat militaire, estimant qu'il avait "parachevé" sa lutte pour obtenir le départ du président Ibrahim Boubacar Keïta et se disant prête à élaborer avec la junte une transition politique. Elle s'est dite prête à fêter vendredi "la victoire du peuple malien". La coalition d'opposition du M5-RFP "prend acte de l'engagement" du Comité national pour le salut du peuple (CNSP), créé par les militaires désormais au pouvoir, "d'ouvrir une transition politique civile", a-t-elle indiqué dans un communiqué.
Qui est Assimi Goita ?
Le colonel Goita ne pourra toutefois pas compter sur la moindre indulgence de la communauté internationale qui a unanimement condamné le putsch, réclamant le retour à l'ordre constitutionnel et la libération du président Keïta arrêté mardi par les militaires.
Les pays membres du Conseil de sécurité de l'ONU ont demandé la libération "immédiate" du président renversé et "souligné la nécessité pressante de rétablir l'Etat de droit et d'aller vers un retour de l'ordre constitutionnel". Fortement engagée au Sahel où elle combat les groupes djihadistes qui ont contribué à déstabiliser le Mali, la France a, par la voix du président Emmanuel Macron, estimé que "la lutte contre les groupes terroristes et la défense de la démocratie et de l'Etat de droit sont indissociables".
"En sortir, c'est provoquer l'instabilité et affaiblir notre combat. Ce n'est pas acceptable", a-t-il poursuivi sur Twitter, en appelant à ce que le pouvoir soit "rendu aux civils".
La lutte contre les groupes terroristes et la défense de la démocratie et de l’État de droit sont indissociables. En sortir, c’est provoquer l’instabilité et affaiblir notre combat. Ce n’est pas acceptable.
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) August 19, 2020
L'Union africaine a de son côté suspendu le Mali "jusqu'au retour de l'ordre constitutionnel" et demandé "la libération du président (...) du premier ministre et des autres responsables du gouvernement arrêtés par la force par l'armée".
La Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cédéao), qui a tenté sans succès de résoudre la crise qui frappe le Mali depuis juin, a également suspendu ce pays avant une réunion jeudi en visioconférence. Elle a prévu de tenir jeudi une réunion extraordinaire de ses chefs d'Etat pour évoquer la question.
L'UE a réclamé la libération "immédiate" des dirigeants arrêtés et un "retour immédiat de l'état de droit". "La stabilité de la région et du Mali, la lutte contre le terrorisme doivent demeurer des priorités absolues", selon elle.
Washington a aussi "fermement" condamné "la mutinerie" et exigé que la "liberté et la sécurité" des dirigeants maliens et de leurs familles soient "assurées".
L'Algérie, qui partage 1.400 km de frontières avec le Mali et a joué un rôle important dans les pourparlers de paix dans ce pays, "réitère son ferme rejet de tout changement anticonstitutionnel de gouvernement".
Autre pays du Maghreb partenaire du Mali, le Maroc a appelé à une "transition civile pacifique, permettant un retour rapide et encadré à l’ordre constitutionnel".
Ces condamnations n'ont pas dissuadé le colonel-major Ismaël Wagué, porte-parole du CNSP, de demander à ses compatriotes de "vaquer librement à leurs occupations". Il a aussi demandé "d'arrêter immédiatement les actes de vandalisme et de destruction des édifices publics". Des manifestants ont incendié mardi le cabinet d'avocat de l'ex-ministre de la Justice, Kassim Tapo, à Bamako.
Ismaël Wagué n'a en revanche rien dit sur le président Keïta, dit IBK, ni le chef du gouvernement, Boubou Cissé, toujours au camp militaire de Kati, le quartier général des auteurs du coup d'Etat près de Bamako.
Le jour où les militaires putschistes se sont emparés du pouvoir
Le calme régnait mercredi dans la capitale, qui portait encore les stigmates des incidents ayant ponctué ce renversement de pouvoir. Les habitants de Bamako ont vaqué à leurs occupations, mais les administrations et les banques étaient fermées.
Le président Keïta, élu en 2013 puis réélu en 2018 pour cinq ans, a annoncé à la télévision publique sa démission dans la nuit de mardi à mercredi, puis la dissolution du gouvernement et de l'Assemblée nationale.
Nous avons donc devant nous une situation grave dont les conséquences sécuritaires sur notre région et sur le Mali sont évidentes. Cette situation nous interpelle.Mahamadou Issoufou, président du Niger, lors de l'ouverture de la réunion de la Cédéao ce jeudi
Le colonel-major Ismaël Wagué, chef d'état-major adjoint de l'armée de l'air, a ensuite annoncé la création du CNSP, expliquant que les militaires avaient "décidé de prendre (leurs) responsabilités" face au chaos et à l'insécurité.
Les militaires ont dit vouloir "une transition politique civile conduisant à des élections générales crédibles" dans un "délai raisonnable". Ils ont annoncé la fermeture des frontières et l'instauration d'un couvre-feu.
"Tous les accords passés" seront respectés, a affirmé le colonel Wagué. "La [mission de l'ONU] Minusma, la force [anti-djihadiste française] Barkhane, le G5 Sahel, la force Takuba [un groupement de forces spéciales européennes censées accompagner les Maliens au combat] demeurent nos partenaires", a-t-il assuré, en ajoutant que les militaires étaient "attachés au processus d'Alger". Cet accord de paix a été signé en 2015 entre Bamako et les groupes armés du nord du pays.
Un sommet des chefs d'État de la Cédéao sur "la situation au Mali" s'est ouvert jeudi par visioconférence, sous la présidence du président du Niger Mahamadou Issoufou, a annoncé la présidence ivoirienne.
Le président ivoirien Alassane Ouattara, entouré de son Premier ministre Hamed Bakayoko et de certains membres du gouvernement, participait à cette réunion, selon les images de la présidence ivoirienne.
Le Niger, pays voisin du Mali, où le président Ibrahim Boubacar Keita a été arrêté mardi par des militaires en révolte, préside actuellement la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cédéao, 15 pays).
"Nous avons donc devant nous une situation grave dont les conséquences sécuritaires sur notre région et sur le Mali sont évidentes. Cette situation nous interpelle. Elle nous montre le chemin qui reste à parcourir pour la mise en place d’institutions démocratiques fortes dans notre espace", a déclaré Issoufou dans son discours d'ouverture dont l'Agence France-Presse a obtenu une copie.
"C’est le lieu de rappeler qu’en 2012 , un autre coup d’État avait permis aux organisations terroristes et criminelles d’occuper pendant plusieurs semaines les deux tiers du territoire malien" a rappelé le président nigérien.
Il a aussi demandé à ses pairs d'"examiner les différentes mesures [...] dans la perspective d’un retour rapide à l’ordre constitutionnel". "Avec l’espoir que nous parviendrons à prendre les décisions pertinentes et fortes à la hauteur de la gravité de la situation que connaÎt le Mali, je déclare ouverts les travaux de la présente visioconférence", a-t-il conclu.