Mali : au sein de l'opposition ou dans la société civile, la peur de critiquer le pouvoir

Entretien. Depuis le deuxième coup d'État, l'opposition réunie au sein du cadre d'échanges des partis et regroupements politiques pour une transition réussie, continue de dénoncer le non respect des engagements initiaux. Elle prône un retour du pouvoir aux civils par les urnes dans un délai raisonnable. Reste que l'exercice de la critique du pouvoir n'est pas toujours toléré. Analyse du rapport de forces politiques avec Mohamed Amara, sociologue.
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polciers maliens
Photo d'archives. Des policiers maliens postés devant la Bourse du travail lors d'une manifestation contre le deuxième coup d'Etat et l'arrestation du président de transition Bah Ndaw et de son premier ministre Moctar Ouane, Bamako, le 25 mai 2021, Mali.
(AP)
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L'opposition malienne est prête à défier les autorités. Réunie au sein du cadre des partis et regroupements politiques pour une transition réussie, elle a annoncé des propositions radicales lors d'un séminaire. Elle demande la réduction de la prolongation de la transition à 9 mois au lieu des 4 ans de plus décidés par les autorités; la mise en place d'un nouveau Conseil national de transition ; la nomination d'un premier ministre neutre ; le refus de la réforme de la Charte de transition.

Signe du bras de fer qui se joue, l'opposition annonce qu'elle ne reconnaîtra plus les autorités à compter du 25 mars, date initiale de la fin initialement prévue de la transition après 18 mois. Une stratégie d'opposition qui n'est pas sans risques. Faut-il craindre une détérioration du climat politique ?

Entretien avec le sociologue Mohamed Amara, au Centre Max Weber de l'Université Lyon 2 et à l'Université des Lettres et des Sciences humaines de Bamako,  et auteur du livre Marchands d’Angoisse, le Mali tel qu’il est, tel qu’il pourrait être (Ed Grandvaux, 2019).​

TV5MONDE : Quel est l’acte de naissance de cette opposition malienne ? Comment est-elle née ?

Mohamed Amara, sociologue : L'opposition malienne est composée de partis et regroupements politique pour une transition politique réussie et qui dénoncent la confiscation du pouvoir les autorités. Cette opposition est née il y a 6 mois au plus, elle regroupe des partis et des regroupements politiques comme le Rassemblement Pour le Mali (RPM) de feu le président Ibrahim Boubacar Keïta, l’Alliance pour la solidarité au Mali-Convergence des forces patriotiques (ASMA-CFP) de l'ex-Premier ministre aujourd'hui en prison Soumeylou Boubèye Maïga, Yéléma de l’ancien premier ministre Moussa Mara, Action républicaine pour le progrès (ARP) de Thieman Humer Coulibaly, CD ou la Convention sociale démocrate (CDS) de Blaise Sangaré.

Un certain nombre de ces partis et regroupements politiques voulaient que la transition finisse à terme avec des élections prévues le 27 février. Dans ce cadre là l'opposition se donnait pour rôle d’accompagner la transition, c’est à dire d'établir un dialogue pour cogérer la préparation des élections générales à venir, à savoir pour le toilettage des listes électorales. Tout cela n'a pas pu se faire.

Avec les sanctions économiques de la Cédéao, il y a eu une sorte de bras de fer entre l'opposition et la transition. À sa demande, l'opposition a pu rencontrer le président de la transition Assimi Goita et de même pour le président du Conseil National de Transition Malick Diaw, mais elle n’a pas réussi à rencontrer le premier ministre Choguel Maïga. Cela a créé entre eux une épreuve de force qui a contribué à envenimer leurs relations.

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TV5MONDE : Quel est le rapport de forces au sein de cette opposition réunie ?

Mohamed Amara : Il y a environ soixante-dix partis politiques, ce sont les grands partis qui dominent comme Yelema de Moussa Mara, Asma-CFP de Soumeylou Boubey Maiga, le RPM et d’autres. 

Il faut noter que l'un des portes paroles de ce mouvement est maître Tapo, cet avocat de renommée internationale et ancien ministre n’est pas n’importe qui sur la scène politique malienne. Autre exemple, le président du cadre des partis et regroupements politiques pour une transition réussie est Modibo Soumaré qui est l’un des membres fondateurs de l'AEEM, l'association des élèves et étudiants du Mali dans les années 1990.

Ce sont des anciens acteurs des mouvements démocratiques qui se sont retrouvés pour dénoncer les glissements d’une transition réussie vers une sorte de pouvoir totalitaire, dénonçant la privation des libertés d'opposants à l'instar de l'homme politique Oumar Mariko en prison pour injures au premier ministre.

Les rapports de forces sont plus ou moins équilibrés dans ce groupement. C’est lié au fait qu’ils ont tous un objectif commun très clair : le retour à un pouvoir civil à travers l’organisation d’élections.

(Re)lire : Mali : un projet de loi pourrait renforcer les pouvoirs du président de la transition Assimi Goita

TV5MONDE :  Quelle est la légitimité de ce groupement de partis ? 

Mohamed Amara : Leur légitimité est qu’ils parlent au nom du peuple. Il s’agit de partis qui avaient des élus au niveau de l’Assemblée Nationale d’avant le coup d’Etat d’août 2020. Ils sont aussi des portes-voix. Au Mali, la fracture est profonde. On trouve une partie des Maliens qui soutient la transition à l'instar du mouvement Yere Wolo-Debout les remparts et d’autres partis ; et l’autre partie des Maliens. en face a du mal à manifester son désaccord. Il est difficile de faire des manifestations à Bamako pour dénoncer car il y a des risques de confrontation entre ces deux catégories de la société malienne.

Le fait qu’un groupement de partis qui parviennent dans les médias ou d’autres canaux à porter la voix de ceux qui ne peuvent pas manifester au risque d’une confrontation, cela permet d’équilibrer les relations sociales. Evidemment, on les taxe de n’être jamais contents car ils s’opposent à la transition. Néanmoins, il reste un espace d’expression démocratique pour une partie de la population qui n’est pas d’accord avec la tournure que prend les événements à savoir la transition.

TV5MONDE : Y a-t-il des forces audibles dans la société civile qui se montrent critiques des nouvelles autorités ?

Mohamed Amara : Actuellement, la société civile au Mali reste dans un certain mutisme. Elle ne s’exprime quasiment pas. Je pense notamment aux associations de défense des droits de l’homme ou d’autres espaces démocratiques ou citoyens qui rejettent les dérives autoritaires. Aujourd’hui on ne les entend pas. Le seul espace qui reste ce sont ces partis politiques qui aujourd’hui ont décidé de croiser le fer avec le pouvoir actuel.

TV5MONDE :  Pour quelle raison, c’est de la peur, de l’attentisme ?

Mohamed Amara : Il y a deux explications : la peur, aujourd’hui d’être privé de liberté car quelques uns sont en prison pour avoir exprimer leurs points de vue. Par exemple l’économiste Etienne Fakaba Sissoko est en détention parce qu’il a tenu des propos jugés trop critiques.
 

On peut donc dire que les libertés individuelles voire collectives ne sont pas tout à fait respectées comme par le passé dans le contexte politique actuel du Mali.
Mohamed Amara, sociologue.

Il y a surtout aussi la peur de ne pas être protégé lorsqu’on dénonce la trajectoire prise par la transition qui n’est pas celle attendue par les Maliens, c’est à dire celle d'une transition de 5 ans. Lors des Assises nationales de la transition, une partie des Maliens y ont participé, mais d’autres non, et ceux-là n’ont pas eu un espace d’expression.

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TV5MONDE : Vous avez évoqué l’arrestation de certaines personnes notamment l’économiste Etienne Fakaba Sissoko, peut-on dire que les droits politiques et civiques sont respectés par les nouvelles autorités ?

Mohamed Amara : Au vu des faits et des personnes en prison, notamment Etienne Fakaba Sissoko, Oumar Mariko qui était en prison et maintenant en liberté conditionnelle, l’ancien premier ministre Soumaïlou Boubeye Maïga en prison et dont la situation sanitaire se dégrade, il y a aussi l’ancien 4e vice-président du CNT Issa Kaou Djim, en prison puis sorti, on peut donc dire que les libertés individuelles voire collectives ne sont pas tout à fait respectées comme par le passé dans le contexte politique actuel du Mali.

(Re)lire : Mali : la Cédéao peut-elle favoriser un retour rapide d'un processus démocratique ? Entretien avec l'économiste Etienne Fakaba Sissoko

TV5MONDE : Le cadre d’échanges des partis peut mèner visiblement ses activités, dans quelles conditions cela se passe ?

Mohamed Amara : Jeudi 10 févier, lors d'un atelier ils ont produit un document pour demander un changement dans la transition, notamment pour un nouveau premier ministre neutre etc. Dans la situation actuelle, il y a un sentiment de tolérance vis-à-vis de leurs activités. Mais jusqu’où cela va durer ? Si il n’y pas d’entente entre eux et la transition va-t-on leur laisser cette liberté de manifester à l'avenir ? Leur laissera-t-on la liberté de s’opposer à tout ce qui est anticonstitutionnel de leur point de vue ? C’est de vraies questions.
 

Il y a un risque d’une confrontation, dans la mesure où les rapports de force sont tendus.
Mohamed Amara, sociologue.

Pour l’instant, il s’agit de communiqués et de prises de parole dans les médias qui n'ont pas été sanctionnés officiellement. Je n’ai vu personne se plaindre d’être maltraité ou d’être convoqué par un juge en raison de l’action menée dans le Cadre d'échanges des partis et groupements politiques pour une transition réussie.

TV5MONDE : Mais lors de son dernier séminaire, le Cadre a annoncé qu’il ne reconnaitrait plus les autorités de transition à partir du 25 mars qui est la date de la fin de la transition prévue par l’ancien président Bah Ndaw. Si cette annonce est mise à exécution, le Cadre ne risque-t-il pas d’être dans l’illégalité et d’être arrêté ?

Mohamed Amara : Bien sûr, il y a un risque d’une confrontation, dans la mesure où les rapports de force sont tendus. S’ils appellent à d’autres actions plus concrètes pour ne plus reconnaitre la transition à partir de la date indiquée y a un risque de confrontation et j’espère que les Maliens n’en arriveront pas là et que très vite il y aura un dialogue. Le Mali est un pays malade si on continue à tirer sur la corde elle va finir par se casser.

Voir aussi : Mali : un journaliste de Jeune Afrique expulsé du territoire