Mali : des attaques terroristes de plus en plus sophistiquées

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L'entrée de l'aéroport de Tombouctou, après l'attaque du 14 avril.
© STRINGER / AFP
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Dans la zone des trois frontières entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso, les groupes jihadistes multiplient les attaques d'envergure. Après l'attentat de Ouagadougou, c'est Tombouctou qui  a été frappé durement. Les forces internationales tentent de s'organiser face à la professionalisation du terrorisme.
Il est à peine 15 heures à Tombouctou ce jeudi 14 avril, lorsque plusieurs obus de mortier s’abattent sur le camp de la Minusma (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali).
Aussitôt les radios du personnel Onusien crachotent des consignes maintes fois répétées  et les hauts parleurs de sécurité prennent le relais avec de stridentes annonces : « IDF, IDF, IDF » (Indirect fire ou tirs indirects, en français). Heureusement, c’est un week-end. La majorité des employés sont chez eux. Les infortunés dans l’enceinte dans la base ont dû se terrer des heures durant dans des alcôves quasi-hermétiques, faites d’épais sac de sable. Quelques minutes après les premières explosions, un véhicule piégé et son conducteur explosent sur le poste de contrôle des forces armées Maliennes (FaMa),  à l’entrée de l’aéroport de Tombouctou.
 
TOmbouctou
Les restes du véhicule suicide qui a explosé sur le checkpoint des forces armées Maliennes à l'entrée de l'aéroport de Tombouctou
DR
 
Au moins deux autres voitures suicide parviennent à s’engouffrer dans cette brèche. L’une d'entre elles vient exploser devant l’entrée principale du camp des  Français et de la Minusma. Les pick-ups, maquillés aux couleurs des FaMa et de l’ONU ont réussi à tromper la vigilance des soldats. Plusieurs dizaines d’assaillants, certains déguisés en casques bleus profitent du chaos pour engager le combat. Certains sont munis de ceintures explosives. Une quinzaine de terroristes seront abattus par les forces internationales. L’assaut a duré plus de 4 heures.

Son ampleur  illustre une fois de plus la force de frappe dont dispose le Jamāʿat nuṣrat al-islām wal-muslimīn abrégé GSIM (Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans). Cette coalition terroriste, créée en mars 2017 au Mali, fédère depuis la quasi-totalité des mouvances jihadistes actives au Sahel. Elle a revendiqué, le 20 avril, l'attaque sur Tombouctou.

 
Une attaque d’ampleur, menée avec des moyens que l’on voit rarementGénéral Bruno Guibert

Pour Héni Nsaibia, chercheur au sein de l’organisme d’analyse des risques Menastream, l’emploi de véhicules piégés est « loin d’être nouveau. Depuis 2013, au moins 24 attaques ont été menées avec ce même mode opératoire dans la sous-région ». Ce qui change, c’est plutôt la volonté de ces groupes à s’attaquer directement et de manière frontale aux forces internationales. Si la stratégie du harcèlement (qui consiste à poser des mines ou à multiplier les escarmouches au passage de convois militaires) n’est pas abandonnée, Héni Nsaibia remarque que les groupes terroristes « confronte désormais leurs adversaires, tendent des embuscades comme celle à côté d’Akabar » début avril (près de la frontière nigérienne).

Dans une interview accordée au journal hebdomadaire l’Express, le général Bruno Guibert, commandant de l’opération Barkhane revient succinctement sur cette attaque dans laquelle des forces françaises en patrouille conjointe avec des groupes armés locaux se sont retrouvés nez à nez avec plus d’une centaine de combattants lourdement armés juchés sur des motos et en tenues d’apparat. « Une embuscade bien exécutée mais qui a échouée », affirme le général. L’armée Française annoncera avoir tué plus de 30 terroristes.

>>> Re(voir) notre reportage « Au centre du mali, autour de Mopti, le nouveau front contre les jihadistes »

L’ONU manque de moyens matériels

Face aux attaques, la Minusma tente de s’organiser et adapte ses plans de défenses. Des abris souterrains fortifiés sont en cours de construction, tout comme des postes d’observation et des murs de protections contre les effets de souffle en cas d’explosion.  L’ONU installe également un système de vidéo-surveillance dans tous ses camps et des centres d’opération pour la défense de ses bases.
Une « bunkérisation »  régulièrement critiquée. Dans un contexte pré-électoral tendu, les politiques maliens n’hésitent plus à indexer publiquement l’ONU. Le président Ibrahim Boubacar Keïta en février dernier posait même cette question : « A quoi bon faire du maintien de la paix alors que nous menons une guerre régionale contre le jihadisme ? ». Une remarque qui passe mal au sein des Nations-Unies : « si on a autant de morts c’est aussi parce qu’on est présent sur le terrain tous les jours et pas seulement dans nos camps », glisse un responsable onusien sous couvert d’anonymat.
 
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Les dégâts dans l'aéroport de Tombouctou, soufflé par l'explosion des véhicules suicide
© Twitter
 

L’Etat malien absent

Sur le terrain, la mission de l’ONU doit bien souvent se substituer à l’Etat malien, absent de nombreuses zones. Le nombre de représentants de l’État redéployés dans les régions du nord et du centre a diminué de 6% entre janvier et mars. Au 1er mars, dans les régions septentrionales et dans la région de Mopti, seuls 22% d’entre eux étaient à leur poste. Mais pour assurer ses missions, la Minusma manque cruellement de « véhicules blindés et d’aéronefs  de transport ».
Le Canada a fait part de son intention d’apporter deux hélicoptères Chinook dédiés au transport de troupes et quatre hélicoptères d’attaques Griffon ainsi qu’un petit contingent de soldat. Leur déploiement est prévu au mois d’août
 
En trois mois et demi, il y a eu trois attaques par véhicules suicide dans la sous-régionHéni Nsaibia, Menastream
Sur le terrain, plus particulièrement dans la zone des trois frontières entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso, les alliances opportunistes entre la branche locale de l'organisation état islamique et le GSIM sont régulières. Il y a une « amélioration technique et tactique, probablement due aux porosités entre les différents groupes terroristes, lesquels se « prêtent » des experts dans les domaines de la pose des IED (ndlr :engins explosifs improvisés) ou des tirs de mortiers », estiment Bruno Guibert. 
Depuis le début du mois de février, Barkhane multiplient les raids contre les têtes pensantes et les formateurs de ces groupes terroristes. Le 14 février, le n°2 de la coalition a été tué dans un assaut mené près de la frontière algérienne.
Pour s’adapter à la menace, les Français s’appuient aussi sur des partenaires qui maîtrisent parfaitement la zone.

Des forces spéciales patrouillent régulièrement avec des groupes armés locaux (le MSA et le Gatia notamment). Pas une semaine ne passe sans que l’un de ces patrouilles n’engagent le combat avec de présumés terroristes.
 Héni Nsaibia estime pour sa part que les coups portés au GSIM par l'armée Française sur le terrain n’ont pas entamé ses capacités de nuisances mais a bouleversé sa chaîne de commandement. « Le GSIM a tendance à déployer beaucoup de nouvelles recrues dans des attaques comme celles de Tombouctou ou de Ouagadougou mais pas de combattants expérimentés ou des donneurs d’ordres. Ils veulent les préserver (…) car la restructuration du GSIM est loin d’être terminée. »