Fil d'Ariane
Malgré les efforts militaires déployés au Sahel pour lutter contre le terrorisme, ni les armées des pays de la région - réunies au sein du G5 Sahel, ni celles de l’opération française Barkhane et de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) ne parviennent à endiguer la menace. Au contraire, la situation ne cesse de se dégrader. Les groupes armés pullulent et occupent des territoires entiers dans le nord et le centre du pays.
À quelques jours du premier tour des élections législatives, Soumaïla Cissé, chef de l'opposition, figure d’envergure de la scène politique malienne, a été enlevé alors qu’il faisait campagne dans la région de Tombouctou, près de Niafunké, son fief. Si le rapt n’a pas été officiellement revendiqué, il serait selon ses proches et la cellule de crise mise en place par le gouvernement, entre les mains de la katiba du Macina [groupe armé djihadiste lié au Groupe de Soutien à l'Islam et aux Musulmans (GSIM) dirigé par le prédicateur Amadou Koufa, ndlr]. Il est en vie et les négociations avancent.
« Un pan entier du pays est devenu un no man’s land et celui qui veut s’y rendre est obligé de composer avec des groupes non contrôlés », explique le journaliste et analyste politique Alexis Kalambry, pour qui Soumaïla Cissé « n’est visiblement pas tombé sur le bon groupe ».
Enlèvements de présidents de bureaux de vote, vol et destruction d’urnes, opérations d’intimidation… Entre les deux tours, les terroristes ont semé la mort : 25 militaires maliens ont été tués dans la région de Gao (Nord) dans une opération revendiquée officiellement cette fois par le GSIM, affilié à al-Qaïda.
Pour le premier tour, le 29 mars, de nombreux bureaux de vote dans les régions les plus gangrénées sont restés fermés. Ailleurs, peu se sont déplacés : le taux de participation n’a pas atteint les 36%. Si le contexte sécuritaire a joué dans certaines zones, ce n’est pas le cas pour la capitale, où la participation a été de 12,9% : “À Bamako, il y a une désaffection vis-à-vis du politique. […] Dans tous les cas, on n'a jamais vu de chorus autour des élections au Mali et particulièrement à Bamako », précise Alexis Kalambry. Moins de 35% des électeurs ont voté pour le second tour de la dernière présidentielle en 2018. Pour celui de ces législatives, « on ne se fait d’illusions ».
Cela fait deux fois qu’on repousse ces législatives, on ne peut pas continuer à avoir des députés sans aucune légitimité.Camara Fata Maïga, chargée de mission Communication auprès du ministère de l’Administration Territoriale et de la Décentralisation
Cette élection se déroule aussi dans le contexte de l’épidémie du Covid-19. Le Mali a officiellement déclaré 216 patients et 13 décès ce 18 avril. Lors du premier tour, malgré les mesures sanitaires prises par les autorités, « elles n’étaient pas respectées », rappelle Alexis Kalambry.
Cette fois-ci, la situation sanitaire étant encore plus préoccupante, « la pandémie et la psychose autour de sa propagation vont jouer ». Ibrahim Boubacar Keïta, le président malien, a pris l'engagement que "toutes les mesures sanitaires et sécuritaires requises [seront] rigoureusement appliquées" dimanche.
La crainte de ceux qui étaient opposés à la tenue des élections, c’est la pandémie.Alexis Kalambry, journaliste
Gel hydroalcoolique, kits de lavage de main, masques mis à disposition dans les bureaux de vote, distance de sécurité d’au moins un mètre, présence d’agents à l’entrée de chaque centre afin d’éviter les rassemblements de plus de 50 personnes.
Un dispositif renforcé a été mis en place « avec l’appui de nos partenaires qui nous accompagnent traditionnellement lors des élections » (Banque mondiale, ONG comme Médecins Sans Frontières…), précise Camara Fata Maïga, chargée de mission Communication auprès du ministère de l’Administration Territoriale et de la Décentralisation.
Mais le maintien du scrutin n’est pas du goût de tout le monde. « La crainte de ceux qui étaient opposés à la tenue des élections, c’est la pandémie », explique Alexis Kalambry, mais « il ne faut pas ajouter un problème institutionnel à ceux que nous connaissons déjà », souligne-t-il.
« Cela fait deux fois qu’on repousse ces législatives, on ne peut pas continuer à avoir des députés sans aucune légitimité, qui ne sont pas vraiment dans la légalité constitutionnelle et on a besoin d’une assemblée vraiment capable de conduire les réformes », tranche Madame Maïga.
Le mandat du parlement élu en 2013 devait prendre fin en novembre-décembre 2018, mais son renouvellement a été reporté à deux reprises. Des prorogations officiellement pour mieux organiser les législatives, et pour engager les réformes institutionnelles prévues dans l’accord de paix d’Alger (signé en 2015 entre les groupes armés et le gouvernement) et en raison de l’insécurité.
Lors du dialogue national inclusif de décembre lancé par le chef de l’état, l’une des prérogatives était le retour à l’ordre constitutionnel, c’est-à-dire l’organisation des élections. L'accord de paix prévoit plus de décentralisation via une réforme constitutionnelle qui doit ètre votée par l'Assemblée.
Il y a deux ans, l’opposition avait rejeté la proposition de révision de la Constitution : elle y voyait “une reddition vis-à-vis des groupes armés, un partage du pays qui ne dit pas son nom. Le pouvoir a reculé”, précise Alexis Kalambry. Ce dialogue national « a tracé les grandes lignes de ce qui sera fait, il s’agit maintenant de parler avec tout le monde et de coucher un nouveau projet sur le papier ».
Parmi les 22 députés élus dès le premier tour de ces législatives, figure Soumaïla Cissé. Mais la plupart proviennent du parti présidentiel.