Mali : et l'Europe dans tout ça ?

Si l'Europe sait imposer une politique économique à ses membres, elle semble aujourd'hui totalement absente du registre de la politique étrangère : la France s'en va en guerre au Mali sans que personne dans l'Union n'y trouve à redire ou ne soit obligé de l'aider. La solidarité ou les obligations européennes sont-elle seulement cantonnées à la réduction des déficits ?
Catherine Ashton : le Haut Représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité
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Il serait donc possible qu'un Etat membre de l'Union ne puisse pas, à de nombreux niveaux, choisir à son gré ses stratégies nationales (budgets, normes agricoles, politiques industrielles, etc) dans le cadre européen, mais n'ait par contre aucune difficulté pour agir comme bon lui semble d'un point de vue militaire. Sans aucune discussion préalable avec ses partenaires, ni aucune obligation de solidarité financière ou logistique de leur part à son égard. Si la population française, dans les sondages, soutient à 65% l'intervention militaire dans son ex-colonie africaine, c'est exactement l'inverse de l'autre côté du Rhin : les allemands ne plébiscitent pas une intervention allemande au Mali, et ce, à plus de 70% . Mais au delà des sondages d'opinion, les questions d'une défense commune européenne et d'une solidarité entre membres de l'Union sont soulignées au trait rouge par l'intervention militaire de François Hollande afin de stopper les djihadistes du nord-Mali.

L'Union a pourtant un ministre des affaires étrangères

L'Union européenne est dotée d'un Haut Représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Catherine Ashton, l'équivalent d'un ministre des affaires étrangères pour l'Europe. Celle-ci a déclaré, suite à l'intervention  française : «Nous reconnaissons l'importance de ce que fait actuellement la France (...) mais nous devons traduire tout cela dans un ensemble de mesures plus larges afin de fournir une solution de long terme». Catherine Ashton est censée coordonner la Politique européenne de sécurité et de défense, et ses paroles, au vu de la situation malienne, sonnent creux. Sur l'engagement possible ou non d'autres pays aux côtés de la France au Mali, la représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité refuse de répondre précisément et se contente d'annoncer une réunion pour le 5 février, en ajoutant : "Nous jouerons un rôle primordial et très actif sur ce dossier dans les semaines et les mois à venir". La diplomatie européenne incarnée par Madame Ashton n'a jamais pu permettre de décision politique cohérente des pays membres de l'Union lors de l'intervention en Libye qui fut finalement prise en charge par…l'OTAN. La diplomatie et la défense européenne existent sur le papier, mais dans les actes ?

La locomotive européenne franco-allemande en panne sur les sujets délicats ?

Si l'Union a jusqu'alors été incapable d'activer une défense et une diplomatie européennes dignes de ce nom, ses deux pays membres poids-lourds, la France et l'Allemagne pourraient pallier à cette carence. Au moins sur le pan de la solidarité, qu'elle soit logistique ou financière. Mais là encore, la déception est grande : l'Allemagne a mis à contribution deux avions de transport en tout et pour tout afin d'aider son partenaire français dans son effort de guerre au Mali. L'aide allemande est si faible que même une partie de sa propre classe politique s'en indigne. L'euro-député écologiste, Daniel Cohen-Bendit s'est inquiété lui aussi du déficit de construction européenne au parlement le 16 janvier dernier, déficit qui amène la France selon lui à intervenir seule au Mali, faisant perdre toute crédibilité au message d'union des pays membres : «Vous avez dit 'nous', 'Nous sommes concernés', tout le monde dit 'nous', mais il n’y a que des soldats français là-bas (…) On dit aux Français : 'On va vous donner les infirmières et allez vous faire tuer au Mali' (…)Nous ne serons crédibles que si nous ne laissons pas les soldats français seuls au Mali. C’est une division du travail qui, pour beaucoup dans l’opinion française, est inacceptable». 
L'Allemagne n'est pas prête à s'engager dans un conflit militaire : mais en quoi une aide logistique, financière auprès de la France, à la hauteur de l'enjeu, serait-elle gênante ? Pour revenir à la solidarité européenne : la déstabilisation du Mali par des groupes djihadistes concerne-t-elle seulement l'ancien pays colonisateur (la France) ? Les pays membres de l'Union ont-ils intérêt à ce que le chaos doublé d'un coup d'état islamiste se produise dans un pays d'Afrique subsaharien de la CEDEAO (Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest) ? Est-ce une bonne chose de laisser un pays membre de l'Union faire cavalier seul dans une opération militaire de grande envergure ? Quel message l'Europe renvoie-t-elle en laissant la France se jeter, toujours seule, dans une guerre taxées par certains de post-coloniale ?

L'Europe de la défense et de l'énergie sont en panne

Noëlle Lenoir, ministre des affaires européennes de 2002 à 2004, estime que "Ce qui est extrêmement préoccupant, c'est la chute très importante des budgets militaires (européens, NDLR) : il n'y a pas de vision européenne de la défense." L'ancienne ministre aux affaires européennes est déçue : "Auparavant, avec le traité de Nice, les opération militaires de l'Union européenne ne pouvaient se faire que dans le cadre d'un maintien de la paix et ce qui est décevant, c'est qu'aujourd'hui les possibilités d'interventions militaires sont élargies par le traité de Lisbonne, elles pourraient donc être de pures interventions militaires. Mais ça n'a pas été le cas en Libye, et cela ne le sera pas non plus au Mali". Sur les contraintes des politiques économiques qui pèsent sur les Etats membres alors qu'aucune solidarité ou règle de solidarité ne voit le jour en termes de défense, Noëlle Lenoir est sans appel : "On a consenti des aides aux banques de 4500 milliards, et sans doute plus, puisqu'il y a des aides aux banques chypriotes qui continuent d'être effectuées puisque ce pays est au bord du gouffre. Il y a donc deux poids deux mesures. Et sur la défense, il n'y a pas de système intégré, la lourdeur bureaucratique est invraisemblable, tout le monde se range derrière l'OTAN, alors qu'ils n'ont pas envie de continuer à intervenir. Si l'Europe a failli, et il en va de son indépendance, c'est sur l'énergie et la défense." L'affaire malienne est une nouvelle épine dans le pied de la diplomatie européenne, censée être composée de pays devant s'entendre, s'entraider, et parler au final d'une seule voix. Si différents représentants de l'Union, pour faire bonne figure, comme le ministre des affaires étrangères français Laurent Fabius, annoncent de potentiels soutiens logistiques ou militaires d'autres pays membres mais selon leur bon vouloir, ce sera en réalité seulement une aide financière européenne qui sera accordée à la force d'intervention africaine approuvée par l'ONU. Accompagnée d'une mission de formation de cette même force. Et rien de plus.
Venant de la part de la première puissance économique au monde, on pouvait attendre mieux.