Mali : le contrat avec Africa Corps va-t-il être renouvelé ?

Depuis plusieurs années, les autorités militaires au Mali font appel à des mercenaires russes pour les aider à lutter contre le terrorisme. Leur présence est un peu plus incertaine. État des lieux avec Seidik Abba, journaliste et spécialiste du Sahel. 

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Un habitant fait flotter le drapeau russe à Ouagadougou, au Burkina Faso, le 2 octobre 2022.
Un habitant fait flotter le drapeau russe à Ouagadougou, au Burkina Faso, le 2 octobre 2022.
AP/Sophie Garcia
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La Russie va-t-elle perdre de son influence au Mali ? Le contrat que les autorités de transition maliennes avaient passé avec le groupe paramilitaire russe Wagner arrive à échéance au mois de février. Depuis la mort d'Evgueni Prigojine en août 2023, le nom du groupe a été remplacé par Africa Corps par le Kremlin. Les relations entre Africa Corps et les autorités maliennes sont-elles au beau fixe ? 

Comment les paramilitaires russes sont-ils arrivés au Mali ? 

  • La présence du groupe paramilitaire russe au Mali date de quelques mois avant le début de l'invasion russe de l'Ukraine, en 2021.

  • En mai 2021, un coup d'État amène le colonel Assimi Goita au pouvoir.

  • Peu après l’arrivée au pouvoir du colonel au Mali, le président français Emmanuel Macron annonce la fin de l’opération Barkhane. 

  • Avec le départ annoncé des 5 000 soldats français du Sahel, le colonel Assimi Goita invite les mercenaires de Wagner à les remplacer. 

Seidik Abba est journaliste, enseignant et chercheur spécialiste du Sahel. Selon lui, malgré “quelques malentendus” entre les paramilitaires russes et les autorités maliennes, il n’y a pas de raisons que l’accord ne soit pas reconduit.  

TV5MONDE : Pourquoi y a-t-il un coup de froid entre les généraux maliens et Africa Corps ?

Seidik Abba : Il y a eu quelques malentendus autour de l'attaque de Tinzawaten en juillet. L'armée malienne et Wagner/Afrika Corps, avaient mené une opération en juillet 2024 dans la région de Tinzawaten contre les ex-rebelles signataires des accords d'Alger( accord de paix et de réconciliation signé entre l'Azawad et Balmako en 2015). Cet accord a été dénoncé par les autorités maliennes en janvier 2024, après la reconquête de Kidal en novembre 2023. Donc, les ex-rebelles s'étaient repliés un peu vers Tinzawaten, plus loin sur la frontière algérienne et ont essayé de s'organiser militairement. 

Il y a des chances que le contrat entre les militaires et les mercenaires russes soit renouvelé. 

Seidik Abba, spécialiste du Sahel

Pour eux, même si l'accord a été dénoncé, seule restait l'option militaire. Cependant, cette offensive des militaires maliens appuyée par Afrika Corps n'a pas connu le succès attendu. Afrika Corps a perdu beaucoup d’hommes, c’est la première fois que les mercenaires ont essuyé autant de pertes humaines sur une opération militaire. Ils ont ensuite mené une seconde opération qui a connu plus de succès que la dernière.Il y a eu des tensions sur les raisons de l'échec de la première opération, mais aussi sur la stratégie de la seconde.

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Mais pour beaucoup d'observateurs, il y a des chances que le contrat entre les militaires et les mercenaires russes soit renouvelé parce que chacune des parties y trouve des intérêts, malgré cet épisode de tensions autour des attaques de Tinzawaten. C'était la première fois que des tensions apparaissaient entre les militaires et leurs partenaires russes.

Malgré les améliorations que le Mali a obtenues sur le plan de l'équipement, de son armée, de la mobilité, ils ont encore besoin de la présence des militaires russes.

Seidik Abba, spécialiste du Sahel

Je pense qu’ils ont su les gérer et les surmonter. Pour moi, il y a plus de chances que l'accord soit renouvelé plutôt qu’il ne le soit pas. Malgré les améliorations que le Mali a obtenues sur le plan de l'équipement, de son armée, de la mobilité, ils ont encore besoin de la présence des militaires russes. Et ce contrat rapporte de l’argent à Africa Corps. 

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TV5MONDE : Qu’est-ce qu’Africa Corps apporte aux Maliens actuellement ? 

Seidik Abba : Les Russes sont très attentifs à toutes les demandes d’équipement de la part du Mali. Ces derniers jours, de nouveaux équipements sont arrivés de Russie, apparemment pour les forces armées maliennes. Ainsi, le contrat avec Africa Corps permet aux Maliens d’acquérir du matériel militaire.

Par ailleurs, les gens d’Africa Corps accompagnent l'armée malienne sur le terrain, dans les opérations. C'est pour ça qu'il y a des morts dans le rang de l'Africa Corps. Et la présence d’Africa Corps au Mali doit également apporter des renseignements à la Russie. De chaque côté du deal, chacun y trouve son compte.

Au Sahel, il n'y a pas de mouvement aujourd'hui capable de faire ce que les Syriens ont fait, capable de venir prendre Bamako.

Seidik Abba, spécialiste du Sahel

TV5MONDE : La chute de Bachar-al Assad, censé être soutenu par Vladimir Poutine, a-t-elle terni l’image de la Russie sur le continent africain ? 

Seidik Abba : Non, pas du tout. J'ai vu beaucoup de spéculations là-dessus, parce que le contexte n'est pas le même. Et en Russie, ce qui s'est passé, c'est qu'un deal a été fait entre la Russie et la Turquie, la Russie et l'Iran, pour lâcher le régime de Bachar al-Assad. Les Russes ont préféré leur relation avec la Turquie et celle avec l'Iran. On n'est pas dans la même configuration. Et au Sahel, il n'y a pas de mouvement aujourd'hui capable de faire ce que les Syriens ont fait, capable de venir prendre Bamako.

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Les garanties que la Russie a apportées au régime de Bachar al-Assad ne sont pas les mêmes garanties qu'elles apportent aux jeunes Sahéliens. Et c'est pas le même contexte aussi. 

Donc tous ces éléments font que ce qui s'est passé en Syrie est une chose locale qui a fait l'objet d'un arrangement entre les parties citées plus haut. La Russie n'a fait aucun effort pour défendre le régime syrien, puisque les bases n'ont pas bougé, personne n'a rien fait.

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Quand elle le voulait, elle l'a fait. Mais là, elle l'a, compte tenu du contexte, compte tenu de sa volonté de ne pas s'aliéner ses relations, que ce soit avec la Turquie ou le contexte africain. Ce n’est pas la même configuration au Sahel. Et ça ne change pas le type de rapport que les pouvoirs militaires du Sahel ont avec la Russie. 

TV5MONDE : La dynamique malienne a-t-elle changé depuis les premiers contacts avec les mercenaires russes ? 

Seidik Abba : Le Mali est dans une dynamique avec l'Alliance des États du Sahel (AES), ce n'est plus le Mali tout seul. C'est le Mali avec le Burkina Faso et le Niger. En septembre 2023, ils ont signé l'accord sur la création de l'AES en septembre 2023, qui est devenue la confédération de l'Alliance des États du Sahel en juillet 2024. 

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Le ministre de la Défense du Niger a fait une conférence a donné une interview il a évoqué les prochains développements de l’AES, avec notamment la mise en place d'une force de 5 000 hommes pour les trois pays, qui va être une force guerrière contre le terrorisme. Toutefois cette dynamique ne portera pas préjudice à Africa Corps, car tous ces pays sont aussi alliés avec la Russie. C’est complémentaire.