Fil d'Ariane
Le président malien Ibrahim Boubacar Keïta et son premier ministre Boubou Cissé ont été arrêtés mardi 18 août par des militaires en révolte. Ces derniers les ont emmenés dans un camp militaire dans la banlieue de Bamako, a indiqué Boubou Doucouré, le directeur de la communication du chef du gouvernement malien.
Les deux dirigeants "ont été conduits par les militaires révoltés dans des véhicules blindés à Kati", où se trouve le camp Soundiata Keïta, à une quinzaine de kilomètres de Bamako, a précisé M. Doucouré, confirmant une affirmation à l'AFP d'un des chefs de la mutinerie. Tous deux avaient été arrêtés en fin d'après-midi au domicile du président Keïta.
"Nous pouvons vous dire que le président et le Premier ministres sont sous notre contrôle. Nous les avons arrêtés chez lui" (au domicile du chef de l'Etat à Bamako), avait déclaré à l'AFP un des chefs de la mutinerie, sous couvert d'anonymat.
Les mutins ont ensuite pris le contrôle du camp et des rues adjacentes, avant de se diriger en convoi vers le centre de la capitale, selon un correspondant de l'AFP.
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Dans Bamako, ils ont été acclamés par des manifestants rassemblés pour réclamer le départ du chef de l'Etat aux abords de la place de l'Indépendance, épicentre de la contestation qui ébranle le Mali depuis plusieurs mois, avant de se diriger vers la résidence du président Keïta, selon la même source.
Avant même l'annonce de l'arrestation du président et de son premier ministre, les pays de l'Afrique de l'Ouest, la France ou encore les Etats-Unis avaient exprimé leur inquiétude et dénoncé toute tentative de renversement du pouvoir.
Le président français Emmanuel Macron s'est entretenu de la crise qui s'est déclenchée à Bamako avec ses homologues nigérien Mahamadou Issoufou, ivoirien Alassane Ouattara et sénégalais Macky Sall, et il a exprimé "son plein soutien aux efforts de médiation en cours des Etats d'Afrique de l'Ouest".
Le chef de l'Etat "suit attentivement la situation et condamne la tentative de mutinerie en cours", a ajouté la présidence française. Quelque 5 100 militaires français sont déployés au Sahel, notamment au Mali, dans le cadre de l'opération antijihadiste Barkhane.
Le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, avait auparavant affirmé que la France condamnait "avec la plus grande fermeté" cette "mutinerie".
Le président de la Commission de l'Union africaine (UA), Moussa Faki Mahamat, a condamné "énergiquement" l'arrestation du président malien.
Le chef de la diplomatie de l'Union européenne Josep Borrell a "condamné" mardi "la tentative de coup d'Etat en cours au Mali". "L'Union européenne condamne la tentative de coup d'Etat en cours au Mali et rejette tout changement anti-constitutionnel. Ceci ne peut en aucun cas être une réponse à la profonde crise socio-politique qui frappe le Mali depuis plusieurs mois", a affirmé Josep Borrell, dans un communiqué publié par ses services.
Une réunion d'urgence du Conseil de sécurité de l'ONU devrait se tenir ce mercredi.
Peu avant son arrestation par les militaires, le Premier ministre Boubou Cissé leur avait demandé dans un communiqué de "faire taire les armes", se disant prêt à engager avec eux un "dialogue fraternel afin de lever tous les malentendus".
"Les mouvements d'humeur constatés traduisent une certaine frustration qui peut avoir des causes légitimes", avait estimé M. Cissé, sans plus de détails sur les raisons de la colère des militaires.
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Plusieurs chancelleries occidentales avaient fait état dans la journée de l'arrestation de personnalités politiques, dont des ministres, mais elles n'ont pas pu être confirmées de source officielles, pas plus que celles concernant des hauts gradés, revendiquées par les mutins.
Le Mali est confronté à une grave crise socio-politique qui préoccupe la communauté internationale.
Une coalition hétéroclite d'opposants politiques, de guides religieux et de membres de la société civile multiplie les manifestations pour réclamer le départ du président Keïta, accusé de mauvaise gestion.
A cela s'ajoute une "situation sociale délétère", selon la dirigeante syndicale Sidibé Dédéou Ousmane.
Le Mouvement du 5 juin-Rassemblement des Forces patriotiques du Mali (M5-RFP), qui mène la contestation, a refusé jeudi dernier une rencontre avec le président Keïta, fixant notamment comme préalable la fin de la "répression" contre ses militants.
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Le weekend du 10 juillet, une manifestation à l'appel du Mouvement du 5 juin a dégénéré en trois jours de troubles meurtriers.
C'est du camp de Kati, le 21 mars 2012, alors que les rebelles touareg avaient lancé une offensive majeure dans le nord du Mali et que les jihadistes affluaient en provenance des pays voisins, que des soldats s'étaient mutinés contre l'inaptitude du gouvernement à faire face à la situation.
Ils avaient chassé le président Amadou Toumani Touré.
Le coup d'Etat avait précipité la chute du nord du Mali aux mains de groupes islamistes armés, qui ont occupé cette région pendant neuf mois avant d'en être en partie chassés par une intervention militaire internationale lancée par la France en janvier 2013 et toujours en cours.
Sous la pression internationale, la junte avait fini par céder le pouvoir à des autorités civiles intérimaires jusqu'à l'élection en 2013 d'Ibrahim Boubacar Keïta.
Malgré les interventions étrangères, les violences jihadistes, souvent mêlées à des conflits communautaires et à du banditisme, se poursuivent et se sont même étendues depuis 2015 au centre du Mali et aux pays voisins, Burkina Faso et Niger.
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