Fil d'Ariane
Entourés de militaires en armes, Malick Diaw, n°2 du "Comité national pour le salut du peuple" (CNSP) mis en place par les putschistes, ou encore leur porte-parole, le colonel-major Ismaël Wagué, ont été accueillis sous les youyous au pied du monument de l'Indépendance.
"Nous sommes venus (...) remercier le peuple malien pour son soutien. Nous n'avons fait que parachever le travail que vous aviez commencé", a lancé à la foule enthousiaste Ismael Wagué, après avoir expliqué par "un empêchement de dernière minute" l'absence du chef de la junte et nouvel homme fort du Mali, le colonel Assimi Goïta, 37 ans.
Selon les estimations d'un correspondant de l'AFP, la foule était plus nombreuse que lors des manifestations organisées depuis juin par le Mouvement du 5-Juin (M5-RFP) pour réclamer le départ du président Keïta, dit "IBK".
Les militaires ont ensuite laissé la place aux dirigeants de cette coalition hétéroclite qui avait appelé au rassemblement de vendredi. Ceux-ci ont salué l'intervention des militaires: "il n'y a pas de coup d'Etat, il n'y a pas de junte, nous avons des Maliens qui ont pris leurs responsabilités", expliqué l'un de ces dirigeants, Mohamed Aly Bathily.
L'influent imam Mahmoud Dicko, figure morale dont le rôle a été crucial dans la mobilisation anti-IBK, a lui annoncé à la foule retourner "à la mosquée", avant de remercier les militaires putschistes et d'appeler à "chasser les démons de la division".
"Je suis imam et je reste imam", a ajouté l'imam Dicko, laissant néanmoins entendre qu'il continuerait à exercer une influence sans toutefois s'impliquer directement dans l'action politique.
"Nous avons gagné (...) c'est la victoire du peuple", jubilait Mariam Cissé, 38 ans dans la foule.
Une mission dépêchée par la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cédéao) pour réclamer le "retour à l'ordre constitutionnel" est attendue samedi à Bamako. Elle sera conduite par l'ancien président nigerian Goodluck Jonathan, accompagné du président de la Commission de la Cédéao, Jean-Claude Kassi Brou, et du ministre des Affaires étrangères du Niger, Kalla Ankourao.
La junte la recevra "avec plaisir" samedi 22 août, a assuré à l'AFP un responsable du nouveau pouvoir, alors que des manifestants brandissaient vendredi des pancartes hostiles à l'organisation ouest-africaine qui a réclamé jeudi le "rétablissement" du président Keïta, au pouvoir depuis 2013.
La délégation entamera sa visite par des "briefings avec les représentants de l'Union africaine et de la mission de l'ONU au Mali (Minusma), puis des ambassadeurs des pays de la Cédéao à Bamako", selon le programme provisoire de la mission.
Elle rencontrera ensuite les membres du Comité national pour le salut du peuple (CNSP), l'instance mise en place par les militaires pour diriger le pays. La rencontre avec la junte aura lieu au ministère de la Défense.
Les envoyés spéciaux effectueront ensuite une visite "aux personnalités arrêtées" à Kati, la ville-garnison de la banlieue de Bamako devenue le centre du nouveau pouvoir.
Dans la foulée, la délégation ouest-africaine devrait s'entretenir avec le président déchu, Ibrahim Boubacar Keïta.
"En début de soirée, nous aurons un entretien avec le président malien Ibrahim Boubacar Keïta", a précisé un membre de la délégation de la Cédéao s'exprimant sous couvert d'anonymat.
"La Cédéao rencontrera IBK ce soir", a confirmé, à l'AFP, un membre de la famille du président, arrêté et détenu depuis mardi par les militaires avec une quinzaines de hauts responsables civils et militaires, dont le Premier ministre Boubou Cissé.
Dimanche matin, un meeting devrait être organisé avec les ambassadeurs à Bamako des cinq membres permanents du Conseil de Sécurité de l'ONU (France, Etats-Unis, Russie, Grande-Bretagne et Chine).
"Nous avons autorisé une mission des droits de l'Homme de l'ONU au Mali à rendre visite à tous les 19 prisonniers de Kati, y compris" l'ancien chef de l'Etat et son Premier ministre, a déclaré à l'AFP un responsable de la junte.
Parmi les autres personnalités arrêtées figurent le ministre de la Défense et celui de la Sécurité, les généraux Ibrahima Dahirou Dembélé et M'Bemba Moussa Keïta, le président de l'Assemblée nationale Moussa Timbiné et le chef d'état-major de l'armée, le général Abdoulaye Coulibaly.
"Nous avons libéré deux prisonniers, l'ancien ministre des Finances et de l'Economie Abdoulaye Daffé et Sabane Mahalmoudou", secrétaire particulier du président, a affirmé le responsable de la junte, "c'est la preuve que nous respectons les droits de l'Homme".
Abdoulaye Daffé est considéré comme proche du chérif de Nioro, autorité musulmane et mentor de l'imam Dicko.
Le président déchu et son Premier ministre ont été transférés dans une villa de Kati, où ils sont privés de télévision, de radio et de téléphone, selon deux personnes ayant assisté à la visite, dont un responsable de la junte.
"Leurs conditions de détention sont acceptables", le président malien "avait l'air fatigué mais serein", selon une de ces sources. Quant à Boubou Cissé, il était d'un "calme olympien".
Les autres sont détenus dans un centre de formation de Kati, où ils "dorment sur des matelas et partagent une même télévision", ont indiqué des témoins à l'AFP.
La junte entend mettre en place "un conseil de transition", avec un président qui sera "un militaire ou un civil".
Elle a annoncé la réouverture dès vendredi 21 août des frontières terrestres et aériennes, même si les voisins du Mali ont fermé leurs propres frontières avec lui, sauf pour les denrées de première nécessité, les médicaments et l'énergie.
Par ailleurs, le chef de l'opposition malienne Soumaïla Cissé, enlevé par de présumés jihadistes le 25 mars, en pleine campagne législative, a transmis des lettres à sa famille, sans contact avec lui depuis des mois, a annoncé vendredi le Comité international de la Croix-Rouge (CICR).
Il s'agit d'une des premières preuves de vie de l'ex-candidat aux présidentielles de 2013 et 2018, dont l'enlèvement avait en partie attisé la colère des anti-IBK.