Fil d'Ariane
La base militaire de Tombouctou sera rendue ce 14 décembre à l’armée malienne, dans le cadre du retrait de l’opération Barkhane. C’est dans cette ville que le président François Hollande a officialisé le début de l'intervention française, en février 2013.
Trois soldats repeignent soigneusement en blanc le socle du drapeau français dont les jours sont comptés, sur la modeste place d'armes du camp de l'opération Barkhane à Tombouctou. Ce 14 décembre au soir, la petite base dans le nord du Mali aura été rendue à l'armée malienne. Le départ de l'armée française de Tombouctou, après Kidal et Tessalit, marque un tournant symbolique fort : c'est dans cette ville, cité sainte de l'islam inscrite au patrimoine mondial de l'Unesco, que le président François Hollande a officialisé le début de l'intervention française.
Le 2 février 2013, quelques jours après le largage de légionnaires sur la ville placée depuis huit mois sous le joug de groupes djihadistes, François Hollande et son homologue malien à l'époque, Dioncounda Traoré, annonçaient tout sourire la libération de la ville par les armées malienne et française. "Certains ont été emportés par l'émotion, c'étaient des femmes qui pleuraient, des jeunes qui criaient, moi-même j'étais dépassé", raconte Yehia Tandina, journaliste à Tombouctou pour la télévision publique ORTM. "Dieu nous a même bonifiés par une pluie fine ce jour-là alors que ce n'était pas la saison pluvieuse".
"Oh! C'était la joie, c'était beau", renchérit Mohamed Ibrahim. Président du conseil régional, il avait offert un chameau à François Hollande. L'animal est resté au Mali. La légende dit qu'il a été mangé. À l'époque, "ce camp n'existait pas, on logeait dans les petites villas en dur en face du terminal" de l'aéroport, décrit le sergent français Mathieu. Le soldat aux vingt années de service est de retour avec l'unité chargée de rendre la base aux Maliens. "La boucle est bouclée", sourit-il.
Ce n'est plus pareil, même si l'ambiance n'est pas non plus hostile.
Sergeant Mathieu, soldat français
À l'époque, "la population nous acclamait quand on est arrivé", se souvient-il. Aujourd'hui, "ce n'est plus pareil, même si l'ambiance n'est pas non plus hostile". À la libération triomphale de Tombouctou, qualifiée par M. Hollande de "plus beau jour de (sa) vie politique", ont succédé plusieurs mois de traque des djihadistes dans les montagnes. L'année suivante, l'opération Serval a muté en Barkhane, avec un mandat étendu aux pays voisins.
Près de neuf ans plus tard, les groupes djihadistes ont étendu leur influence dans les brousses sahéliennes tandis que Paris, qui fait face à une hostilité grandissante dans la région, a annoncé la réduction de son engagement au Sahel (de 5 100 hommes à 3 000 à l'horizon 2022). "Il faut espérer que ça aille mieux pour les civils", répond le caporal-chef Julien, présent à Tombouctou en 2013, lorsqu’on lui demande si sa mission a été accomplie.
Pour la France, qui assurait en 2013 qu'il n'y avait "pas de risque d'enlisement", le combat paraît encore long pour atteindre l'objectif énoncé alors de débusquer tous les djihadistes. Pour de nombreux Tombouctiens, la présence dans la région de groupes jihadistes liés à Al-Qaïda, souvent des membres des mêmes communautés que les habitants, fait désormais partie du décor. Une certaine "stabilité" est revenue dans les brousses, disent des responsables sécuritaires et des diplomates occidentaux.
Une stabilité due à l'engagement français ou onusien, mais qui semble provenir au moins autant d'une acceptation de la participation d'acteurs non-étatiques, euphémisme pour les djihadistes, à la gouvernance locale, là où l’État n'est plus représenté, disent différents interlocuteurs sous couvert d'anonymat. "Quand il y a cohabitation, certainement il y a moins d'actes négatifs", élude le journaliste Tandina habillé d'un long bazin vert surmonté d'un chèche de la même couleur.
Il y a eu un développement globalement positif.
Ricardo Maia, chef à Tombouctou de la Mission de l'ONU au Mali
Le nombre d'attaques contre les civils est au plus bas dans la région depuis 2015, année de la signature d'accords de paix entre Bamako et des groupes rebelles du nord, selon l'ONU. Des réfugiés nomades qui avaient fui en Mauritanie et en Algérie sont revenus. Des écoles, fermées sous pression jihadiste, ont pu rouvrir sous certaines conditions. "Il y a eu un développement globalement positif", résume le chef à Tombouctou de la Mission de l'ONU au Mali (Minusma), Ricardo Maia.
Aucun occidental ne peut s'y rendre, sauf à être accompagné d'une forte escorte. Les services de l’État, présents en ville et soutenus par l'ONU, sont largement absents des campagnes. La nébuleuse djihadiste, représentée à Tombouctou par un émirat, revendique dans sa propagande le contrôle du territoire et des coeurs. "Pour une affaire de vol ou de conflit, beaucoup vont préférer aller voir le principal cadi (juge musulman) de la région que la justice de l’État", note un notable tombouctien. Celui-ci, Houka Houka Ag Alhousseini, figure sur les listes de sanctions de l'ONU pour avoir été juge islamique durant l'occupation djihadiste.
Dans le camp de Barkhane, un coq et deux poules errent dans la zone autrefois occupée par les forces spéciales françaises, estampillée "accès restreint". Les soldats font de la manutention dans les allées de latérite rouge. Tréteaux, antennes satellite, panneau de basket, caisses de médicaments: tout doit être expédié vers Gao, principale base française du Sahel, qui, elle, reste ouverte. Les Français laisseront derrière eux quelques tentes et de petits équipements pour les aviateurs maliens qui les remplaceront.
Le wifi a été débranché, livrant les derniers soldats français au même sort que les Tombouctiens: sans réseau ou presque, les antennes des opérateurs ayant été attaquées alentour par les jihadistes. En ville, malgré des accès de tension récurrents et souvent meurtriers, la vie suit son cours. Les échoppes du grand marché sont autant de lieux de palabres. L'église est ouverte aux fidèles, comme les mosquées millénaires qui font la renommée de la ville dite des 333 saints.
Avant il y avait du monde, mais aujourd'hui... C'est comme ça.
Aïcha Kader Cissé, gérante du restaurant Hollande
"Bien sûr, il y a les problèmes: le manque de travail, les problèmes de réseau, l'insécurité", explique Ali Ibrahim, étudiant en licence de droit de 26 ans. "Mais on est là, et on sera encore là demain, alors on vit avec !" Selon lui, même si la force militaire a "montré ses limites au Mali", il faut "reconnaître l'ampleur de l'engagement des Français depuis 2013 à nos côtés."
A quelques rues de là, servant toukassou (spécialité de Tombouctou) et autres omelettes, Aïcha Kader Cissé avait eu espoir en l'optimisme affiché par les présidents Hollande et Traoré. L'ancienne ménagère avait ouvert le "restaurant Hollande", avec pour cible les touristes autrefois nombreux. Il paraît bien vide quand elle l'ouvre. "Avant il y avait du monde, mais aujourd'hui... C'est comme ça".