Fil d'Ariane
"Gloire à l'armée malienne ! Vive les cinq colonels !" Ce 14 novembre à l'annonce de la prise de Kidal, les partisans du pouvoir militaires maliens ne cachaient par leur joie sur la place de l'Indépendance de Bamako. L'armée malienne n'avait plus mis les pieds depuis 2013, dans cette ville, fief de l'insurrection touarègue. Comment Kidal est tombée ? Assiste-t-on à une résurgence de l'armée malienne sur le théâtre sahélien ? Analyse.
Image aérienne de la ville de Kidal. La ville, fief des Touaregs compte un peu plus de 30 000 habitants.
Nous sommes le 31 octobre 2023, le dernier Casque bleu de la Minusma, la mission onusienne au Mali, quitte la ville de Kidal sur injonction des autorités maliennes. La rébellion touarègue a repris les armes contre le pouvoir militaire à Bamako. Une course contre la montre s'engage alors entre l'armée malienne et les rebelles touarègues pour le contrôle de la ville et les camps des forces de l'ONU.
Bruno Clément-Bollée, ancien général de l'armée française, spécialiste des questions militaires en Afrique
Au grand dam de la junte, les rebelles touarègues du Cadre stratégique permanent (CSP) s'emparent de la ville. Une colonne de l'armée malienne s'ébranle non loin de Gao pour prendre possession de Kidal. La ville est finalement reprise par les FAMA, pourtant éloignées de plusieurs centaines de kilomètres de leurs bases logistiques. Comment expliquer une telle victoire ?
Ancien général de l'armée française Bruno Clement-Bollée, désormais consultant, souligne tout d'abord les faiblesses du camp Azawad pour expliquer le succès de l'armée malienne. "Le camp Azawad est apparu divisé sur la stratégie à mener. Le MSA, le Mouvement pour le salut de l’Azawad, Moussa Ag Acharatoumane, s'est désolidarisé des hommes du CSP", souligne l'ancien officier de l'armée française. Une autre force armée est également très présente dans la région de Kidal. Et celle-ci n'est pas intervenue contre la colonne de l'armée malienne.
Bruno Clément-Bollée, ancien général de l'amée française, spécialiste des questions militaires en Afrique.
"Les djihadistes ont laissé faire. Ils n'ont pas pris part à ce combat. Le leader du Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans, Iyad Ag Ghali, [affilié à Al Quaida] très présent dans cette région, n'a pas fait intervenir ses troupes dans ce combat", explique Bruno Clément-Bollée. Les forces maliennes n'étaient pas seules. "Au sein de cette colonne, les hommes de Wagner étaient nombreux", souligne l'expert en sécurité internationale.
Selon RFI, lors des combats contre le CSP, l'armée malienne aurait également reçu le soutien de forces armées du Niger et du Burkina Faso. Les trois pouvoirs militaires ont scellé une alliance défensive. Cette participation ne serait que "symbolique" pour l'ancien militaire français. "Le Burkina aurait fourni un soutien logistique tout comme le Niger. Des rumeurs font également état d'un possible appui feu aux FAMA par un hélicoptère nigérien".
Voir : Kidal, une victoire symbolique pour le pouvoir
"Il y a eu une bataille à 30 kilomètres au sud de Kidal face au CSP, qui trop faible sur le terrain, n'a pas tenu longtemps, d'autant qu'il était déjà attaqué par des drones de combats sur ses positions à Kidal."
Bruno Clément-Bollée, ancien général de l'armée française, spécialiste des questions militaires en Afrique
Que sait-on de ces drones armés utilisés contre le CSP ? "Cela peut venir des hommes de Wagner. Mais aussi cela peut venir d'achats de l'armée malienne", explique Bruno Clément-Bollée. En mai dernier, le Niger a acquis une demi-douzaine de drones turcs de Baykar, des Bayraktar TB2 au prix abordable pour ses opérations militaires contre les groupes d'insurgés dans la région du Sahel, au sud du désert du Sahara et autour du lac Tchad.
L'enjeu de Kidal
Kidal occupe une place spéciale dans la géographie et les consciences sahéliennes. Ancien poste militaire français du début du XXe siècle, cette mosaïque de rues perpendiculaires et de bâtiments plats posée sur la poussière du désert est une étape cruciale entre le Mali et l'Algérie, à plus de 1.500 km et de 24 heures de route de la capitale Bamako.
Kidal, où vivent quelques dizaines de milliers de personnes, et sa région sont le foyer historique des insurrections indépendantistes successives qu'a connues le Mali depuis son indépendance vis-à-vis de la France en 1960. L'armée et l'Etat maliens n'avaient quasiment pas repris pied à Kidal depuis mai 2014. Un gouverneur exerçait depuis une présence symbolique.
En 2015, les rebelles touaregs avaient signé avec le gouvernement malien un accord de paix, renonçant à leurs projets indépendantistes contre plus d'inclusion dans la société malienne. Pour beaucoup de Maliens, cet accord entérinait une partition du Mali, et reprendre Kidal c'était y remédier.
Kidal est donc tombée. Mais l'armée malienne pourra-t-elle s'y maintenir, loin de ses bases ? "C'est d'une certaine manière maintenant que les choses vont devenir difficiles pour l'armée malienne. Les FAMA occupent désormais une ville où elles ne sont pas appréciées par la population", plus favorables aux mouvements politiques touarègues, constate Bruno Clément-Bollée.
La présence djihadiste reste forte dans la région. "Des rumeurs laissent entendre que le GSIM d'Iyad Ag Ghali au sud du Mali aurait trouvé un accord avec l'EIGS, l'Etat islamique. Ils auraient notamment décidé d'une alliance et regroupé leur moyens pour tendre une embuscade de grande ampleur contre les forces nigériennes près de la frontière malienne". Le bilan non encore confirmé serait très lourd.
Face aux djihadistes, les forces maliennes seront confrontées selon Bruno Clement-Bollée, à "un véritable défi logistique". "Les FAMA occupent désormais un camp dans un territoire très loin de leur base logistique la plus avancée Gao", avance l'ancien général de l'armée française.
Yvan Guichaoua, spécialiste du Sahel, auprès de l'AFP
Mais l'armée malienne a-t-elle gagné en efficacité ces derniers mois ? Il est encore difficile de l'affirmer. "Pour l'instant il me semble trop tôt pour affirmer que l'on assiste à une résurgence de l'armée malienne. On verra si les forces maliennes seront capables de sortir de Kidal, de faire des patrouilles hors de la ville", estime Bruno Clément-Bollée.
Interrogé par la BBC, Raoul Sumo Tayo, chercheur à l'Université de Liège, bon connaisseur du Mali estime que la solution est avant tout politique. Le pouvoir malien devra à nouveau parler avec les leaders politiques touaregs. Et accepter une plus grande autonomie pour ces territoires du nord du pays
"Qu'est-ce qui fait que des populations, ou alors des groupes dans cet espace, ne veuillent plus être Maliens ? C'est parce que l’État a été centralisé. On a eu le sentiment de marginalisation. Il y a eu cette question de la mauvaise redistribution des ressources matérielles et des ressources symboliques", estime le chercheur.
À défaut d'être une grande victoire militaire, la prise de Kidal est porteuse politiquement pour le régime en place à Bamako. « La conquête de Kidal envoie des messages au-delà du Mali », commente auprès de l'AFP le chercheur Yvan Guichaoua de la Brussels School of International Studies sur X (ex-Twitter). « Elle gonfle à bloc les régimes militaires. Elle dit : 1) les Russes font le boulot ; 2) utiliser la force, il n'y a rien de mieux. »
La prise de Kidal est surtout "une victoire politique" confirme Bruno Clément-Bollé, consultant international notamment auprès de l'opinion publique malienne.
Les autorités maliennes ont mis à profit deux matches de qualifications pour la Coupe du monde 2026 de l'équipe nationale de foot afin de fêter la récente victoire militaire de l'armée à Kidal (nord).
Lors des rencontres à Bamako contre le Tchad, et contre la République centrafricaine, le billet était 1.000 francs CFA (1,50 EUR) au lieu de 2.000 pour "permettre au public sportif malien de fêter la victoire héroïque des FAMa (Forces armées maliennes) en communion avec les Aigles" du Mali.