Mali : vers un regain d'activité militaire des forces françaises ?
Deux jours après la "neutralisation" de Ba Ag Moussa, haut responsable lié à Al-Qaïda dans la région du Sahel, une trentaine de djihadistes ont été tués par l’armée française, le 12 novembre 2020, à Niaki, dans le centre du Mali, selon l’état-major des armées françaises. Un regain d’activité des forces de l’opération Barkhane qui confirme que la réponse de la France à l’insécurité régionale demeure militaire, mais aussi que sa stratégie a évolué.
Début 2020, pour tenter de mettre fin à une situation d’insécurité dans laquelle le Mali s’enlise, le président malien Ibrahim Boubacar Keïta (renversé depuis le 18 août 2020) avait admis vouloir discuter avec les groupes djihadistes. En tête, le Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (GSIM), une coalition affiliée à Al-Qaïda, composée d'Ansar Dine, d'AQMI, de la Katiba Macina et d'Al-Mourabitoune, est devenu un acteur incontournable. Il a fondé sa stratégie sur un ancrage local, ce qui rend difficile de l'exclure du champ de négociations politiques.
Cette stratégie de dialogue entamée par Bamako peut étonner lorsque l’on sait les exactions qui sont commises. Mais cela relève du pragmatisme, et début octobre, plus d'un mois après la chute du président Keïta, le Premier ministre malien de transition Moctar Ouane en défend à son tour "la nécessité".
La France, elle, a continué de tenir une position plus ferme : "On ne peut pas dialoguer avec les groupes djihadistes qui n’ont pas renoncé au combat terroriste", avait affirmé Florence Parly, ministre française des armées.
La mort de Ba Ag Moussa : un coup dur pour le GSIM
C’est dans ce cadre que Ba Ag Moussa, dont le nom était associé à de nombreuses attaques dans la région ces dernières années, a été éliminé le 10 novembre. Une élimination symbolique, tant le parcours de cette figure du GSIM "résume la complexité des différents combats nés au Mali depuis l’indépendance du pays", selon Niagalé Bagayoko, experte en sécurité en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale.
Ba Ag Moussa a été un grand combattant de la cause Touareg, un des leaders du mouvement autonomiste qui a combattu Bamako, dès les années 90. Il a également été réintégré à l’armée malienne, plusieurs fois. Cela ne l'a pas empêché de déserter deux fois, alors qu’il était officier : "C’est exactement le type de parcours contre lequel s’insurge, depuis des années, l’armée malienne, pour dire que les processus de désarmement, réintégration, réinsertion, ne sont absolument pas pertinents dans le contexte malien. Certains ne veulent donc plus entendre parler de réintégration d’anciens rebelles, puisque ça n’a jamais marché", précise Niagalé Bagayoko.
C'est en 2012 que Ba Ag Moussa a suivi Iyad Ag Ghali, alors leader d’Ansar Dine, et est devenu un de ses lieutenants les plus fidèles. Un mouvement qui a ensuite rejoint la coalition du GSIM. Selon certains spécialistes comme Wassim Nasr, ces dernières années, Ba Ag Moussa était plutôt impliqué dans la formation des troupes.
Selon Niagalé Bagayoko, "il n’en reste pas moins, symboliquement, une figure importante, notamment à Kidal et dans la communauté ifoghas (ensemble de tribus touarègues) dans le Nord Mali".
Sa "neutralisation" représentait donc une opportunité pour la France. Elle sonne comme le rappel d'un changement de la stratégie française sur place.
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De Pau à la libération de Sophie Pétronin et Soumaïla Cissé : un changement de stratégie
Il y a près d'un an au Mali, s'est tenu un dialogue national inclusif, qui avait pour but de sortir le pays de la crise profonde. Parmi les résolutions suggérées, figurait la mise en place de négociations avec Amadou Koufa et Iyad Ag Ghali, les dirigeants respectifs de la Katiba Macina et du GSIM, pour "ramener la paix au Mali".C'est ainsi qu'Ibrahim Boubacar Keïta a décidé d'entamer des discussions avec ces chefs djihadistes, "tout en ne cessant pas de les combattre sur le terrain", précise Niagalé Bagayoko.
Quelques semaines plus tard, le 13 janvier 2020, se tenait le sommet du G5 Sahel à Pau, en présence des chefs d’États malien, burkinabé, mauritanien, tchadien et nigérien. Un sommet à l'issue duquel la France, via Barkhane, a décidé de concentrer ses efforts sur un autre groupe djihadiste : l'État islamique dans le Grand Sahara (EIGS).
Pour autant, les forces françaises ont continué de combattre le GSIM.
Pour Niagalé Bagayoko, "ce choix semblait laisser la porte ouverte à des négociations entre Bamako et le GSIM. Des discussions qui ont finalement patiné, puisque la seule exigence de Iyad Ag Ghali et Amadou Koufa était, non pas la mise en place de la charia dans l'immédiat, mais le retrait des forces étrangères et notamment françaises".
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Depuis, la doctrine militaire française sur place a changé, tant sur le plan géographique que celui des acteurs visés. Désormais, le choix, décidé au sommet de Pau, de concentrer les efforts sur la zone des trois frontières (Mali, Burkina Faso, Niger) et sur le groupe EIGS de Pau n'est plus d'actualité.
Ce changement, d'après Niagalé Bagayoko, a "sûrement été provoqué par la libération récente des otages Sophie Pétronin et Soumaïla Cissé" lors d'un échange voulu par Bamako début octobre. Il impliquait la libération d’environ 200 prisonniers, dont des figures majeures du djihad sur zone. Selon la politologue, "la France a eu du mal à accepter de voir certains combattants, qu’elle avait appréhendés, être libérés et ne souhaite pas s’inscrire dans une dynamique de négociations avec les djihadistes".
Un changement de stratégie majeur que la France revendique, notamment via l'élimination récente de plusieurs dizaines de djihadistes du GSIM.
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Vers une divergence fondamentale entre Bamako et Paris ?
Si la libération de l'humanitaire française Sophie Pétronin et de l'homme politique malien Soumaïla Cissé a été possible, c'est notamment parce que la junte au pouvoir depuis le 18 août 2020 a décidé de maintenir les engagements de l'État malien quant aux résolutions du dialogue national inclusif.C’est ce qui a poussé le Premier ministre de transition malien, Mouctar Ouane, à maintenir cette position, devant le ministre des Affaires étrangères français, Jean-Yves Le Drian, les 25 et 26 octobre 2020. Là encore, cela n’empêche pas de poursuivre les combats sur le terrain.
Mais une telle divergence d'approches risque de poser problème à terme. Car selon Niagalé Bagayoko, "le problème, dans le discours de Jean-Yves Le Drian, c'est qu'en ne voulant pas négocier avec les terroristes et uniquement avec les signataires de l’accord de paix de 2015, il ne se concentre que sur la situation dans le Nord Mali. Il omet donc une grande partie de la crise actuelle, notamment dans le centre et le sud du pays, mais aussi au Burkina Faso ou encore au Niger. Il y a beaucoup d’autres acteurs qui sont désormais concernés et la situation est beaucoup plus complexe qu’en 2015, que ce soit en terme d’acteurs impliqués ou d’emprise territoriale par ces derniers".
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Les autorités maliennes se retrouvent donc dans une position de désaccord, sur les plans militaire et politique, avec un pays dont ils avaient demandé l'aide opérationnelle. Pour Niagalé Bagayoko, "c’est aux autorités maliennes de réaffirmer, clairement, que l’appui que leur apporte la France doit se poursuivre, ou au contraire, de dire s’ils veulent explorer la voie de la négociation".
Pour elle, "la difficulté, aujourd’hui, est d’avoir une approche cohérente au sein de cette coalition internationale pour le Sahel. Quelle sera la position des autres chefs d’État ? Le Burkina Faso, par exemple, a refusé que la France intervienne sur son territoire. Il est donc difficile de considérer que le front est complètement uni, sur ce dossier de la lutte antiterroriste". D'ailleurs, au sein même du Mali, tout le monde n’a pas forcément le même avis, que ce soit sur l’option militaire ou sur les négociations avec le GSIM.
Un départ français "inenvisageable" pour le moment
C'est donc aux autorités de clarifier leurs positions, sans manichéisme. Car une décision ne pourrait se résumer à un choix entre l'aide militaire française et des discussions avec le GSIM.
Pour Niagalé Bagayoko, "il faut attendre de voir quel sera l'impact de ces neutralisations de l'armée française dans les prochaines semaines. On peut penser que des négociations peuvent continuer entre Bamako et le GSIM, pendant que le regain de l'activité française sur place modifie les dynamiques militaires".
"Je ne serais pas étonnée qu’à travers ce sursaut, la France mette une pression sur ces groupes djihadistes, afin de créer des conditions de négociations plus favorables à ses partenaires sahéliens et donc à l'État malien. Cela peut aussi être une stratégie diplomatique", ajoute-t-elle.
En attendant, pour la politologue, "un retrait de la France est inenvisageable", car cela sonnerait comme la reconnaissance d’un échec majeur, à l'aube de la prochaine élection présidentielle française, mais aussi car le contexte politique local ne peut être occulté. "Il y a une militarisation de l'État et la junte n’a toujours pas été dissoute malgré les recommandations de la Cédéao (Communauté économique des États de l'Afrique de l’Ouest)".