Mali : vers une force internationale plus musclée

Alors que les djihadistes paraissent s'enhardir et multiplient les attaques, en particulier contre les forces des Nations-Unies, Bamako demande au Conseil de sécurité la mise en place d'une force d'intervention rapide. Sans aller jusque-là dans l'immédiat, la Minusma pourrait se muscler et voir réviser ses règles d'engagement.
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Mali : vers une force internationale plus musclée
Patrouille des Nations-Unies à Kidal (AFP)
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Hydre

« Peut-être le Conseil devrait-il envisager la mise en place d'une Force d'intervention rapide capable de lutter efficacement contre les éléments terroristes ?  » Adressée par visio-conférence depuis Bamako au Conseil de sécurité de l'ONU, la « suggestion » est du ministre malien des Affaires étrangères, Abdoulaye Diop. Derrière la litote diplomatique du « peut-être », traduisant le faible pouvoir en la matière du Mali, une inquiétude réelle, à nouveau grandissante mais non dépourvue d'écho. « Ça n'est plus un contexte de maintien de la paix », observait la veille Hervé Ladsous, chef des opérations de maintien de la paix de l'ONU venu dans la capitale malienne à la suite de l'attaque la plus meurtrière depuis le déploiement des forces internationales en juillet 2013, dans laquelle ont péri neuf militaires nigériens. « Nous faisons face à toute une série de menaces : roquettes tirées à l'aveuglette, obus de mortiers, attentats suicides, embuscades », a-t-il énuméré. Comme en confirmation, un casque bleu sénégalais était tué le même jour à Kidal (Nord Mali). La Minusma (Mission des Nations-Unies au Mali) a perdu au total 31 hommes depuis le début de son déploiement mais les deux tiers au cours des deux derniers mois. Elle déplore aussi 66 blessés, victimes d'explosions d'engins artisanaux ou de mines, de tirs de roquettes ou d'attentats suicide .

Conjonction

Mali : vers une force internationale plus musclée
Cérémonie pour des soldats tués de la Minusma le 7 octobre 2014 (AFP)
Plus que par un subit tournant militaire, le retour des jihadistes au Mali s'explique par une série de circonstances. Après y avoir assuré une certaine présence dans le nord du pays – peu brillamment, mais occupant, du moins, le terrain – l'armée malienne s'en est progressivement retirée. Selon l'AFP, une source de la Minusma l'évalue aujourd'hui tout au plus à … un millier d'hommes dans une partie des régions de Mopti (centre), Tombouctou et Gao (nord). C'est peu. De son côté, malgré ses succès et sans se retirer, la France a basculé en juillet sa force « Serval » sur « Barkhane », une opération plus large de lutte contre le jihadisme avec 3 000 soldats mobilisés au Sahel. Or, dans le même temps, la situation est devenue dans le sud de la Libye plus chaotique encore qu'elle ne l'était, en faisant un sanctuaire pour les jihadistes et leur permettant de se ré-équiper. Ceux qui opèrent au Mali ne sont pas forcément devenus plus nombreux mais ils se réorganisent et, après être restés en veille et cachés, opèrent davantage. La force onusienne, elle, se retrouve un peu plus seule et exposée, face à un ennemi mieux organisé et plus audacieux. « La Minusma est en fait la principale présence internationale sur le terrain et une cible pour tous les fauteurs de troubles et jihadistes », a remarqué Hervé Ladsous. Or, elle ne comptait au 1er septembre que 9 300 militaires et policiers, essentiellement déployés dans le nord, nombre qui pourrait en théorie être porté à 13 000, mais assez loin par comparaison des 22 000 soldats et policiers déployés dans l'est de la République du Congo. Et cette dernière dispose, elle, d'une force d'intervention rapide sous la forme d'une brigade d’intervention forte de 3 000 hommes et au mandat offensif. En ce qui concerne la Minusma, selon des diplomates, lors des consultations à huis clos qui ont suivi, Hervé Ladsous a précisé qu'elle devait recevoir des hélicoptères de transport et d'attaque ainsi que des véhicules blindés supplémentaires et des drones à long rayon d'action. Les discussions ont aussi porté sur « un renforcement [de ses] règles d'engagement ». Dans son allocution devant le Conseil, il a également lancé un appel général à l'aide, demandant notamment aux groupes armés qui participent aux négociations d'Alger avec le gouvernement et aux voisins du Mali de faire en sorte que « la Minusma ne soit plus une cible ».

Chronologie

AFP
--2012-- - 17 jan: La rébellion touareg du Mouvement national pour la libération de l'Azawad (MNLA) et d'autres rebelles lancent une vaste offensive dans le Nord. - 22 mars: Des militaires dirigés par le capitaine Amadou Haya Sanogo renversent le régime d'Amadou Toumani Touré, l'accusant d'"incompétence" dans la lutte contre la rébellion touareg et les groupes islamistes dans le Nord. - 30 mars-1er avr: La rébellion touareg et les groupes islamistes armés alliés à Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) prennent le contrôle des capitales des trois régions du Nord: Kidal, Gao puis Tombouctou. Mais le MNLA va être évincé par Aqmi et ses alliés du Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest (Mujao) et d'Ansar Dine, qui vont commettre de nombreuses exactions au nom de la charia.   --2013-- - 11 jan: Début de l'opération française Serval pour stopper la progression des islamistes armés qui menaçaient de poursuivre leur offensive vers le Sud. Dès le 14 janvier, les jihadistes évacuent les grandes villes du Nord après des bombardements des forces françaises et la France engage des troupes au sol. - 26 et 28 jan: Les soldats français et maliens conquièrent le bastion islamiste de Gao (nord-est), avant d'entrer sans combat dans Tombouctou (nord-ouest). Le 30, les forces françaises contrôlent l'aéroport de Kidal (nord-est). La ville est "sécurisée" par quelque 1.800 Tchadiens qui arrivent quelques jours plus tard. - 18 juin: Les autorités et les rebelles touareg contrôlant Kidal signent à Ouagadougou un accord prévoyant un cessez-le-feu, un déploiement progressif de l'armée et un cantonnement des combattants touareg sur des sites de regroupement. Ces accords vont permettre l'organisation de la présidentielle, remportée en août par l'ex-Premier ministre Ibrahim Boubacar Keïta. - 1er juil: La Mission intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma, qui comptera près de 9.300 hommes au 1er septembre 2014) est mise en place.   --2014-- - 21 mai: Kidal tombe sous le contrôle de groupes rebelles touareg et arabes après des combats avec l'armée. Un cessez-le-feu est signé par Bamako et trois groupes armés, dont le MNLA. - 13 juil: La force Serval est remplacée par Barkhane, une opération plus large de lutte contre le jihadisme avec 3.000 soldats français mobilisés au Sahel. - 24 juil: Le gouvernement et six mouvements armés du Nord - notamment les groupes armés touareg - signent à Alger une feuille de route des négociations pour ramener la paix. Ils sont engagés depuis septembre dans un deuxième round de discussions, qui n'ont pas encore permis d'avancée notable. - 3 oct: Neuf soldats nigériens de la Minusma sont tués dans une attaque dans la région de Gao, revendiquée par un groupe jihadiste proche du Mujao. Il s'agit de l'attaque la plus meurtrière contre la Minusma (plus de 30 morts au total, dont dix Tchadiens dans une série d'attaques en septembre). Les groupes jihadistes, chassés pour la plupart du Nord par l'intervention militaire internationale et affaiblis, restent néanmoins actifs dans ces zones où ils commettent régulièrement des assauts meurtriers.