Mandela : une histoire pour mon grand-père

Le grand-père de notre consoeur Liesl Louw-Vaudran est mort en 1990, à l'âge de 94 ans, l'âge de Nelson Mandela,  peu après la libération de ce dernier. Son seul regret aura été de ne pas connaitre l'issue de la saga Mandela-De Klerk, disait-il. Pour lui, et pour nous, retour sur ces années où, tout juste sorti de prison, Madiba réconcilia les Sudafricains.
Image
Mandela : une histoire pour mon grand-père
11 février 1990, Mandela est libéré après 27 années de détention. Les mois qui suivront seront cruciaux pour l'Afrique du Sud - ©AFP
Partager4 minutes de lecture
1990. Mandela vient d'être libéré de prison par le Président F.W. de Klerk et les négociations pour un partage du pouvoir transitoire, en attendant les premières élections libres, viennent de commencer. 
C'est un moment de grande tension dans le pays. Très peu de gens connaissent Mandela, toujours présenté par la propagande d'apartheid comme un "terroriste". Personne ne sait, non plus, comment va se comporter celui qui deviendra quatre ans plus tard notre premier président noir ? 
Nul doute que, si mon grand-père était toujours vivant, il aurait été content de l'issue de cet épisode-clé de l'histoire de notre jeune nation. Pourtant rien n'était gagné. A l'époque, l'Afrique du Sud va droit contre le mur, avec notamment une communauté blanche qui s'accroche aux privilèges que l'apartheid lui garantissait. 
Alors Mandela a-t-il sauvé le pays ? Ce serait exagéré de l'affirmer. Ce sont les milliers d'hommes et de femmes qui ont lutté contre l'apartheid et pour une réconciliation entre noirs et blancs qui ont sauvé l'Afrique du Sud d'une guerre raciale. Mais Mandela en était le symbole. Il était notre inspiration.
Mandela : une histoire pour mon grand-père
Climat explosif
A la fin des années 1980, la violence guette à chaque coin de rue. Les gens n'en peuvent plus de l'oppression des blancs. En face, l'Etat est devenu de plus en plus meurtrier. La police utilise tous les moyens pour éliminer les opposants. 
C'est dans ce climat que Mandela sort de prison. Son plus grand mérite sera d'unir un pays divisé par la haine. Comment ? Grâce a sa sagesse, sa douceur, sa connaissance accrue des gens, son respect des individus, sa conviction que dans chacun réside un fond de bien : que ce soit son geôlier, ou la veuve de Hendrik Verwoerd architecte de l'apartheid. Plus célèbre encore, et immortalisé par le film Invictus, son soutien à l'équipe nationale de rugby, entièrement blanche, championne du monde en 1995. Ce geste très critiqué au sein même de son parti, l'ANC - charmera la communauté blanche.
Un message
Je me souviens d'une scène devant le siège du gouvernement à Pretoria, qui eut lieu vers la fin 1991, donc avant les élections libres de 1994. A cette époque, les noirs sud-africains sont des plus impatients. Mandela est sorti de prison, l’ANC n'est plus interdit par la loi. Donc pourquoi attendre ? "Prenons le pouvoir, chassons ce maudit gouvernement blanc", se disent-ils en substance
Ce jour la, l'ANC a organisé une manifestation à Pretoria afin de mettre la pression sur le gouvernement De Klerk et conclure les négociations au plus vite en faveur de l'ANC.
Une foule immense est rassemblée dans le parc devant l'imposant Union Buildings. J'assiste à la scène pour le compte du journal Beeld
En voyant cette foule je me dis : c'est aujourd'hui que les jeunes vont envahir ce bâtiment, ils vont l'occuper. Il est à eux. Ils chantaient et criaient des slogans de libération, "à bas De Klerk et Viva Mandela."
Mandela : une histoire pour mon grand-père
1993, Nelson Mandela et Frederik de Klerk reçoivent le prix Nobel de la paix - ©AFP
Mandela apparait au micro. De longues minutes s'écoulent avant que ne se taisent les milliers de personnes rassemblées sur la pelouse du parc. Il prend enfin la parole. Son message ? Patience ! Patience ! On est près du but, mais il faut encore patienter. Si le régime est brutal et violent, notre responsabilité est de leur montrer que nous sommes au dessus de cela. Nous sommes pour la paix et la réconciliation. Nous sommes pour un rapprochement entre noirs et blancs. Nous sommes tous des sud-africains et il nous faut travailler ensemble pour forger une nouvelle Afrique du Sud.
Ce n'est pas ce que les jeunes voulaient entendre. Mais ils ont écouté parce que c'était Madiba. Et ils sont rentrés chez eux. 
Le 27 avril 1994 tout le monde est sorti pour voter dans le calme. Nous avons, pour la plupart, voté pour Mandela, moi incluse.

L'auteure

L'auteure
Issue d'une famille Afrikaner, Liesl Louw-Vaudran a accompagné la lutte anti-apartheid pour une Afrique du Sud arc en ciel. Elle a, durant de longues années, été correspondante à Paris d'une chaîne de télévision sud-africaine puis rédactrice en chef adjointe de la revue African.org, à l'Institut d'Etudes de Sécurité, en Afrique du Sud, à Prétoria. Elle est aujourd'hui journaliste indépendante et collabore régulièrement à TV5Monde.com, en particulier pour les blogs planétaires