Un tribunal, dans une prison de haute sécurité en plein désert au Tchad, a infligé 2 à 3 ans de prison ferme à 262 personnes arrêtées lors de la manifestation du 20 octobre contre le régime, réprimée dans un bain de sang. Le procès de masse s'est tenu à huis clos sans avocats et sans médias indépendants.
Quelque 80 autres, sur 401 personnes jugées - de jeunes manifestants pour l'essentiel - ont écopé de un à deux ans d'emprisonnement avec sursis, et 59 ont été relaxées, a précisé lundi 5 décembre à la presse le procureur de la République de N'Djamena, Moussa Wade Djibrine.
Le procès a duré quatre jours et s'est achevé vendredi 2 décembre mais la télévision d'État ayant eu seule le droit d'y assister, en l'absence de tout autre média, le procureur n'a rendu public le jugement que trois jours plus tard, à son retour lundi dans la capitale.
Voir : Tchad, journée sanglante à N'Djamena
Une cinquantaine de manifestants tués le 20 octobre
Le 20 octobre 2022, une cinquantaine de personnes - de jeunes manifestants tués par balles pour l'immense majorité - avaient péri, essentiellement à N'Djamena quand les forces de l'ordre avaient ouvert le feu sur la moindre tentative de rassemblement.
Ils répondaient à l'appel de l'opposition contre la prolongation de deux ans au pouvoir du général Mahamat Idriss Déby Itno. Il avait été proclamé chef de l'Etat par les militaires le 20 avril 2021 à l'annonce de la mort de son père, le président Idriss Déby Itno, tué au front par des rebelles après avoir dirigé d'une main de fer le Tchad 30 années durant.
Procès de masse
Le pouvoir avait reconnu l'arrestation de 601 personnes pour la seule ville de N'Djamena - dont 83 mineurs - et leur transfert dans la prison de haute sécurité de Koro Toro. Le président de transition Mahamat Déby les avait accusés d'avoir voulu mener une "insurrection" et une tentative de "coup d'Etat".
Les personnes condamnées vendredi ont été reconnues coupables notamment
"d'attroupement non autorisé, destruction de biens, incendie volontaire, violence et voies de fait et trouble à l’ordre public", selon le procureur.
Lire : "Les manifestants en avaient assez de la famille Déby, au pouvoir depuis plus de 30 ans"Ce procès de masse s'est déroulé dans le bagne de Koro Toro à 600 km au nord-est de la capitale, une procédure de dépaysement "illégale" selon les avocats qui ont décidé de ne pas s'y rendre.
Amnesty international avait dénoncé vendredi 2 décembre
"un procès à huis clos qui soulève de sérieuses inquiétudes concernant le respect du droit à un procès équitable (...) du droit de préparer sa défense (...) du droit à un procès public (...) et du droit à l’information" du public, "droits consacrés par la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples, à laquelle le Tchad est partie" prenante.
"Recours excessif à la violence"
L'ordre des avocats s'était mis en grève sur tout le territoire avant l'ouverture et pour la durée du procès, dénonçant l'"arbitraire et l'injustice" d'une "parodie de procès". Il a annoncé lundi une reprise des plaidoiries à partir de mardi et leur intention de faire appel.
600 personnes arrêtées
Sur les quelque 600 personnes arrêtées pendant et après la manifestation à N'Djamena, les cas de plus de 200 sont encore sous le coup d'une enquête menée par des juges d'instruction, dont 80 mineurs rapatriés de Koro Toro à N'Djamena, a assuré lundi le procureur.
Après les manifestations sanglantes, l'opposition - dont les principaux leaders sont aujourd'hui cachés ou en exil -, des ONG locales et internationales, ainsi qu'une partie de la communauté internationale, Union européenne (UE) et Union africaine (UA) en tête, avaient fermement condamné un recours excessif à la violence "contre les civils".
Lundi 5 décembrei, le gouvernement a annoncé la levée de l'état d'urgence décrété à N'Djamena et quelques autres villes le soir du 20 octobre.
Le 20 avril 2021, Mahamat Déby, jeune général de 37 ans, avait été proclamé président de la République à la tête d'une junte de 15 généraux, et avait promis de remettre le pouvoir aux civils par des élections après une "transition" de 18 mois.
Mais, à ce terme, il a prolongé sa présidence sur recommandation d'un "Dialogue de réconciliation nationale" boycotté par la grande majorité de l'opposition politique et de plusieurs groupes rebelles armés parmi les plus importants.