La tension est partiellement retombée mais les souvenirs de cette journée d’affrontement sont encore vifs. Selon le gouvernement, il y aurait eu une "cinquantaine" de morts et "plus de 300 blessés". Des habitants de la capitale N’Djamena témoignent.
Jeudi 20 octobre plusieurs manifestations contre la prolongation de la période de transition et le maintien au pouvoir de Mahamat Idriss Déby Itno, au Tchad, ont entraîné un déchaînement de violences inédit dans la capitale et certaines villes du pays. Des habitants de N’Djamena racontent à l’AFP comment ils ont vécu cette journée.
(RE)lire : Répression au Tchad : "Les manifestants en avaient assez de la famille Déby, au pouvoir depuis plus de 30 ans" Djim Toide, retraité, 75 ans
La veille (le 19 octobre n.d.l.r),
"j'ai vu des véhicules des forces de l'ordre se garer sur un rond-point près de chez moi. Je pensais que c'était dans le cadre de leurs contrôles de routine et vers 4h du matin, j'ai commencé à entendre des tirs, je ne savais pas d'où ça venait", explique Djim Toide, un retraité de 75 ans résident du quartier de Moursal, au sud de la capitale.
"De la fumée envahissait ma résidence et après une certaine accalmie les tirs ont repris, alors je suis sorti dans la rue pour observer, j'ai vu des jeunes courir partout, poursuivis par les forces de l'ordre", raconte l'ancien enseignant. Il décrit aussi les nombreux
"barrages" érigés sur la route et les jets de pierres des manifestants qui répondaient aux tirs de gaz lacrymogènes des policiers.
Remadji Allataroum, étudiante, 25 ans
Réveillée à 2h du matin par les
"coups de sifflets des manifestants", Remadji Allataroum, étudiante à l'université de N'Djamena, ne parvient pas à retrouver le sommeil. Au petit matin,
"les manifestants sont sortis de nulle part, ils ont envahi les routes et chantaient justice, égalité", se souvient-elle.
Dans son quartier d'Abena (sud de N'Djamena), l'atmosphère s'est tendue vers 6h quand les policiers sont intervenus et des
"altercations" ont éclaté avec les manifestants, poursuit la jeune étudiante. Après un bref repli des forces de l'ordre vers 7h,
"les manifestants en ont profité pour dresser des barricades, brûler des pneus, ils continuaient à chanter", décrit-elle.
À leur retour,
"les policiers ont commencé à tirer à balles réelles et deux manifestants touchés à la tête sont tombés devant moi. C'était une journée insupportable, invivable, ce n'est qu'en fin d'après-midi que les choses se sont un peu calmées".
Bertrand Teyané, journaliste
Comme tous les matins, Bertrand Teyané devait rejoindre sa rédaction mais jeudi
"tout était bloqué par des jeunes qui avaient monté des barricades", raconte le journaliste de Tribuneinfos.com, précisant avoir vu des
"affrontements entre des policiers et de jeunes manifestants".
Le père de trois enfants se souvient alors avoir entendu
"deux femmes qui lançaient des cris de détresse dans la rue", près de son domicile.
"J'ai décidé de sortir pour aller voir et après quelques mètres, j'ai vu deux corps allongés sur le sol, sans vie. L'un était couvert du drapeau bleu, jaune, rouge du Tchad et l'autre n'avait rien sur lui, j'ai vu qu'il y avait du sang et qu'il avait été atteint à l'abdomen", décrit le résident du 6e arrondissement de N'Djamena.
Vers 15h, alors qu'il rend visite à un ami, Bertrand Teyané évoque une atmosphère de désolation dans la capitale,
"des carcasses de motos brûlées" ici,
"une autre de voiture" près de l'ambassade des États-Unis. Autour de lui, des policiers circulent en convoi
"armés de fusils semi-automatiques".
"Vers 17h, j'ai entendu des coups de feu et je me suis dit que ça recommençait. J'ai attendu que ça cesse pour rentrer chez moi", conclut-il.
Au lendemain de cette interview, le matin du 21 octobre, Bertrand Teyané a été agressé chez lui. Des militaires ont escaladé le mur de sa propriété et ont forcé la porte raconte-t-il à
Tchadinfos.
"Les portes des chambres ont été forcées, ils ont même cassé et quand j’étais sorti ils ont commencé à me tabassé avec des chaises, matraques. Quelqu’un m’a aussi tapé avec une pelle au dos sans me poser des questions", témoigne-t-il.
La France "condamne"
Union africaine (UA) et Union européenne (UE) ont
"condamné fermement" la répression des manifestations, la première appelant
"au respect des vies humaines et des biens" et la seconde regrettant de
"graves atteintes aux libertés d'expression et de manifestation qui fragilisent le processus de transition en cours".
La France, allié-clé de N'Djamena, a
"condamné" les
"violences et l'utilisation d'armes létales contre les manifestants".
Les États-Unis ont affirmé que quatre personnes ont été tuées près de l'entrée de leur ambassade à N'Djamena.