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Deux ans de prison seulement ! C’est la peine dont ont écopé le 20 mars dernier, les trois hommes "ayant violé à répétition" une mineure de 11 ans, pendant des mois, dans un village près de Rabat. Ce verdict "injuste" est depuis largement et fermement dénoncé au Maroc. Il semble mettre en lumière les carences d'une justice trop peu active dans la protection des femmes et des mineurs.
"Injuste", "choquant", les adjectifs ne manquent pas pour exprimer le désarroi et l’indignation des Marocaines et des Marocains. Le 20 mars, la chambre criminelle de la Cour d'appel de Rabat a condamné à deux ans de prison trois hommes poursuivis pour "détournement de mineure" et "attentat à la pudeur sur mineure avec violence". L'un des hommes a été condamné à deux ans de prison ferme, les deux autres à deux ans, dont 18 mois ferme.
Trois hommes violent une mineure de 11 ans, elle tombe enceinte : 2 ans de prisonhttps://t.co/CPhNoFxhGC
— Médias24 (@Medias24) March 31, 2023
L’affaire, malheureusement loin d’être unique, fait froid dans le dos. La victime n’a que 11 ans lorsqu’elle se fait violer pour la première fois par trois hommes âgés de 25, 32 et 37 ans, à Tiflet près de Rabat au Maroc. Son calvaire va durer des mois, de longs mois durant lesquels, tétanisée face aux menaces de ses violeurs et de peur qu'ils ne s'en prennent à sa famille, elle gardera le silence. Violée à plusieurs reprises, la fillette tombe enceinte de l’un de ces bourreaux. C'est parfois la nièce de l'un des violeurs qui est chargée de lui ramener la victime. Elle aurait même assisté à plusieurs reprises aux viols. Les deux fillettes ont le même âge.
La rumeur de sa grossesse commence à tourner dans le douar où elle vit jusqu'à arriver aux oreilles de son père. Horrifié par l'atroce calvaire qu'a vécu sa fille, il va voir la police. C’est là que le scandale éclate au grand jour.
Ce jugement normalise non seulement le viol sur mineurs, mais toute une injustice que subissent encore des Marocain.e.s dont le seul tort est d’être mal-né.e.s
Soumaya Naamane Guessous, sociologue et écrivaine
Aujourd'hui âgée de 12 ans et mère malgré elle d’un petit garçon, la jeune fille a "subi des viols à répétition sous la menace" ce qui a entrainé une grossesse, peut-on lire dans un communiqué de l'ONG Jossour Forum des Femmes Marocaines qui dénonce un verdict "injuste" et réclame "des peines plus sévères face à ce crime odieux".
Dans une lettre ouverte au ministre de la Justice marocain, publiée dans Le 360 [un journal électronique marocain, ndlr], la sociologue marocaine, Soumaya Naamane Guessous, ne cache pas non plus son indignation. "C’en est trop", s’exclame-t-elle dénonçant "l’insoutenable légèreté" de ce jugement qui, selon elle, "normalise non seulement le viol sur mineurs, mais toute une injustice que subissent encore des Marocain.e.s dont le seul tort est d’être mal-né.e.s".
Selon le code pénal marocain en effet, les trois accusés, qui ont aussi été condamnés à payer des dommages pour un montant total de 4.500 euros, encouraient entre 10 à 20 ans de prison. Pourquoi alors n’en ont-ils obtenu que deux ?
Dans sa lettre ouverte, Soumaya Naamane Guessous interroge la légèreté du verdict rendu et notamment sa qualification en "détournement de mineure" et en "attentat à la pudeur sur mineure avec violence" et non en viol .
Nous ne sommes pas en matière correctionnelle mais criminelle. L’enjeu doit être la réclusion de 10 ans, au minimum.
Me Mohamed Oulkhouir, avocat au barreau de Tétouan et vice-président de l’association INSAF
Interrogé par Médias24, un site marocain d'information, Me Mohamed Oulkhouir, avocat au barreau de Tétouan et vice-président de l’association INSAF [l'association INSAF s'est porté partie civile et accompagne la victime, ndlr], rejoint la sociologue, considérant que les faits devraient en effet être requalifiés en "viol". "Il est difficile de qualifier cela comme attentat à la pudeur sachant qu'il y a trois personnes accusées de viol en réunion et qu’un test ADN a démontré que l’un d’eux était le père de l’enfant", déclare-t-il et ajoute : "On parle de viol d’une mineure de 11 ans pendant plusieurs mois par plusieurs adultes en réunion. La peine octroyée est très légère. Nous ne sommes pas en matière correctionnelle mais criminelle. L’enjeu doit être la réclusion de 10 ans, au minimum".
Selon l’article 486 du Code pénal en effet, un viol est "l’acte par lequel un homme a des relations sexuelles avec une femme contre le gré de celle-ci". Toujours selon l'article 486, si le viol a été commis sur une mineure de moins de 18 ans, la peine est la réclusion de 10 à 20 ans. L’article 488 du Code pénal prévoit quant à lui de 20 à 30 de réclusion lorsqu’il y a eu défloration. "On est bien loin des 2 ans prononcés par le tribunal", constate amèrement Soumaya Naamane Guessous, soulignant d’autres irrégularités dans le jugement rendu.
En février 2014 les députés marocains ont voté en faveur d’un amendement du code pénal "qui supprime la possibilité pour les violeurs d’échapper aux poursuites s’ils épousent leur victime dans le cas où elle est âgée de moins de 18 ans". Cette double peine autrefois infligée à de nombreuses marocaines avait provoqué le suicide d’Amina Filali qui avait ému tout le Maroc. Amnesty International s’était alors félicité de cette décision précisant toutefois que "le Maroc (devait) encore mettre en place une stratégie exhaustive de protection des femmes et des filles de la violence, avec la contribution des groupes de défense des droits des femmes, qui ont été exclus du processus jusqu’à présent".
Lui-même choqué par le verdict, le ministre marocain de la Justice, Abdellatif Ouahbi, s’est voulu rassurant lundi 1er avril lors d’une conférence de presse. Comme le précisent nos confrères de RFI présents sur place, il a, à cette occasion, rappelé que le ministère public avait fait appel du jugement [tout comme l’association INSAF, qui soutient la jeune fille dans l'affaire, ndlr],"afin de protéger les droits de la victime et de veiller à la bonne application de la loi". Il aurait également rappelé qu’il tenait "à intensifier les peines prévues pour les agresseurs d’enfants dans le nouveau projet de Code pénal".
Des sanctions plus sévères, c'est ce que réclament les médias, les ONG et les associations qui, depuis des années, ne cessent d’alerter sur les cas de violences sexuelles contre les mineurs. Une manifestation est d'ailleurs prévue mercredi 5 avril devant la cour d’appel de Rabat pour dénoncer les jugements trop légers rendus dans ce genre d'affaires.
La victime essaie quant à elle de reprendre une vie normale, si c'est encore possible. Prise en charge avec son bébé par l'association INSAF, elle est aujourd'hui interne et poursuit sa scolarité. Elle revient les week-end chez elle, s'occuper de son petit garçon.