Maroc-Espagne: le bras de fer sur le Sahara occidental se joue aussi à Ceuta

L'Espagne vient d'accueillir sous une fausse identité Brahim Ghali, le leader du mouvement indépendantiste Polisario. Les autorités marocaines n'ont pas masqué leur colère. Elles ont par mesure de rétorsion relâché le contrôle de la frontière avec l'Espagne. Décryptage d'un bras de fer.

Image
Ceuta migrants
Le 19 mai 2021, des mineurs marocains nagent de la ville frontalière marocaine de Fnideq vers l'enclave espagnole de Ceuta. Le Maroc a dénoncé une résolution du Parlement européen accusant ce pays d'Afrique du Nord de mettre en danger la vie d'enfants migrants dans le but de faire pression politique sur l'Espagne.
AP Photo/Mosa'ab Elshamy
Partager 5 minutes de lecture

La décision du Maroc n’est pas sans rappeler le "chantage" à la migration que pratique le président turc, Recep Tayyip Erdoğan, avec l'Europe sur la question migratoire. Partenaire historique de l’Espagne, le Maroc avait, jusqu’à présent, toujours accepté de contrôler, lui-même, sa population. Retour sur ce bras de fer entre les deux pays avec le sociologue Mehdi Alioua, spécialiste des migrations et professeur à SciencesPo Rabat.

TV5Monde : Comment peut-on expliquer l'afflux de migrants qui a eu lieu les 17 et 18 mai ?

Mehdi Alioua : Si plus 8000 migrants marocains ont afflué, en quelques jours, dans l’enclave de Ceuta, il y a un mois, ce phénomène est loin d’être inédit et relève plus d’une question de souveraineté, de diplomatie que de politique migratoire. 
 

La plupart des personnes qui ont tenté de rejoindre l’enclave de Ceuta sont des habitants de la région qui avaient l’habitude de passer depuis plusieurs années

Mehdi Alioua, sociologue

La plupart des personnes qui ont tenté de rejoindre l’enclave de Ceuta sont des habitants de la région qui avaient l’habitude de passer depuis plusieurs années.

Car avant que le Maroc ne ferme ses frontières, suite à l’épidémie de coronavirus, bloquant, au passage, ses propres ressortissants dans l’enclave, beaucoup d'habitants de la région y transitaient.

Parmi ces personnes, certains espèrent passer en Europe par la suite, mais pour la plupart d'entre eux ce n’est pas le cas. L’Espagne dans un premier temps a procèdé à des refoulements, à chaud. Beaucoup de personnes qui ont été renvoyés ont déclaré qu'ils n'avaient pas l'ambition d'aller en Europe.

Une partie des gens voulait aller vers le continent, mais c'est une habitude de la voir rejoindre le nord du pays, notamment à cette période de l'année. Il n'y a donc rien d'inhabituel. La plupart ont juste traversé une plage. 

La différence, dans cet événement précis, est l’afflux soudain de nombreux mineurs. Mais ils étaient plus équipés pour semer le désordre ou se balader que pour avoir une quelconque velléité de passage en Europe. D’ailleurs, cette concentration de mineurs a porté préjudice au Maroc et a retourné son coup de pression contre lui-même.

TV5Monde : Comment peut-on expliquer le bras de fer entre le Maroc et l'Espagne ? 

Mehdi Alioua : Une fois qu’ils sont à Ceuta, certains ont peut être l’espoir de se cacher derrière un camion ou derrière une voiture, mais ils savent qu'ils ne peuvent y rester. La majorité des Marocains qui sont passés l’ont fait par frustration". Une frustration liée au marasme économique dans la région.

 

Le Maroc et l'Espagne se livrent un bras de fer depuis plusieur années. Les activités de contrebande dans la réfion en sont une cause

Mehdi Alioua, sociologue

Car si le Maroc entretient, historiquement, des liens particuliers, sur les plans économiques et sécuritaires notamment, avec l’Espagne, les deux pays se livrent un bras de fer depuis plusieurs années.

En cause, la contrebande dans la région. Parmi les personnes qui transitent habituellement dans ces enclaves, il y a beaucoup de femmes. Celles-ci présentant un risque migratoire moins important selon les autorités espagnoles, peuvent rentrer facilement en territoire espagnol.

En réalité, ce sont des femmes-mulets, qui font des allers-retours, dans la journée, pour transporter des marchandises de contrebande.

Le Maroc a mal vécu le fait que le ministère de l’Intérieur espagnol collabore avec les services secrets algériens, pour accueilir  Brahim Ghali

Mehdi Alioua, sociologue

Le Maroc ayant fermé ses frontières, ce sont de nombreuses personnes, qui vivaient de cela dans la région, qui se retrouvent sans revenus, car ce système enrichit essentiellement les commerçants des enclaves de Ceuta et Melilla. Ces derniers déversent leur marchandise dans tout le Maroc. Derrière cela, la corruption s’est greffée. Le royaume a donc décidé de dire stop et de prendre cette situation à bras le corps.

Le hasard a donc voulu que lorsque le Maroc s’est intéressé à cette contrebande, fermant, par à-coups les frontières, suscitant la contestation de certains habitants, le Covid-19 est apparu. Le royaume a donc totalement fermé ses frontières, avant de les rouvrir, cette fois-ci, pour faire pression sur l’Espagne. 

Bragim ghali
Brahim Ghali est le leader du front Polisario.
DR

TV5MONDE : Dans quelle mesure l'accueil de Brahim Ghali, leader du front Polisario, par l'Espagne, a joué un rôle dans le regain de tension entre les deux pays ? 

Mehdi Alioua : Le Maroc a mal vécu le fait que le ministère de l’Intérieur espagnol collabore avec les services secrets algériens, pour introduire Brahim Ghali, leader du front Polisario, sous un faux nom et avec un faux passeport, en Espagne, afin qu’il soit soigné. Le royaume a vécu cela comme une trahison, d’autant plus que l’Espagne a agit contre sa propre justice et l’a fait en catimini ! Il ne faut pas occulter le fait que Brahim Ghali était poursuivi, par la justice espagnole, pour des faits de tortures, de massacres et de viols, sur des espagnols notamment. Pour le Maroc, ce qu’a fait l’Espagne, c’est comploter avec l’ennemi. 

Si le Maroc a profité de l'occasion pour relancer ses revendications quant à l'enclave nord-africaine espagnole de Ceuta, le dossier du Sahara occidental est bien plus important.