Maroc-France : pourquoi Rabat rappelle son ambassadeur de Paris ?

Le roi du Maroc rappelle son ambassadeur en France, sans désigner de successeur. Cette décision est entrée en vigueur le 19 janvier 2023. Elle intervient dans un contexte de crise diplomatique entre les deux pas. Comment expliquer cette brusque dégradation des relations entre Rabat et Paris, pourtant alliés traditionnels dans la région ? Éléments de réponse.
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Le Roi du Maroc Mohammed VI et Emmanuel Macron inaugurent la ligne à grande vitesse à Rabat le 15 novembre 2018. 
Le Roi du Maroc Mohammed VI et Emmanuel Macron inaugurent la ligne à grande vitesse à Rabat le 15 novembre 2018. 
© Christophe Archambault/Pool Photo via AP
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Rabat limoge son ambassadeur en France. Le roi Mohammed VI met officiellement fin aux fonctions de Mohamed Benchaâboum, ambassadeur du royaume à Paris.  Cette mesure a été publiée au Bulletin Officiel marocain, daté du 19 janvier 2023. Aucune nouvelle nomination n’est prévue pour le moment. 

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Une date marquante

La date du 19 janvier est très significative. Le même jour, le Parlement européen a adopté à la majorité un texte défavorable au Maroc. Ce texte non-contraignant demande aux autorités marocaines « de respecter la liberté d’expression et la liberté des médias » dans le pays. Les députés européens demandent au Maroc d’accorder « un procès équitable » aux journalistes emprisonnés dans le pays, Omar Radi, Soulaimane Rassouni et Taoufik Bouachrine. 

Le Parlement européen condamne également « l’utilisation abusive d’allégations d’agressions sexuelles pour dissuader les journalistes d’exercer leurs fonctions et « estime que ces abus mettent en danger le droit des femmes. » Le texte a été adopté à la majorité, avec 356 voix pour, 32 contre et 49 abstentions. À la suite de ce vote, le Parlement marocain a décidé unanimement de « reconsidérer » ses relations avec l’assemblée européenne à Bruxelles. Il rejette toute « ingérence » dans les affaires intérieures du Maroc.

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Une « campagne injuste » selon le Maroc

Depuis ce vote, la classe politique marocaine et les médias proches du pouvoir ne décolèrent pas. Le 8 février, le Maroc fustige une « campagne injuste » au Parlement européen. Cela intervient la veille d’une audition parlementaire sur l’utilisation du logiciel espion Pegasus, dont sont soupçonnées les autorités marocaines.

Notre pays subit des agissements hostiles et des attaques au Parlement européen qui nous ont obligés à réévaluer notre relation avec lui.
Rachid Talbi El-Alam, président de la Chambre des représentants du Maroc

Retour sur l’affaire Pegasus 

  • Le 18 juillet 2021, un consortium de 17 médias internationaux, dont le quotidien français Le Monde, le britannique The Guardian et l’américain The Washington Post publie une enquête. 
  • Ils révèlent que près de 50 000 personnes à travers le monde (personnalités politiques, journalistes, militants des droits humains, etc) ont pu être espionnés par certains gouvernements, dont celui du Maroc, au moyen du logiciel espion Pegasus, conçu par la société israélienne NSO Group. 
  • Parmi les personnalités politiques espionnées, figure le président français Emmanuel Macron. 
  • Le consortium affirme que l’un de ses numéros de téléphone aurait été visé par le Maroc. 
  • En avril 2022, une commission d’enquête est lancée au Parlement européen pour que les abus du logiciel espion « ne se produisent plus. » 
  • Rabat a poursuivi en diffamation des ONG et médias français qui ont révélé ou dénoncé le recours par le Maroc au logiciel Pegasus. 
  • Le tribunal de Paris a jugé ces plaintes irrecevables. 
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« Notre pays subit des agissements hostiles et des attaques au Parlement européen qui nous ont obligés à réévaluer notre relation avec lui », dénonce le président de la Chambre des représentants Rachid Talbi El-Alami. « Cette campagne se poursuit avec le débat annoncé sur d’anciennes allégations d’espionnage de dirigeants d’un pays européen (NDLR : la France) », déplore Rachid Talbi El-Alami, lors d’un débat au Parlement marocain consacré aux « attaques hostiles et répétées contre le royaume. »

Par ailleurs, les responsables politiques marocains pointent du doigt la France. Un responsable politique marocain, Lahcen Haddad, regrette qu’un « proche de la présidence française », Stéphane Séjourné, chef du groupe Renaissance à Bruxelles, ait été « l’un des architectes de la résolution. » « La résolution du Parlement européen n’engage aucunement la France », affirme Christophe Lecourtier, ambassadeur de France au Maroc, dans une interview à l’hebdomadaire marocain Tel Que. « Nous, on est comptables des décisions des autorités françaises, le Parlement européen est de loin notre autorité, ce sont des personnalités qui ont été élues, poursuit le diplomate. On y trouve une diversité de groupes et de courants d’idées. » 

Une Le Matin 9 février
La une du quotidien marocain Le Matin du 9 février 2023.
Capture d'écran TV5MONDE

Le quotidien marocain Le Matin dénonce des « manoeuvres hostiles » de la part du Parlement européen dans sa une du 9 février 2023. L’article se montre très critique envers le Parlement européen, accusé de servir « à lancer des attaques systématiques contre le Maroc à des fins inavouées ». « Le problème auquel nous nous heurtons provient de certains eurodéputés qui ont fait du PE une plateforme pour attaquer le Maroc de manière systématique », explique Lahcen Haddad dans cet article. 

Des relations sous tensions 

Paris réfute l’existence de toute crise avec Rabat, même si la perspective annoncée d’une visite d’État d’Emmanuel Macron dans le royaume chérifien paraît s’éloigner. « Nous sommes au contraire dans un partenariat d'exception que nous entendons nourrir", déclare Anne-Claire Legendre, porte-parole du ministère des Affaires étrangères, lors d'un point presse le 26 janvier 2023. Elle souligne la volonté de Paris d'inscrire cette relation bilatérale "dans les 10 à 20 ans" à venir.  Au-delà du vote des députés européens, il est reproché à la France de traîner des pieds sur la question du Sahara occidental, contrairement aux États-Unis et à l’Espagne, qui ont reconnu la « marocanité » de ce territoire, « cause nationale » au Maroc. 

En outre, le rapprochement entre Paris et Alger, rivale régionale du Maroc, suscite des aigreurs à Rabat. « Le Maroc en a assez du deux poids, deux mesures », affirme le député du parti de l’Istiqlal Abdelmajid Fassi Fihri dans une interview à l’AFP. Il déplore que le Parlement européen n’ait pas condamné les atteintes à la liberté de la presse en Algérie.