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Commentaires : Patrice Férus | © TV5MONDE | Montage : Clémence Dehondt
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Maroc : Le procès de plusieurs militants du "Hirak" ajourné au 17 octobre

Ces derniers mois, plusieurs militants du soulèvement du Rif passaient en justice, alors que dans cette zone en effervescence du nord du Maroc un retour au calme semble s'être imposé.
À la cour d'appel de Casablanca... ce n'était pas que le procès d'une vingtaine de militants du mouvement de contestation du nord du Maroc... Il y avait spécifiquement une audience consacrée à Hamid el Mahdaoui... le directeur du site d'information badil.info, soupçonné dans cette affaire de collusion avec l'étranger. 

Une abberation selon Mohammed Ziane, son avocat qui ironise sur le parvis du tribunal :"Hamid El Mahdaoui aurait reçu un appel téléphonique de l'étranger dans lequel on lui disait que quelqu'un allait faire rentrer à Nador des chars russes, dans le but d'instaurer la république du Rif... Il  faut être fou pour croire cela..."

Un procès déjà renvoyé au 17 octobre 2017... La défense doit se préparer... mais ce n'est sans doute pas la seule raison...
Rosa Moussaoui, la journaliste de "l'Humanité" estime qu'"il y a une forme d'hésitation du pouvoir dans la stratégie à adopter.Après avoir mis en prison plus de 400 militants de ce mouvement, sans parvenir à le décapiter, le pouvoir ne sait plus sur quel pied danser, face à ce mouvement du Rif"

Concernant l'aspect social... l'une des revendications premières des mécontents ... les projets de développement d'Al-Hoceïma... sont encore au point mort... ou en retard... Le roi Mohammed VI a demandé à la Cour des comptes de mener une enquête...

La corruption est l'un des éléments d'explications... avec... aussi, sans doute... une marginalisation politique de la zone du Rif qui dure depuis des décennies... 
 

 

Trois questions à Rosa Moussaoui, journaliste à 'L'Humanité"

TV5MONDE : Que nous dit l'ajournement décidé pour le 17 octobre prochain du procès de ces nombreux militants ?
Rosa Moussaoui : Il faut savoir que ce type d'ajournement de procès est quelque chose de très fréquent lorsque comparaissent des détenus politiques. Au Maroc, la justice n'est pas indépendante, elle est très liée au pouvoir politique, et là, en quelque sorte, le pouvoir marocain ne sait plus trop quoi faire des détenus politiques. À ce jour, il a fait emprisonner plus de 400 militants (des cadres, mais aussi de simples manifestants) avec l'espoir et l'idée de décapiter ce mouvement, ce qui ne s'est évidemment pas produit. Là, il y a donc une sorte d'hésitation sur la stratégie à adopter d'autant qu'au sein du régime, il y a des divergences sur le sujet entre une aile un peu conciliatrice qui plaide pour plus de mansuétude par crainte d'une contagion de ce mouvement social et une aile beaucoup plus répressive qui veut faire des exemples, et taire ce mouvement social.
MOUSSAOUI Capture

TV5MONDE : Cette crise est aussi le énième témoignage du lourd passif qui existe entre cette région du Rif et le régime ?
R.M: Oui. Ce n'est évidemment pas la première fois que le Rif se soulève. Il y avait eu un soulèvement populaire en 1958, très durement réprimé à l'époque par Hassan II, qui en tant que prince était chef des armées. Les Rifins se souviennent de cette répression qui avait aboutit à une militarisation de la région. Une militarisation qui n'a toujours pas été levée, à ce jour malgré des demandes répétées de l'abrogation effective du décret royal qui l'autorise. Ensuite, il y a eu des émeutes de la faim en 1984, là encore sévèrement réprimée par Hassan II. Même aujourd'hui, le bilan exact n'est pas connu. Le Rif, c'est une région rebelle. Elle a des démêlés avec le pouvoir central, et elle s'estime marginalisée. Le différend historique entre le Rif et cette dynastie alaouite, remonte sans doute à l'époque coloniale. Lorsque le Rif se soulève à l'appel d'AbdelKrim al-Khattabi (NDLR :  résistant d'origine rifaine, icône de la lutte contre la décolonisation) dans les années '20, le sultan n'appuie pas les insurgés et se range plutôt du côté des colonisateurs français et espagnols. C'est un lourd contentieux revient à chaque soulèvement populaire. On a vu encore récemment des manifestants brandir le drapeau de l'éphémère république fondée par Abdelkrim al-Khattabi, un héros dont la mémoire a été complètement effacé de l'Histoire officielle.

TV5MONDE : Concernant l'aspect social et notamment la modernisation de cette zone du Rif, le royaume évoque des retards dans les grands travaux. Qu'est-ce que ça dit là encore ?
R.M : Il y a beaucoup de projets qui se sont évidemment enlisés dans les sables de la corruption. Je pense à ce projet de route emblématique sensé désenclaver la zone, qui a pris beaucoup de retard et dont le coût a exploser en cours de route. Mais tout ça n'explique pas le manque d'équipements. Les habitants réclament par exemple, un hôpital régional pour soigner les pathologies cancéreuses. Il faut savoir qu'à l'époque de la guerre du Rif que des milliers de tonnes de bombes au gaz moutarde avaient été larguées sur la région et depui, il y a un taux de prévalance des cancers beaucoup plus fort qu'ailleurs au Maroc. La région n'a qu'un petit centre d'oncologie, avec peu de matériel, peu de personnel qualifié. Les Rifins demandent aussi des écoles et une université. Les étudiants d'Al-Hoceïma sont obligés d'aller s'installer à Oujda (au nord-est à 250 km) ou à Rabat (à plus de 450 km) pour étudier.
Ils veulent aussi des investissements pour créer des emplois et une vraie activité économique. Si l'on fait exception de grands pôles comme Tanger, la côte méditerranéenne est une zone abandonnée. Mais il y a aussi la dimension politique, car en 2011, quand les Marocains avaient demander la transition vers un État de droit, et vers davantage de démocratie, des promesses avaient été formulées à l'époque par le roi Mohammed VI. La Constitution avait été réformée mais toutes ces promesses ne se sont jamais traduites et c'est un peu cette frustration qui remonte aujourd'hui à la surface avec ce mouvement du Rif.