Mohammed VI le 31 juillet 2008 à Fez (AFP) Le 23 juillet 1999, à l'âge de 35 ans, Mohammed VI succédait à son père Hassan II. Le 30 juillet, il était intronisé. Dix ans plus tard, où en est le Maroc ? Le bilan de celui que les Marocains appellent M6 est contrasté et s'il est indéniable que les choses bougent, certains souhaiteraient qu'elles avancent plus vite.
Le regard d'Abdellah Taïa, écrivain
30 juillet 2009
En dix ans, le Maroc a bougé. Un peu. Beaucoup ? Non, juste un peu. Les grandes lignes sont toujours les mêmes. Les traditions sclérosantes contrôlent comme avant les esprits et empêchent une réelle libération de l'individu marocain. On ne s'appartient pas, au Maroc. C'était le cas en 1990. C'est encore le cas en 2009. Des voix s'élèvent pour que les libertés individuelles soient reconnues, assumées. Qu'on modifie enfin les lois. Qu'on permette le changement des mentalités. Pour de vrai. La schizophrénie : y en a marre ! La peur : y en a marre ! Les jeunes isolés : y en a marre ! La banalité comme destin, comme fatalité : y en a marre ! En dix ans, que s'est-il passé de positif dans mon pays ? Deux choses. Deux grands événements. D'abord le changement officiel du statut de la femme: c'est une très bonne nouvelle; elle rend heureux, confiant, cette nouvelle. Une nouvelle sans suite, malheureusement. Dans la loi, la femme est désormais libre. Dans la réalité, elle reste prisonnière. La faute à qui ? Au pouvoir qui n'a pas su comment imposer ce changement ? Au peuple marocain qui refuse toujours de se regarder en face ? Ensuite, il y a eu la Nayda. La Movida marocaine. Une toute petite Movida qui ne concerne pas tous les Marocains certes, mais une Movida réelle. Belle. Qui va laisser des traces. Elle s'essouffle en ce moment. Il n'empêche: un vent de liberté a traversé le Maroc grâce à ce mouvement qui englobe aussi bien la presse, la chanson, le cinéma que la littérature. Qui va maintenant amplifier ce mouvement, lui donner une reconnaissance politique ? Qui au Maroc va se servir de la Nayda pour imposer une réelle modernité, une réelle démocratie ? Une autre question : le Maroc est-il prêt pour une véritable modernité ? Question récurrente, énervante, posée par des gens qui, au fond, n'aiment pas ce pays. La réponse est évidente : le Maroc est déjà dans la modernité. Seuls le pouvoir et la famille ne le voient pas encore. Que faire alors ? En dix ans, les riches sont devenus plus riches. Indécemment riches. Et les pauvres ? Qui parle des pauvres ? Qui écrit les pauvres ? Qui regarde les pauvres ? Aux dernières nouvelles, le Maroc pointe au 126e rang au classement du développement humain établi par l'Onu. Quel désespoir ! Oui, donc, que faire ? Comment aimer le Maroc ? comment convaincre les autres d'arrêter de haïr le Maroc et les Marocains? Comment élever le Maroc ? Il y a de l'espoir. Il y a aussi de l'attente. Attendre jusqu'à quand ? Dans ma famille, on en est toujours à survivre. Dans ma famille, il n'y a plus de livres. Dans ma famille, les femmes se sont voilées. Dans ma famille, on sait que je suis homosexuel. Je l'ai écrit. Dit dans la presse marocaine. Oui, il y a de l'espoir : les jeunes de ce pays. Il faut les regarder autrement avant qu'il ne soit trop tard. Il faut leur rendre justice. Leur faire confiance. Les libérer. Tout le Maroc y gagnera. Je rêve ? Martin Luther King a bien dit : "I have a dream". Aujourd'hui Barack Obama est le président des États-Unis. Oui, je le redis, il y a de l'espoir. Il faut s'y accrocher. Ouvrir les yeux. Critiquer. Critiquer. Pour mieux avancer. Être seul pour pouvoir enfin parler. Lancer sa voix au monde. La jeunesse marocaine l'a compris... Je l'espère...