
Fil d'Ariane
Nabil Adel : Non, car le Maroc continue d’avoir un ancrage fort en Europe. En témoigne la structure de ses échanges commerciaux et des investissements directs. Entre Hassan II et Mohammed VI, ces données sont restées quasiment stables. L’Europe continue de peser dans les relations internationales du Maroc. L’arbitrage s’est fait entre l'Afrique et le monde arabe. Hassan II était davantage tourné vers le monde arabe et son fils a fait le choix de l’Afrique. Désormais, là où Hassan II avait une politique plus offensive avec le monde arabe, Mohammed VI a des relations plus calmes.
Quel a été l'objectif de Mohammed VI en optant pour l'Afrique subsaharienne ?
En géopolitique, les rapports se construisent toujours en termes de zones d’influence. Étant une économie émergente, le Maroc a besoin d’un espace économique dans lequel il peut évoluer tranquillement. Du côté de l’Est et de l’Union du Maghreb arabe, du fait de l’affaire du Sahara occidental, nous étions en situation de mort clinique depuis plusieurs années. Cette situation asphyxiait le développement du Maroc dans son environnement géographique. Il fallait donc trouver d’autres couloirs de respiration.
26 février 2002, à Rabat, le roi Mohammed VI entouré de Lansana Conte et Ahmed Tejan Kabbah qui dirigeaient respectivement la Guinée et la Sierra Leone.
Outre cet aspect économique, il y avait aussi une lecture culturelle et historique. Le Maroc a eu beaucoup de soucis en provenance du monde arabe.
À l’époque du panarabisme tout d’abord, avec des gens comme Nasser en Egypte, Boumedienne en Algérie, Khadafi en Libye et même Assad père en Syrie, il y a eu plusieurs tentatives de déstabilisation du Maroc à travers des tentatives de coups d’État. Pour les régimes panarabes, les monarchies étaient des régimes réactionnaires et d’un autre âge. Ils ont tout fait pour les combattre.
D’un point de vue institutionnel, cette stratégie a été couronnée par le retour du Maroc dans l’Union africaine au début de l’année 2017.
Nabil Adel, chercheur en géopolitique
Ensuite, une certaine vision de l’islam venant cette fois des monarchies arabes, la vision wahhabite, a pu créer des tensions au sein de la société marocaine et cela explique également cette volonté du roi Mohammed VI de tourner le dos au monde arabe. Le roi n’a assisté qu’à un seul sommet arabe depuis son accession au trône. Il s’est même désisté à la dernière minute en 2016 alors qu’il devait organiser ce sommet. À la place, il a fait le choix d’une présence intensive en Afrique.
Est-ce dû à certaines affinités personnelles comme avec le Gabon d’Ali Bongo par exemple ?
Non, je pense que cela transcende cette question. En effet, le roi Mohammed VI a plus d’affinités personnelles avec beaucoup de chefs d’État arabes que de dirigeants africains. Il a fait ce choix pour des considérations purement géopolitiques.
D’un point de vue institutionnel, cette stratégie a été couronnée par le retour du Maroc dans l’Union africaine au début de l’année 2017. Il en était sorti en 1984. Dans la foulée, le Maroc a demandé une adhésion à la CEDEAO. Dans le même temps, les échanges du Maroc avec l’Afrique ont considérablement augmenté ces dernières années et le Maroc est devenu le premier investisseur africain en Afrique devant l’Afrique du sud. Les longues tournées du roi n’ont pas qu’une portée symbolique, il y a des retombées sur le terrain notamment en termes de flux commerciaux et d’investissement mais aussi à travers la politique de régularisation des Africains établis au Maroc. Cela se compte déjà en dizaines de milliers. Ce à quoi il faut ajouter les bourses d’études distribuées par le Maroc à tous les étudiants africains qui viennent étudier ici. On peut parler d’une relation multidimensionnelle.
"Sous Hassan II puis Mohammed VI, l’affaire du Sahara continue à rythmer la géopolitique du Maroc et ses relations internationales. Ce dossier constitue le point focal autour duquel se tissent toutes les relations économiques du Maroc. On pense en particulier avec l’Algérie mais de manière générale, le Maroc affiche une certaine froideur voire une adversité avec tous les pays qui ont une position bienveillante à l’égard de la République sahraoui.
Récemment, pourtant, on a pu assister à une politique d’ouverture à l’égard de ces pays. Ainsi, en Amérique latine, le Maroc a opéré un certain nombre de percées diplomatiques qui se sont soldées par le retrait de reconnaissance de la RASD d’un certain nombre de pays. Le Maroc a profité, il faut le dire, du retour au pouvoir, dans certains pays américains, de courants plus conservateurs. Historiquement, quand la gauche était au pouvoir en Amérique latine, on pouvait parler de Printemps de l’entité séparatiste".