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L'enquête n'a pas permis d'établir "la participation directe des forces militaires françaises à des exactions commises dans des camps de réfugiés, ni aucune complicité par aide ou assistance aux forces génocidaires ou complicité par abstention des militaires français sur les collines de Bisesero en l'absence d'intention de ces derniers de faciliter la commission du crime de génocide et des crimes contre l'humanité" , explique dans un communiqué la procureure de Paris Laure Beccuau.
Dix-sept ans après le début de l'enquête et quatre ans après sa clôture, deux juges d'instruction du tribunal judiciaire de Paris ont signé, le 1er septembre, une ordonnance de non-lieu en faveur des cinq militaires français mis en cause.
Close une première fois en 2018 (le Parquet avait de fait requis en mai 2021 un non-lieu dans le dossier, ndlr), l’enquête a été réouverte l’été dernier, à la suite du versement au dossier d’un rapport, commandé par le président français, d’une commission présidée par l’historien Vincent Duclert, publiée en avril 2021. Dans une synthèse du rapport, versée le 23 juin, "l'échec profond" de la France lors des massacres de Bisesero avait été pointé.
Du côtés des parties civiles, l'ordonnance de ce nouveau non-lieu est difficle mais elles ne baissent pas les bras. Plusieurs d'entre-elles dont des associations ont décidé de faire appel.
Entretien avec Alain Ngirinshuti, survivant du génocide des Tutsis au Rwanda et ancien secrétaire général d'Ibuka Europe.
Le Massacre de Bisesero est un épisode particulièrement sanglant du génocide des Tutsis au Rwanda. Du 27 au 30 juin en 1994, des milliers de Tutsis ont été assassinés par les milices et troupes gouvernementales hutus sur les collines de Bisesero, dans l’ouest du pays.
Le 22 juin 1994, deux mois après le début du génocide des Tutsis, orchestré par le régime extrémiste hutu au pouvoir (plus de 800.000 morts entre avril et juillet selon l'ONU, ndlr), l'ONU donne son feu vert à la France pour une opération militaro-humanitaire. Nommée Turquoise, cette opération vise notamment à "faire cesser les massacres" et "contribuer à la protection des civils en danger" au Rwanda.
Dans cette affaire du massacre de Bisesero, plusieurs associations Survie, Ibuka, FIDH ainsi que six rescapés de Bisesero, constituées parties civiles, accusent l’armée et la France de "complicité de génocide". Selon eux, les militaires français de l’opération Turquoise ont sciemment abandonné pendant trois jours les civils tutsis réfugiés dans les collines de Bisesero, y laissant se perpétrer le massacre de milliers d’entre eux par les génocidaires.
Ils réclament alors un procès non seulement contre les militaires mais également contre des membres de l'entourage de l'ancien président français François Mitterrand, jamais visés par l'enquête.
TV5MONDE : Quelle est votre réaction face à cette ordonnance de non-lieu ?
Alain Ngirinshuti : En tant que survivant du génocide des Tutsis, cela provoque forcément un fort sentiment de déception. Il est difficile de m’exprimer précisément sur cette décision sans en connaître les raisons exactes mais nous pouvons déjà constater que le laps de temps a été très court entre la réouverture de l’enquête et l’ordonnance du non-lieu. Nous pouvons donc nous interroger sur la bonne prise en compte de certains faits, notamment ceux révélés par le rapport Duclert, qui a pourtant conclu à des responsabilités accablantes. Dans ce sens, nous pouvons nous demander si tous les acteurs intéressés par l’affaire ont vraiment pu être entendus par la justice.
Je reste toutefois convaincu qu’il y a différentes formes de justice : la justice telle qu’on la connaît, la justice historique, qu'a mis en lumière le rapport Duclert et la justice morale. Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de condamnés qu’il n’y a pas de coupables.
TV5MONDE : en parlant du rapport Duclert, qu'elle a été votre réaction lorsque l'enquête a été réouverte l'été dernier ? Avec les éléments mis en avant par le rapport, vous attendiez-vous à un second non-lieu ?
A.N : Dès l'ouverture de la première enquête, nous étions convaincus que l'affaire était suffisamment grave et les faits suffisamment accablants pour que l'enquête soit jugée. Il existe beaucoup d'éléments sur l’affaire Bisesero dans le domaine public : des enregistrements, des témoignages de militaires de l’époque qui ont participé à l'opération Turquoise etc ... Tous ces éléments ont été versés au dossier. Lors de l’ouverture de la première enquête, nous pensions que ces éléments seraient suffisants pour porter l’affaire devant les tribunaux. Le premier non-lieu a donc été une déception pour nous.
La réouverture de l’enquête m’a surpris. Mais lorsque vous avez un rapport comme celui de Vincent Duclert, qui va à ce point dans les détails sur des ordres donnés par l’État-major, qui conclut à des responsabilités aussi accablantes, il était évident que les juges d’instructions devaient le prendre en considération. Cela l'a étonné mais dans le fond, c'était évident.
A coté du travail judiciaire, il y a le travail de mémoire et dans un ceratin sens, la justice participe à ce travail de mémoire. Nous déplorons que la justice ait été aussi lente à se saisir de ce dossier. Plus le temps passe plus les preuves et les témoins disparaissent.