Ces destructions reflètent-elles une fracture religieuse au Mali ?
Elles reflètent plutôt l'existence de courants différents au sein de la coalition qui tient le nord du Mali. Chacun, au jour le jour, tente d’avancer ses pions et d’imposer ses conceptions. Cette coalition rassemble trois principaux groupes, représentatifs des trois tendances de l’islamisme politique aujourd’hui actif dans la région : Aqmi, qui défend une conception djihadiste terroriste ; Mujao, axé sur les concepts d’unicité et de djihad ; Ansar Dine, le mouvement des défenseurs salafistes de la religion, qui contrôle Tombouctou et le nord Mali.
Vis-à-vis de la population, comment les profanateurs peuvent-ils justifier la destruction de mausolées musulmans ?
Au sein de Ansar Dine même, plusieurs tendances coexistent : l’une plutôt rigoriste, qui prône un retour aux premiers temps de l’islam ; l’une scientifique, orientée sur la réforme de l’islam ; et une tendance wahhabite, axée sur une réforme du comportement et de l’environnement des croyants. C’est cette dernière qui tente d’avancer ses pions actuellement. Pour ses fidèles, l’islam est une relation directe avec Allah, sans aucune médiation possible. Or ces mausolées, des édifices à la mémoire des morts, matérialisent non seulement l’importance des défunts pour les vivants, mais sont aussi la preuve qu’il n’y a pas d’unicité divine (« Il n’y a de divinité qu’Allah»). Détruire les mausolées, niveler les tombes au ras du sol et dénuder les mosquées ne sont pas des idées nouvelles. Elles ont été développées dès le XVIIIe siècle par le fondateur du wahhabisme Mouhammad Ibn 'Abde l-Wahhab, qui, à l’époque, s’était déjà attaqué aux mausolées en Arabie. Les islamistes touaregs ne font que reproduire des symboles et des signes qui ont déjà existé dans l’histoire musulmane.
Quel écho les profanateurs trouvent-ils dans la société ?
Nous n’avons pas ici une islamisation par le bas, comme celle des Frères musulmans qui oeuvrent à tous les échelons de la société pour convaincre de la viabilité de leurs efforts. Nous assistons à l’imposition d’une nouvelle doctrine par la force. La société, ébahie et terrorisée, voit que ceux qui détruisent les mausolées ont les moyens de le faire par la force, et personne n’a envie de s’y frotter. Nous assistons plutôt à une lutte de pouvoir entre groupes islamistes qu’à une interaction entre les islamistes et la société.