Fil d'Ariane
Barrages routiers, écoles fermées, caillassages,… Depuis le 22 janvier, l’archipel de Mayotte est paralysée. Quelles sont les raisons de ces tensions ? Décryptage.
Un barrage routier à Mayotte, le 24 janvier 2024.
Depuis le 27 janvier, sur ordre de la préfecture, les gendarmes mahorais tentent de lever les barrages routiers qui paralysent l’archipel. Cependant, ces opérations ont suscité la colère des manifestants. Dans la nuit du 28 au 29 janvier, deux personnes ont été gravement blessées sur un barrage. Par ailleurs, d’autres barrages continuent d’être établis, en utilisant des arbres. "Ça tire de tous les côtés, il y a des caillassages depuis ce matin, les gendarmes lancent des bombes lacrymos puis s’éloignent", rapporte Jean-Charles Roche, qui travaille à proximité de d’un carrefour desservant le centre, le nord et le sud de l’île le 29 janvier.
Par ailleurs, dans le collège de Kongou, au nord de Grande-Terre, la plus grande île de l’archipel de Mayotte, des agents et professeurs exercent leur droit de retrait depuis le 24 janvier. Ce jour-là, une cinquantaine de jeunes armés de machettes, de pierres ou de barres de fer se sont dirigés vers ce collège, afin de "régler leurs comptes dans le cadre d'un conflit inter-villages". Une poignée d’entre eux "a tenté de s'introduire dans l'établissement" avant d'être mise en fuite par l'arrivée des forces de l'ordre.
Les barrages ont été érigés contre "l'insécurité" et la présence de migrants africains, qui paralysent l'île depuis plusieurs jours, indique la préfecture. Ils ont été mis en place principalement par des collectifs de citoyens afin de protester en particulier contre l'installation de demandeurs d'asile originaires de l'Afrique des Grands Lacs dans un camp entourant le stade de Cavani, à Mamoudzou, qui électrise la situation sur l'île. Au départ, Le démantèlement de ce camp a lui-même démarré le 25 janvier. Cela n’a pas suffi à calmer la colère des manifestants.
Ce camp de migrants, c’est juste la goutte de trop.
Fahad Idaroussi Tsimamda, docteur en géographie des risques
Fahad Idaroussi Tsimamda est docteur en géographie des risques et chercheur au laboratoire de géographie et d’aménagement de l'Université de Montpellier (LAGAM). Selon lui “ce camp de migrants, c’est juste la goutte de trop.” “Il faut savoir que malgré l’opération Wuambushu (NDLR : opération lancée fin avril visant à expulser les migrants illégaux, installés dans des quartiers particulièrement insalubres, appelés "bangas"), la paix sociale ne règne pas”, détaille-t-il. Par exemple, au cours des derniers jours, “une voiture a été arrêtée par des jeunes voyous, raconte le chercheur. Ils ont fracassé la vitre avec une bouteille de gaz.”
Safina Soula Abdallah, présidente du Collectif des citoyens de Mayotte 2018 est très présente sur ces diverses actions. Elle considère que “la situation est dégradée depuis longtemps déjà, mais on ne fait que répéter la même chose.” “L’État est démissionnaire depuis plusieurs semaines”, regrette-t-elle. Son collectif demande le démantèlement du camp situé dans le stade de Cavani, où les demandeurs d’asiles se sont installés. “Il faut qu’il y ait de la considération envers des Mahorais”, martèle-t-elle.
On doit être considéré comme le reste du territoire français.
Safina Soula Abdallah, présidente du Collectif des citoyens de Mayotte 2018
Selon la présidente du Collectif des citoyens de Mayotte 2018, le titre de séjour territorialisé attise le feu des tensions. En effet, les personnes arrivant illégalement sur le sol mahorais le font avec l’espoir d’obtenir un titre de séjour, ce qui leur permettrait ensuite de partir vers l’Hexagone. Entre le 1er janvier et le 1er décembre 2023, près de 1 500 exilés originaires d'Afrique des Grands Lacs ont déposé une demande d'asile à Mayotte, relève le site d’information InfoMigrants.
Cependant, la quasi-totalité des titres délivrés le sont pour une durée d’un an seulement, ce qui ne donne aucune perspective au bénéficiaire de quitter Mayotte. Or, Safina Soula Abdallah estime que l’abrogation de cette mesure permettrait de désengorger l’archipel. “On doit être considéré comme le reste du territoire français” considère-t-elle.
Elle n’est pas la seule à réclamer l’abrogation de ce titre. Fahad Idaroussi Tsimanda explique que “c’est une demande qui date de plusieurs années.” “À plusieurs reprises, les Mahorais, avec l’appui de leurs députés et sénateurs, ont demandé l’abrogation de ce titre de séjour territorialisé”, détaille-t-il. Or, cette demande a toujours été refusée dans l’Hexagone. Le chercheur explique que selon les élus nationaux, “cette abrogation provoquerait un appel d’air et Mayotte servirait de tremplin pour les personnes souhaitant partir dans l’Hexagone.” En raison de cette crainte, la demande de l’abrogation du titre de séjour territorialisé ne semble pas prête d’aboutir.