Minusma au Mali : quelles sont les raisons de la prolongation de la mission de l'ONU ?

Le Conseil de sécurité de l'ONU a décidé ce 29 juin de prolonger d'un an la mission de paix Minusma au Mali sans soutien aérien français comme dans le passé. Les opérations française de Barkhane et européenne de Takuba prennent prennent fin de leur côté. Comment expliquer le maintien de cette présence onusienne ? Entretien avec Jérôme Pigné, président et co-fondateur du Réseau de Réflexion Stratégique sur la Sécurité au Sahel (2r3s).

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Soldat français Barkhane
Les Casques bleus de l'ONU montent la garde dans un bureau de vote, lors des élections présidentielles à Kidal, au Mali, le 28 juillet 2013.
© Rebecca Blackwell/ AP
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TV5MONDE : Pouvait-on s’attendre à une telle décision de prolonger cette mission ?

Jérôme Pigné, président et co-fondateur du Réseau de Réflexion Stratégique sur la Sécurité au Sahel (2r3s) : Cette décision s’inscrit dans un processus normal. Le mandat de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) est renouvelé chaque année, à ce moment-là, au mois de juin, devant le Conseil de sécurité des droits humains à New-York.

 Il faut qu’il y ait un consensus global de la part du Conseil de sécurité de l’ONU. Autrement dit, il ne faut pas qu’il y ait de véto. Il faut également l’accord des autorités maliennes.

Contrairement à Barkhane et Takuba, La Minusma n’a pas un mandat offensif de lutte contre le terrorisme.
Jérôme Pigné, président et co-fondateur du Réseau de Réflexion Stratégique sur la Sécurité au Sahel (2r3s)

C’est vrai que c’est la première fois que l’on s’interroge sur l’avenir de cette mission. On est en droit de se demander si les Maliens veulent continuer à collaborer avec les États-Unis via la Minusma. Mais contrairement aux mandats de Barkhane de l’armée française et Takuba de l’Union Européenne, la Minusma n’a pas un mandat offensif de lutte contre le terrorisme.

TV5MONDE : Vous dites que la Minusma n’est pas un "mandat offensif". Concrètement, que fait la Minusma sur le terrain ?

C’est en fait une mission classique du maintien de la paix. Elle est là pour stabiliser et pacifier le territoire. L’ONU affiche une position neutre. 

Il y a une Division des Affaires Politiques, travaillant à l’appui et au dialogue national. Une autre division est dédiée à la question des droits humains (DDH). Elle est chargée de réaliser des missions d'observation. C’est elle qui a recensé par exemple les massacres perpétrés par l’armée malienne et les forces de Wagner. 

À (re)voir : Mali : une attaque terroriste fait plus de 132 morts

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Au-delà de ça, sur le plan militaire certains contingents font du renseignement. Mais ils n’ont pas le droit d’exploiter ce renseignement au profit de Takuba ou Barkhane. Ils sont là pour quadriller le territoire et éviter que la menace puisse s’ancrer dans la zone.  
 

C’est aussi pour cela qu’il y a une sorte d’absurdité dans sa capacité ou non à riposter face aux attaques des groupes armés terroristes. La Minusma subit des attaques liées à des poses d’EEI (engins explosifs improvisés) ou des roquettes sur les différents camps au même titre que Barkhane et Takuba

MINUSMA au Mali
Carte du Mali des principaux points d'action de MINUSMA
© TV5MONDE

TV5MONDE :  Y-a-t-il un sens à prolonger cette opération dans ce contexte de plus en plus incertain ?

Jérôme Pigné : Ce qui est certain, c’est que l’on n’a pas outillé ces contingents du bon mandat pour faire face à cette insécurité grandissante. 

C'est un renouvellement en demi-teinte.

Jérôme Pigné, président et co-fondateur du Réseau de Réflexion Stratégique sur la Sécurité au Sahel (2r3s)

En plus, cette année, le Mali refuse catégoriquement que la Minusma exerce sur son sol des missions d’observation des droits humains. Or la question des droits humains est au cœur du projet de la Minusma. On l’a vu avec les rapports sur le massacre de Mourra par exemple (Le massacre de Moura a lieu du 27 au 31 mars. Entre 200 et 600 civils ont été tués).

C’est donc un renouvellement de mandat en demi-teinte et la Minusma est d’autant plus affaiblie. Mais cela ne veut pas dire qu’il y a une moins grande présence d’hommes et de femmes sur place. Les contingents allemands ont même été réévalués à la hausse cette année.

Qu’est-ce que la Minusma ?

La Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (la Minusma) a été créée par le Conseil de sécurité le 25 avril 2013.

Le document prévoit un maintien des effectifs actuels, soit 13 289 militaires et 1 920 policiers. Il réclame aux Casques bleus de soutenir l'application de l'Accord de paix de 2015. Il exige une transition politique, le retour l'autorité étatique dans le centre et la protection des civils.

Les Casques bleus doivent "surveiller, documenter, mener des missions d'établissement des faits." Ils doivent aider à enquêter et faire rapport publiquement et trimestriellement au Conseil de sécurité "sur les violations et atteintes aux droits de l'homme", précise le texte.
 
La Minusma, qui a le devoir d'ouvrir des enquêtes en cas d'allégations, a vu depuis le début de l'année sa liberté de mouvement se réduire fortement, selon des diplomates. 

TV5MONDE : la Minusma est-elle mieux vue par les Maliens que Barkhane et Takuba ?

Jérôme Pigné : la Minusma a toujours eu un problème de légitimité de crédibilité sur le terrain. La contestation est de plus en plus forte. Les populations ne comprennent pas spécialement pourquoi on a une force de plus de 12 000 soldats et 3 000 policiers et que l’insécurité reste grandissante. Mais on a fait le même constat au titre de Barkhane. Le mandat doit être expliqué, il faut avoir une certaine pédagogie.

Le gouvernement malien est de plus en plus embêté par les missions d’observation de droits humains de la Minusma.

Jérôme Pigné, président et co-fondateur du Réseau de Réflexion Stratégique sur la Sécurité au Sahel (2r3s)

Au-delà de ça, la mission n’a pas toute sa légitimité pour le gouvernement de transition malien. La Minusma est taxée d’être pro française. Or, le Mali se tourne vers de nouveaux partenaires, dont la Russie. Et le gouvernement malien est de plus en plus embêté par les missions d’observation de l’ONU.

TV5MONDE : Le soutien des forces françaises aériennes à la Minusma est aujourd’hui inenvisageable ?

Jérôme Pigné : Cela a été balayé d’un revers de main par le Ministre des affaires étrangères malien, Abdoulaye Diop. Selon lui, la France a décidé de manière unilatérale de retirer ses troupes. Elle abandonne ainsi en plein vol le Mali. Donc, selon lui, les Français ne doivent pas proposer le moindre soutien aérien à Minusma et aller jusqu’au bout de leur démarche. Or, on sait aujourd’hui que la Minusma est dépendante de l’appui de Barkhane.

Le retrait Barkhane est acté. Mais la Minusma risque d’être encore plus fragilisée sans l’appui aérien de Barkhane.

Sans l'appui des forces aériennes de Barkhane, je crains que la mission ne soit encore plus compliquée.

Jérôme Pigné, président et co-fondateur du Réseau de Réflexion Stratégique sur la Sécurité au Sahel (2r3s)

TV5MONDE : Comment peut-on imaginer l’évolution de la mission de la MINUSMA maintenant ?

C’est la première fois qu’on sent que potentiellement la Minusma pourrait vivre ses dernières heures. Il faudra voir quels seront les interlocuteurs maliens quand on rediscutera au mois de juin du prochain mandat de la Minusma.

Aujourd’hui, un des points de crispation concerne le travail de la Division des Droits de l'Homme (DDH) au Mali, aujourd’hui remis en cause par le président malien. MINUSMA avait un mandat difficile avec la présence de Barkhane et Takuba. Sans leurs appuis respectifs, je crains que la mission ne soit encore plus compliquée.