Fil d'Ariane
Les membres d'une mission de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao) en Guinée à la suite du putsch contre le président Alpha Condé ont affirmé l'avoir vu vendredi et l'avoir trouvé en bonne santé.
Nous avons vu le président Alpha Condé ici au quartier général de la junte
Jean-Claude Kassi Brou, président de la Commission de la Cédéao
"Nous avons vu le président, il va bien", a déclaré aux journalistes le ministre burkinabè des Affaires étrangères, Alpha Barry. "Nous avons vu le président ici au quartier général de la junte", a précisé le président de la Commission de la Cédéao, Jean-Claude Kassi Brou, confirmant que "le président Alpha Condé va bien".
Quelques heures plus tôt, en fin de matinée, la délégation, composée des ministres des Affaires étrangères de quatre pays et du président de la commission de la Cédéao, Jean-Claude Kassi Brou, est arrivée à Conakry, capitale guinéenne, à bord d'un avion de la république du Ghana, qui assure la présidence tournante de l'organisation régionale. La ministre ghanéenne Shirley Ayorkor Botchwey est accompagnée, outre le président de la Commission, par ses homologues nigérian Geoffrey Onyeama, burkinabè Alpha Barry et togolais Robert Dussey.
Ce même jour, le Conseil de Paix et de Sécurité, l'organe en charge des conflits et questions de sécurité au sein de l'Union africaine, annonce "suspendre la République de Guinée de toutes les activités/organes de décision de l'UA". L'organisation panafricaine, basée dans la capitale éthiopienne Addis Abeba, demande également au Conseil de sécurité de l'ONU "d'approuver le communiqué final de la Cédéao", qu'elle soutient.
Les dirigeants de la Cédéao ont tenu, eux, mercredi 8 septembre, un sommet virtuel sur les événements ayant abouti au putsch en Guinée. S'exprimant en ouverture, au titre de la présidence tournante de l'organisation, le chef de l'Etat ghanéen, Nano Akufo-Addo, a évoqué une "violation claire de notre charte sur la bonne gouvernance".
Dans un communiqué publié mercredi soir, l'organisation a critiqué ces événements : "la Conférence exprime sa très vive préoccupation face aux développements politiques survenus en République de Guinée suite au coup d’Etat du 5 septembre 2021 et leurs conséquences sur la paix et la stabilité régionale", et a "condamné, avec la plus grande vigueur, ce coup de force".
Le même jour, M. Barry avait annoncé qu'une "mission de haut niveau" serait dépêchée jeudi 9 septembre, en Guinée pour réévaluer la position de la Cédéao. Sa première sanction politique dans ce dossier a été de suspendre la Guinée de toutes ses instances de décision.
Selon une source diplomatique burkinabè, "la mission de la Cédéao est attendue vendredi [10 septembre] à Conakry. La délégation a été élargie", évoquant des "raisons organisationnelles" pour justifier ce report.
Pour le moment, aucune sanction économique n'a été évoquée contre la Guinée.
Les dirigeants ouest-africains ont ainsi "exigé le respect de l’intégrité physique du président Alpha Condé", démis de ses fonctions par les putschistes ce dimanche 5 septembre, sa "libération immédiate" ainsi que celle de toutes les personnes interpellées. Ils réclament également que les militaires "mettent en place un processus qui permette d'arriver très rapidement à un retour à l’ordre constitutionnel normal".
"Personne n'a vu Alpha Condé depuis dimanche", indique Abdoulrahmane Bah, le correspondant de TV5MONDE à Conakry. La délégation de la Cédéao a d'ailleurs exigé de rencontrer l'ancien président afin de s'assurer de sa bonne santé. "C'est le point central de sa venue", nous a-t-il expliqué.
(Re)voir Guinée : pour certains Guinéens, la Cédéao n'a pas de leçon de gouvernance à donner
L'avenir de l'ancien chef d'État sera au coeur des discussions entre la délégation de la Cédéao et la junte militaire. "La délégation vient pour tenter de négocier une éventuelle libération d'Alpha Condé, et son exfiltration vers un pays prêt à l'accueillir", explique le journaliste. Il pourrait s'agir de la République démocratique du Congo, le président Félix Tshisekedi étant un ami proche d'Alpha Condé, ou encore l'Italie, où le président déchu possède une maison, selon Abdoulrahmane Bah.
Mais selon le journaliste, les Guinéens ne sont tous pas d'accord avec cette éventualité. Alors qu'une partie de la population reproche à la Cédéao de n'avoir rien fait pour empêcher l'ex-président Alpha Condé de briguer un troisième mandat, certains ne veulent pas voir leur ancien président fuir le pays. "C'est un homme très riche et puissant. Certains croient qu'il puisse activer ses réseaux à l'étranger et tenter de déstabiliser le pays de l'extérieur", poursuit-il.
Néanmoins, le journaliste souligne également que s'il reste en Guinée, ses soutiens au pays pourraient se réveiller et s'organiser. "C'est pourquoi la junte a décidé de geler tous les avoirs de ses proches pour empêcher de financer des actions", détaille Abdoulrahmane Bah.
Les forces spéciales guinéennes conduites par leur commandant, le lieutenant-colonel Mamady Doumbouya, ont donc annoncé ce dimanche 5 septembre, avoir capturé le chef de l'Etat pour mettre fin à "la gabegie financière, la pauvreté et la corruption endémique" ou encore "l'instrumentalisation de la justice (et) le piétinement des droits des citoyens".
Elles ont dissous le gouvernement et les institutions et aboli la Constitution qu'avait fait adopter M. Condé en 2020 et dont il s'était servi pour briguer la même année un troisième mandat, malgré des mois de contestation meurtrière.
Les militaires ont promis une "concertation" nationale en vue d'une transition politique confiée à un futur "gouvernement d'union nationale". Mais ils n'ont pas fourni plus de précisions sur un calendrier. Aucune information n'a été fournie sur Alpha Condé, sinon qu'il était en bonne santé et bien traité.
Le lieutenant-colonel Mamady Doumbouya, nouvel homme fort du pays, s'est employé à rassurer les investisseurs et ses concitoyens en affirmant que les nouveaux dirigeants respecteraient tous les engagements internationaux et miniers et ne se livreraient pas à une "chasse aux sorcières".
Mardi 7 septembre au soir, la junte a fait libérer près de 80 détenus, dont plusieurs des principales figures de la contestation contre Alpha Condé, sortis de la prison civile de Conakry sous les vivats de leurs partisans et de leurs proches.
(Re)voir Guinée : la junte libère des prisonniers
Aucun décès lié au putsch n'a été rapporté officiellement. Mais des médias guinéens ont fait état d'une dizaine à une vingtaine de morts dans les rangs de la garde présidentielle, des informations invérifiables faute d'accès aux hôpitaux.