Mokele-Mbembe : sur les traces du “Loch Ness africain“

La première fois qu'on a entendu parler du Mokele-Mbembe, c'est au début du siècle dernier, dans le bassin du Congo. "Énorme, extra-ordinaire, dangereux..." Aujourd'hui, cet animal a toujours de quoi alimenter les fantasmes, pour peu que certains tentent l'aventure pour le retrouver. C'est le cas de Jérôme Raynaud et Michel Ballot, biologistes, naturalistes et explorateurs. Quand bien même le Mokele-Mbembe n'existerait pas, c'est la recherche d'une nouvelle espèce animale qui les intéresse. Retour avec eux et en images sur l'histoire de cette recherche, l'histoire de l'aventure mystique du "Loch Ness" africain...
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Mokele-Mbembe : sur les traces du “Loch Ness africain“
La plupart des témoignages de populations locales décrivent le Mokele-Mbembe comme un dinosaure.
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"Un animal fabuleux, extra-ordinaire, énorme, laissant des traces gigantesques, avec un long cou, une longue queue, un corps d'éléphant, et une tête de serpent." C'est en ces termes que le Mokele-Mbembe est décrit pour la première fois en 1776. Cette année-là, l'abbé Proyart ramène en France les premiers témoignages de la présence de cet animal dans le bassin du Congo, une zone qui couvre le Nord Congo, Sud Cameroun, et le Nord du Gabon. Les récits sont issus pour la plupart de l'ethnie pygmée BAKA, mais n'évoquent pas encore le nom de "Mokele-Mbembe".
Mokele-Mbembe : sur les traces du “Loch Ness africain“
Les premiers témoignages de l'existence du Mokele-Mbembe viendraient de l'ethnie pygmée Baka, dans le bassin du Congo.
Ce n'est qu'au début du 20ème siècle que le mythe s'étoffe. En 1913, l'Allemagne a encore la main sur la colonie camerounaise. L'officier allemand Von Stein rapporte plusieurs rapports de voyages dans le sud du Cameroun où est cité le nom de "Mokele-Mbembe" pour décrire précisément un animal encore inconnu de l'Occident du début du siècle. Les explorateurs d'alors tentent une traduction : "l'animal qui bloque le cours des rivières". Avec un tel nom, l'animal suscite l'engouement, et les expéditions s'enchaînent jusqu'à la Seconde Guerre mondiale qui porte un coup d'arrêt à la recherche. Ce n'est qu'en 1980 que l'américain Roy Mackal relance la machine à rêver, et part pour le Nord Congo, dans la zone du lac Télé, une des parties du monde les plus inhospitalières pour l'homme… Près de trente expéditions sans résultats concrets... Cet incroyable récit de la recherche du mystérieux Mokele-Mbembe, c'est Michel Ballot, naturaliste et explorateur, qui le raconte. C'est lui qui dans les années 2000 reprend le flambeau de l'américain Roy Mackal, déjà vieux et échaudé par ses recherches en Écosse de l'introuvable Loch Ness. "Le Loch Ness" africain, c'est bien comme cela qu'il faudrait surnommer le Mokele-Mbembe, cet animal que personne n'a encore trouvé, malgré une trentaine d'expéditions de scientifiques rarement incompétents. Aujourd'hui, Michel Ballot s'y attaque, avec Jérôme Raynaud à la technique. "Depuis dix ans, l'ancien juriste Michel Ballot a consacré sa vie à la recherche du Mokele Mbembe, témoigne le documentariste. Au départ, je voulais faire un film sur lui. Mais après plusieurs rencontres et un voyage ensemble en Afrique, son histoire m'a tellement passionné que j'ai décidé plutôt de réaliser avec lui un documentaire sur la recherche de l'animal. "
Expédition farfelue ou aventure scientifique ? Les deux explorateurs souhaitent donc repartir pour une énième expédition en juillet. Outre les obstacles naturels (marécages, milieux aquatiques, etc.) qui ont jusqu'ici fait échouer toutes les tentatives de recherche du Mokele-Mbembe, Michel Ballot et Jérôme Raynaud devront aussi s'attaquer aux problèmes des sources des témoignages.
Mokele-Mbembe : sur les traces du “Loch Ness africain“
Jérôme Raynaud, réalisateur de “Mokele Mbembe, sur les traces du dernier dinosaure“, rencontré au Comptoir Général (10e).
"Cette fois-ci, nous voulons apporter une vraie rigueur scientifique à cette aventure. Car le discrédit que l'on subit en ce moment de la part d"institutions scientifiques est la conséquence d'expéditions menées avec plus ou moins de sérieux." Et pour cause, tenter ce type d'aventure, c'est s'appuyer uniquement sur des témoignages oraux. "Toute la difficulté de leur travail, précise Eric Buffetaud, chercheur au CNRS et principal soutien des explorateurs, sera de délier le vrai du faux. Mais c'est le jeu de toute expédition. Il faut rappeler que cette méthode a aussi été utilisée pour découvrir il y a 20 ans l'okapi, il y a 15 ans le saola." Une raison pour tenter le tout pour le tout ? "Bien sûr, il n'est pas avéré du tout qu'ils trouvent là-bas ni le Mokele-Mbembe, ni un quelconque animal ressemblant à un dinosaure. En revanche, il n'est pas impossible qu'ils découvrent une nouvelle espèce animale de grande taille", répond Eric Buffetaud. Quitte malgré tout à ne rien trouver, d'ailleurs. Une technologie de pointe à leur service Qui dit expédition aujourd'hui, dit technologies de pointe (voir vidéo). Les deux explorateurs jouissent en effet de moyens colossaux pour partir à la recherche de cet animal. Mais l'époque veut aussi que ce type d'aventure soit surmédiatisée, voire mal médiatisée. "L'un des problèmes que chaque explorateur a rencontré lors de sa recherche du Mokele-Mbembe, est le mauvais usage du terme 'dinosaure', précise Michel Ballot. Les scientifiques, et je les comprends, n'ont du coup pas accordé de crédit à des gens comme moi qui partent à la recherche du dernier dinosaure de la planète. Alors que chacun sait, moi le premier, qu'il est impossible qu'une espèce telle que celle-ci ait survécu jusqu'à maintenant. Aujourd'hui, je dis haut et fort que ce que nous allons chercher dans le bassin du Congo, c'est un animal, point final." Jérôme Raynaud va lui encore plus loin, "c'est toute cette région encore inexplorée que nous voulons porter aux yeux du monde." Le milieu scientifique estime au bas mot que 10 millions environ d'espèces restent encore à découvrir sur la planète, concentrées notamment dans le bassin du Congo. Le Mokele-Mbembe pourrait bien en faire partie...

Rencontre avec Jérôme Raynaud, réalisateur

Comptoir Général, Paris 10e.

Par Pauline Tissot.
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Le point de vue d'Eric Buffetaud, chercheur au CNRS

Le point de vue d'Eric Buffetaud, chercheur au CNRS
"Je soutiens cette expédition car elle permettra de découvrir deux choses : la part de réalité ou de mythe dans cette histoire de Mokele-Mbembe ; et la présence ou non d'un animal encore inconnu du grand public. Si je trouve cette aventure très intéressante, je précise en revanche qu'il n'est pas sûr du tout que Jérôme Raynaud et Michel Ballot trouvent quelque chose. Mais leur mérite est d'aller chercher, dans une région du monde encore peu explorée et dangereuse, un animal (dinosaure ou non) qui n'existe que dans des témoignages ou des légendes. D'ailleurs, il n'est pas impossible qu'ils découvrent une autre espèce d'animal de grande taille, mais pas forcément le Mokele-Mbembe. Ce type de découverte a déjà eu lieu par exemple il y a 15 ans, quand le saola a été trouvé à la frontière du Laos et du Cambodge. Aussi, toute la difficulté résidera dans les témoignages qu'ils récolteront sur place : sont-ils réels ou fictifs ? Par là, ils tenteront de déceler cette mythologie (si elle existe) qui s'est installée dans cette région depuis des décennies. Ce sera une part importante de leur travail. Enfin, si je suis un des rares scientifiques à soutenir cette expédition, c'est que bon nombre d'institutions scientifiques comme le Muséum d'Histoire Naturelle (MHN), ne distinguent plus les aventures sérieuses des expéditions totalement hasardeuses. Quand le MHN refuse de soutenir et de participer à la soirée de lancement de l’expédition Mokele-Mbembe, c'est affirmer clairement que cette dernière est néfaste et inutile. Je me positionne en totale contradiction avec ce discours, et soutiens ces explorateurs."

L'ethnie pygmée Baka

Explications de Michel Ballot, explorateur

L'ethnie pygmée Baka
"L'ethnie pygmée Baka est la plus importantes communautés du peuple de la forêt du sud-est du Cameroun. Depuis leurs origines, les Bakas vivent à l'intérieur de cette grande forêt équatoriale pluvieuse appelée "la rain forest". Ils sont en autarcie complète. Mais ce mode de vie risque de s'éteindre à cause de l'exploitation forestière et de l'ouverture de voies de circulation au coeur même de la forêt. Cette population n'a pas de terre propre, alors elle vit le long des pistes forestières, et se rattachent à la vie des villages des bantous, l'ethnie majoritaire dans cette région d'Afrique. Seuls les pygmées sont aujourd'hui capables de repérer les animaux dans la forêt. Durant nos expéditions, ils sont nos yeux et nos oreilles. Sans eux, impossible de s'aventurer dans la forêt. J'ai mis quelques années à me faire accepter par la communauté, mais de manière générale ils parlent très bien français, communiquent sans difficultés avec les Européens en expéditions, du fait notamment de la colonisation française du Cameroun. La forêt a toujours été leur principale source nourricière et protectrice. Elle est considérée comme un don de Komba, le dieu qui donne la nourriture et qui guérit les maux. Traditionnellement, la communauté vit de la cueillette, la pêche et la chasse. Mais dans la zone du sud-est du Cameroun, les Bakas pratiquent aussi l'agriculture de subsistance (arachide, banane douce, banane plantain, canne à sucre, concombre, haricot, igname, macabo, maïs, manioc, melon, oignon, patate, pomme de terre, taro, tomates, riz, gombo). Les arbres fruitiers sont également nombreux : manguiers, safoutiers, citronniers, orangers, palmiers à huile. D'autres activités rythment leur quotidien : l'artisanat, en particulier de la vannerie, la sculpture, le tissage des nasses pour la pêche, et la confection d'objets avec des peaux de bêtes."