Fil d'Ariane
"Il emporte avec lui rêves et projets que son organisme trop fatigué n'a pas voulu suivre", a annoncé sa famille ce 1er décembre.
"C'est une très grosse perte pour la sculpture sénégalaise et africaine. Ousmane Sow a été un véritable ambassadeur de la culture sénégalaise, affirme Mbagnick Ndiaye, ministre sénégalais de la Culture . Les oeuvres d'art qu'il a exposées à travers le monde montrent qu'il était un géant de la culture."
Ses mains ont scupté les hommes, les femmes, les enfants, l'#Afrique avec un immense talent. Merci à #ousmanesow pour son esprit libre https://t.co/9zqM4hPx1Q
— Michaëlle Jean (@MichaelleJeanF) 1 décembre 2016
Ousmane Sow aimait la France, qui le lui rend bien. Il figure dans le dictionnaire Petit Larousse. Il fut le premier Africain admis à l’Académie des Beaux-Arts de Paris en tant que membre associé étranger. Il fut aussi le premier Africain à battre un record mondial de vente : son oeuvre Les Zoulous a été cédée pour 528 695 euros en 2014.
Le 11 décembre 2013, Ousmane Sow recevait l'épée de l'Académie des Beaux-Arts à Paris. Derrière lui, on reconnaît l'ancien président sénégalais, Abdou Diouf.
Zoulous d'Afrique du Sud, mais aussi Masaïs du Kenya, Peulhs du Sahel, Noubas du Soudan du Sud, Indiens d'Amérique… Les peuples indigènes et leurs figures étaient la matière de prédilection de celui qu’on appelle parfois le "Rodin africain", et dont les corps figés dans le mouvement, les groupes, les visages à l’expression poignante évoquent sans conteste le maître français.
Né le 10 octobre 1935 à Dakar, Ousmane Sow va à l’école française. Il en garde une expression précise et soignée dans la langue de Molière. De ses premières sculptures, il ne reste aujourd'hui plus rien.
A 21 ans, à la mort de son père, il embarque à bord d’un cargo, cap sur Marseille. En poche, il n’a rien, ou presque. Mais la France des années 1950 était plus chaleureuse qu’aujourd’hui et pas encore minée par les problèmes d'identité. "Je n'ai pas souffert du racisme, la générosité des gens était extraordinaire. A l'époque, même les clochards avaient de l'esprit... Je me souviens de celui qui, au coin d'une rue, m'avait posé cette question : 'L'infini, ça ne te fatigue pas, toi' ?" raconte Ousmane Sow sur son site.
A Paris, il vit de petits métiers et abandonne provisoirement la sculpture, même s’il fréquente des étudiants des Beaux Arts en qui il ne se reconnaît guère. Il achève ses études d'infirmier l'année où le Sénégal accède à l'indépendance, et entreprend une formation de kinésithérapeute : "La kinésithérapie a été pour moi une profession de substitution", dit-il. Et pourtant, sa connaissance des muscles et de l'anatomie lui a bien servi pour ses créations. "Je peux me bander les yeux et faire un corps humain de la tête aux pieds", confiait-il. De fait, ses oeuvres sont l'aboutissement d'un patient travail et d'une longue réflexion sur le corps humain, qu’il triture, déforme, recrée, pour le plier à ce qu'il veut exprimer.
Lorsqu’on lui donne le choix, c’est la nationalité sénégalaise qu’il préfère à la française. En 1978, il est définitivement de retour au pays – il sera le premier kinésithérapeute du Sénégal. A Dakar, il se remet à sculpter, mais c'est à 50 ans seulement qu’il décide de se consacrer exclusivement à son art.
Il emporte dans l’au-delà le secret du matériau avec lequel il sculptait ses guerriers monumentaux, un mélange de sable, de paille, d’aliments, de terre et d’une vingtaine de produits macérés durant des années. Il en avait même revêtu le sol de sa maison à Dakar, tout en s’étonnant de l’intérêt qu’il suscitait. Car pour lui, l’essentiel était ailleurs, non pas dans la matière, mais dans le projet.
Ses oeuvres ont fait le tour du monde, mais c'est en 1999 que le grand public français le découvre, lors d'une rétrospective sur le Pont des Arts à Paris. Ses guerriers, lutteurs et colosses attiraient alors plus de trois millions de personnes. "Je ne sais pas faire des hommes soumis, expliquait-il à TV5MONDE au Sénégal en 2014. J’ai cela en moi…. Si j’ai à combattre, je veux connaître le combattant. Je veux saisir son âme sans qu’il puisse tricher."
Ousmane Sow avait fière allure et sa silhouette ployait à peine sous le poids des ans. A voir son imposante stature, à la fois adoucie et rehaussée par un sourire irrésistible, on se souvenait de son ascendance à la fois aristocratique et guerrière.
En 2014, il avait prêté des œuvres pour animer le site du XVe sommet de la francophonie. TV5MONDE l’avait alors rencontré. Il parlait de son amour et de son engagement pour la paix et la liberté, de la place de l’art en Afrique et de son attachement à son pays, le Sénégal :
► Ecoutez Ousmane Sow sur TV5MONDE le 26 novembre 2014.