Nairobi : pourquoi les forces spéciales israéliennes sont-elles intervenues ?
Alors que la prise d'otages de Nairobi semble toucher à sa fin ce mardi matin, questions sur la présence des forces spéciales israéliennes, venues prêter main forte aux forces d'intervention kenyanes. Analyse du géopoliticien spécialiste des questions militaires, Pascal Le Pautremat, et Jean-Vincent Brisset, général de brigade aérienne et directeur de recherche à l'IRIS.
Pourquoi les forces spéciales israéliennes sont-elles intervenues au Kenya ? Jean-Vincent Brisset : Dans ce genre de situations, il y a très peu de pays qui sont capables de régler les problèmes, et c'est le cas du Kenya. Ces pays ont des coopérations avec d'autres pays plus performants sur le plan technique et ils les appellent. Je me rappelle très clairement de l'intervention du GIGN français à la Mecque : on est exactement dans le même système. Un pays qui n'a pas les forces spéciales, les unités type GIGN ou RAID, fait appel chez ses alliés, ses proches, aux équivalents. Pascal Le Pautremat : Je pense que c'est avant toute chose parce que des citoyens israéliens peuvent être parmi les otages : le fait que le centre commercial appartienne majoritairement à des Israéliens rentre en compte pour les forces spéciales.
Pascal Le Pautremat
Il y a donc une coopération entre le Kenya et Israël à ce niveau-là ? P.L-P : Il y a un partenariat entre le gouvernement du Kenya et l'armée américaine depuis plusieurs années, et si les forces spéciales israéliennes sont impliquées, cela témoigne avant tout de la collaboration traditionnelle entre forces américaines et israéliennes. J-V.B : Ce n'est pas gravé dans le marbre ce genre de coopérations, ce ne sont pas des choses écrites. On ne sait pas comment faire, donc on appelle des amis pour se faire aider.
Cette intervention peut-elle avoir des conséquences politiques par la suite ? J-V.B : Ce n'est pas nouveau : il y a eu une intervention d'Israël en Ouganda pour libérer des otages il y a quelques années. On sait qu'Israël est un pays qui s'autorise des interventions un peu partout dans le monde. C'est un pays qui fonctionne un peu en dehors du droit commun, qui n'a jamais signé des traités contraignants, comme les armes chimiques, le nucléaire. Cela lui laisse une grande liberté d'action dans le monde. P.L-P : Ce n'est pas vraiment la question dans ce cas précis. Je pense qu'il faut surtout relier cette intervention de l'Etat hébreux au Kenya avec l'évolution de la situation depuis 2011 : Israël surveille de très près depuis cette époque ce qu'il s'est passé en Libye. Avec la chute du régime de Kadhafi, des trafics d'armes se sont développés en direction des territoires palestiniens qui ont transité par le Soudan, la Somalie. Il y avait donc certainement des passages clandestins par le Kenya. Les Israéliens sont très vigilants dans la région.
Jean-Vincent Brisset
Comment pourraient réagir les groupes terroristes islamistes de la région suite à cette intervention ? P.L-P : Je pense que de toute manière, c'est une victoire sur le champ de la communication pour les shebab. Leur action était menée à la base contre les autorités kenyanes pour leur faire payer la participation de leurs troupes, notamment en 2012 avec la libération de la ville somalienne de Kismayo. J-V.B : Les preneurs d'otages vont être supprimés, mais le problème c'est qu'on est en train de fabriquer des martyrs. Si ce sont des policiers kenyans qui tuent des militants shebab, ça n'a pas de retentissement sur le plan géopolitique. Dans le monde islamique radical, se faire tuer par un "pauvre", un flic noir, ça n'a pas de connotation. Par contre si ceux qui les soutiennent peuvent dire qu'ils ont été tués par des commandos israéliens, ça a un énorme impact. Le seul vrai ennemi des shebab, ce sont les Israéliens, donc quelque part ils ont gagné une deuxième fois.
Propos recueillis séparément et par téléphone le lundi 23 septembre 2013.
Prise d'otage à Nairobi du 21 septembre 2013 : les faits
Le centre commercial Westgate a été pris d'assaut par des hommes en armes samedi en début d'après-midi, qui s'y sont retranchés avec des otages. L'attaque a été revendiquée par les shebab somaliens. Les assaillants sont toujours encerclés par les forces de l'ordre. D'après une source sécuritaire, des agents des forces spéciales israéliennes étaient présents dès dimanche.