Nayola, le film d'animation qui permet de (re)découvrir l’histoire de l’Angola à travers trois générations de femmes

C’est ce 08 mars, journée internationale des femmes, que sort en France « Nayola », le dernier film d’animation du réalisateur portugais José Miguel Ribeiro, d’après la pièce de théâtre « A caixa preta » des écrivains angolais José Eduardo Agualusa et Mia Couto. Dans ce film poignant et poétique, José Miguel Ribeiro nous plonge dans l’histoire de trois générations de femmes – Yara, la petite-fille de Lelena, dont la mère Nayola est partie à la guerre lorsqu’elle avait 2 ans – durant la guerre civile et les dernières années du régime de feu le président angolais José Eduardo Dos Santos ( chef d'État du pays de 1979 à 2017).
 
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C’est un film d’animation au graphisme soigné, aux couleurs chatoyantes et à la poésie magique. Un film dans lequel le réalisateur portugais José Miguel Ribeiro nous raconte l’histoire plutôt tragique de trois générations de femmes durant la guerre civile angolaise, mais aussi pendant les dernières années du régime de feu le président José Eduardo Dos Santos.

Une histoire tragique

« Je ne pense pas que tes parents soient en vie. La guerre s'est terminée il y a huit ans et douze jours exactement. Ils ont eu beaucoup de temps pour trouver le chemin de la maison ». C’est en ces termes que Lelena répond au cours d’un dîner à la question récurrente de Yara, sa petite-fille, qui n’a de cesse de lui demander si ses parents rentreront un jour à la maison. Agée de seize ans, Yara n’a jamais vraiment connu ses parents. Sa mère, Nayola, est partie à la guerre quand elle n’avait que deux ans. Un départ motivé par la disparition au combat de son mari, Ekumbi, sur les traces duquel elle se lance dans l’espoir de le retrouver vivant.

(Re)voir : La bande-annonce du film Nayola

Ce film tiré d’une pièce de théâtre intitulée « A caixa preta », signée des excellents écrivains angolais José Eduardo Agualusa et Mia Couto, commence peu avant la fin de la guerre civile et durant les dernières années du régime de feu Eduardo Dos Santos. Entre 1575 et 1975, l’Angola a en effet été une colonie portugaise, qui sera notamment l’une des places fortes de la traite négrière transatlantique.

Dans les années 1960-1970, le mouvement indépendantiste se développe dans le pays. Et à la faveur de la Révolution des œillets ( qui bouleverse le Portugal en avril 1974 et met fin à la dictature) l’Angola accède à l’indépendance en 1975. Dès lors, le MPLA, le Mouvement populaire de libération de l’Angola, d’obédience communiste (soutenu par l’ex-URSS), prend le pouvoir et son leader Agostinho Neto devient le premier président de la République.  

Des inégalités criantes

Malheureusement, les divisions et les conflits persistants avec les autres mouvements indépendantistes, en particulier l’UNITA, l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola de feu Jonas Savimbi (soutenue notamment par l’Afrique du sud), précipitent le pays dans le chaos et la guerre civile.

En 2002, quelques semaines seulement après la mort de Jonas Savimbi, le leader historique de l’UNITA, tué par l’armée angolaise après une longue traque, un accord de cessez-le-feu est signé par les chefs de l’armée angolaise et la rébellion de l’UNITA. Un cessez-le-feu qui met un terme à 27 années d’une guerre civile qui a fait 500 000 morts et 4 millions de réfugiés.

Nayola guerre
L'héroïne du film, Nayola, et l'un de ses camarades de combat, juste avant qu'elle ne tire au bazooka sur un avion ennemi.  
© D.R.

Arrivé au pouvoir après la mort d’Agostinho Neto, en 1979, José Eduardo Dos Santos dirige le pays sans discontinuer jusqu’à son départ volontaire en 2017 – il décède le 8 juillet 2022 à Barcelone, en Espagne. Malgré la relative stabilité retrouvée après l’accord de cessez-le-feu, l’Angola restera l’un des pays les moins démocratiques du continent, avec une situation économique plutôt précaire, notamment en ce qui concerne la répartition des richesses. L'Angola est le troisième exportateur de pétrole du continent africain.

Dirigé désormais par Joao Lourenço, ancien ministre de la Défense de Dos Santos, l’Angola qui compte un peu plus de 25 millions d’habitants est la sixième économie d’Afrique subsaharienne. Pourtant, selon la Banque mondiale, dans ce pays qui est le deuxième producteur de pétrole d’Afrique subsaharienne, un tiers de la population vit avec moins de 2 USD par jour, et le taux de chômage a atteint plus de 30% à la fin du premier trimestre 2022.
 
TV5MONDE : Comment est née l’idée de ce film qui est une adaptation de la pièce de théâtre « A caixa preta », signée des écrivains angolais José Eduardo Agualusa et Mia Couto ?

José Miguel Ribeiro : L’idée est née de la force et de l’originalité de la pièce de théâtre écrite par José Eduardo Agualusa et Mia Couto, et que Jorge Antonio, un ami qui habite Luanda [la capitale angolaise, NDLR] depuis trente ans, m’a permis de connaître dans le cadre de mon premier voyage en Angola, en 2008. Dans cette pièce de théâtre, un personnage mystérieux, revenu de la guerre et arborant un masque de chacal, entre par la fenêtre d’une maison où habitent une grand-mère et sa petite fille depuis la fin de la guerre. Cet homme masqué fini par s’asseoir à table dans la cuisine, à manger une soupe en parlant de la guerre et de leur passé commun avec la grand-mère.

TV5MONDE : Le film se penche sur deux épisodes distincts de l’histoire contemporaine angolaise : la guerre civile et les dernières années du régime de feu le président Eduardo Dos Santos. Est-ce conforme à la pièce de théâtre ou est-ce plutôt un ajout de votre part ?

José Miguel Ribeiro : La pièce de théâtre se passe au cours des premières années après la guerre [après 2002 et la signature d’un accord de cessez-le-feu, NDLR]. J’ai pris ça comme base, à laquelle j’ai ajouté des épisodes juste avant la fin de la guerre, afin d’embarquer les spectateurs dans un voyage en Angola, pour qu’ils sachent ce qu’était vraiment cette guerre. Une guerre qui a quand même divisé des familles, enrôlé une bonne partie de la jeunesse et influencé toute la société angolaise. Tout ça est assez fidèle à la pièce de théâtre.

Yara
Yara, la fille de Nayola, dans les rues de Luanda, en Angola.
© D.R.

Ce que j’ai changé en fait, c’est que j’ai créé une petite fille, Yara, différente de celle de la pièce de théâtre. Dans la pièce, Yara est une jeune rebelle. Moi j’ai été influencé par un événement qui a eu lieu en 2015 : l’arrestation du rappeur angolais Luaty Beirão et une quinzaine de jeunes activistes, accusés de planifier une rébellion contre le président José Eduardo Dos Santos, et condamnés à de la prison ferme [des peines allant de deux à huit ans]. Ensuite Luaty Beirão a commencé une grève de la faim que j’ai accompagné quand j’étais en développement de projet.

Et je me suis dit que le mouvement rap en Angola était très important, qu’il avait l’ambition de changer la société, et que je devais trouver une rappeuse pour jouer le rôle de Yara. C’est comme ça que j’ai découvert sur YouTube, la rappeuse angolaise Medusa qui a donné sa voix à la jeune Yara qui joue dans le film. Pour moi, c’était important de ne pas parler seulement du passé, mais d’évoquer également le futur. Dans le film, la partie qui évoque le présent parle d’un pays en construction, d’un pays blessé par des siècles de colonisation portugaise, treize ans de guerre de libération et presque trente ans de guerre civile.

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L'héroïne du film, Nayola, est faite prisonnière avec quelques-uns de ses compagnons d'infortune. 
© D.R.

Je voulais laisser dans le film un espoir, une énergie de la jeunesse angolaise engagée dans la transformation du pays, un pays nouveau, beaucoup plus démocratique et plus juste. C’est pour cela que je voulais parler non pas seulement de la guerre, mais aussi du présent, de ce qui se passe maintenant. Je viens de passer une semaine en Angola. On a montré le film à Luanda, à Benguela [dans le centre-ouest du pays, NDLR] et à Lubango [dans le sud-ouest du pays, NDLR], et tous les spectateurs ont très bien réagi au film. Ils ont senti que c’était un film angolais dans le sens où il représente un point de vue angolais. Je ne voulais pas finir le film sur une dimension pessimiste.

TV5MONDE : Le film se penche sur trois générations de femmes. Est-ce une volonté d'évoquer leur place dans l'histoire contemporaine de l'Angola, parce qu'elles sont souvent oubliées ?

José Miguel Ribeiro : Les trois générations de femmes étaient déjà présentes dans la pièce de théâtre. Et je crois que c’est juste qu’il en soit ainsi. J’ai pris conscience de l’importance de leur rôle grâce à toutes les lectures que j’ai faites, surtout celle du livre de l’angolaise Margarida Paredes intitulé « Combater duas vezes » (Combattre deux fois », en français), dans lequel elle parle de la participation des femmes dans la guerre de libération contre les Portugais, mais aussi dans la guerre civile où elles étaient aussi très présentes.

Les femmes ont donc toujours occupé une place centrale dans la construction de l’Angola. 

José Miguel Ribeiro, cinéaste

Les femmes ont donc toujours occupé une place centrale dans la construction de l’Angola. Et aujourd’hui, si on regarde le parlement angolais, les femmes représentent presque 40% des parlementaires. Ce qui n’a pas été donné. C’est une conquête des femmes angolaises qui se sont battues, et qui ont trouvé leur place dans l’espace politique angolais. Et quand je me suis aperçu de cette réalité, je me suis dit : il faut que je sois capable de sortir de ma position d’Européen pour voir l’Angola du point de vue des Angolais.

C’est un film qui a nécessité neuf ans de travail. J’ai beaucoup travaillé, lu énormément d’auteurs africains et angolais, afin que je puisse me mettre à leur place. Idem pour la musique du film, celle de Bonga par exemple. Des musiques qui sont très importantes dans l’histoire de l’Angola. La musique c’est une partie très importante de la culture angolaise. Donc j’en ai profité pour la rendre présente dans le film, afin qu’elle accompagne ce voyage.

TV5MONDE : Justement, la musique est quasiment un personnage à part entière du film. Pourquoi lui avez-vous accordé une telle place ?

José Miguel Ribeiro : La musique peut être perçue comme un reflet de la société, au niveau politique, économique et social. La musique angolaise est très riche, avec des artistes très connus comme Bonga. Mais il y en a d’autres comme feu David Zé, la rappeuse Medusa… Il y a des genres musicaux qui sont nés en Angola comme le kuduro [danse et genre musical né dans les années 1990 et inspiré de break dance, d’electro ou encore de percussions traditionnelles, NDLR].

homme masque
L'homme au masque de chacal, en compagnie de Yara et sa grand-mère Lelelena, dans la cuisine de leur maison, à Luanda, en Angola.
© D.R.

Donc je ne pouvais pas parler de l’Angola sans parler de la musique. Ce que j’ai essayé de faire, c’est aussi d’amener le spectateur dans un voyage musical historique. Des artistes comme Bonga, qui a fait la musique que l’on entend à la fin du film et qui a été enregistrée aux Pays-Bas, quand Bonga est venu en Europe pour fuir le régime fasciste portugais, c’est une musique qui raconte la tragédie d’une mère qui doit partir et qui va mourir en laissant sa fille.

Cette nostalgie qu’il y a dans la musique, c’est une photographie de l’Angola durant les années de guerre contre le colon portugais. J’ai donc essayé d’utiliser la musique comme partie intégrante de l’histoire d’un pays. La musique joue donc un rôle très important dans sa capacité à nous emmener en Angola. Je précise qu’une grande partie des musiques sont chantées dans les langues angolaises. Car il y a une grande richesse linguistique en Angola.

TV5MONDE : Vous évoquez une réalité tragique avec des couleurs vives et chatoyantes, et un graphisme dans lequel apparaissent notamment des masques. Pourquoi de tels choix ?

José Miguel Ribeiro : Ce que j’ai appris avec ce film, c’est que la vie ne s’arrête pas avec la guerre. Ce qui veut dire que la nature reste luxuriante, les animaux continuent de vivre, les gens dansent toujours, se marient et ont des enfants… Plus les populations sont plongées dans les ténèbres de la guerre, plus elles ont besoin de lumière pour continuer de vivre. Quand j’amène ces couleurs, cette beauté inspirée par la nature, c’est parce que je veux montrer au spectateur le contraste entre la beauté et l’horreur, la poésie et le massacre. Ce qui est vrai d’ailleurs pour toutes les guerres. Je ne pouvais donc pas faire un film seulement sombre, il n’aurait pas reflété la réalité. Je veux quand même être proche de cette inspiration du réel.

J’ai utilisé la beauté des arts plastiques, des couleurs, des textures, pour amener de la lumière dans ce film.

José Miguel Ribeiro, cinéaste

Quant aux masques africains, j’ai toujours travaillé avec les masques. Je rappelle qu’ils ont influencé de grands artistes européens comme Picasso ou Modigliani. Je m’inscris dans cette lignée d’artistes qui apprennent et s’inspirent de cette capacité des sculptures africaines par exemple, à représenter des visages avec beaucoup de simplicité mais aussi une grande expression et une grande intensité. Je ne pouvais donc pas faire un film qui se passe en Afrique sans avoir recours aux masques. J’ai utilisé la beauté des arts plastiques, des couleurs, des textures, pour amener de la lumière dans ce film. Car à mon sens, c’est un film lumineux, parce qu’il y a toujours un espoir en l’être humain.