Fil d'Ariane
L'affaire semblait réglée. Le 28 octobre dernier, à Genève en Suisse, l'Organisation mondiale du commerce (OMC) se réunit pour désigner sa nouvelle directrice générale. La candidate nigériane Ngozi Okonjo-Iweala a derrière elle la quasi-totalité de la planète et sa victoire contre la sud-corénne Yoo Myung-hee est acquise. Mais c'est sans compter sur les Etats-Unis. L'administration américaine sous la présidence de Donald Trump ne veut alors pas entendre parler de la candidate nigériane, pas à la hauteur, estime Washington en substance. En revanche, aux yeux des Américains, la candidate sud-coréenne a "toutes les compétences requises pour diriger de manière efficace l'organisation (...) et elle sera capable de se mettre au travail dès le premier jour".
Ngozi Okonjo-Iweala a 27 délégations de son côté, Yoo Myung-hee n'a que les Américains. Mais à l'OMC, on ne vote pas, on se met d'accord. Les Etats-Unis opposent donc leur veto.
"Il ne sert pas à grand-chose d'engager un bras de fer maintenant. Mieux vaut attendre que des changements soient possibles", déclare alors un diplomate à l'Agence France-Presse. Nous sommes à quelques jours de l'élection présidentielle américaine, le reste du monde décide de prendre son mal en patience.
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Outre leur volonté de soutenir indéfectiblement leur allié sud-coréen, chez qui résident toujours environ 30.000 soldats américains, les Etat-Unis reprochaient à Ngozi Okonjo-Iweala de n'avoir jamais occupé de poste lié au commerce, contrairement à son adversaire.
Certes, mais à 66 ans, Dr Ngozi a néanmoins un curriculum vitae bien rempli. Economiste de renom, elle a été ministre des Affaires étrangères et ministre des Finances sous les présidences d'Olusegun Obasanjo et Goodluck Jonathan. Des postes qu'elle a été la première femme à occuper dans son pays.
Mais c'est aux Etats-Unis que cette femme née dans le Delta du Niger d'un père et d'une mère professeurs d'économie a fait la plus grande part de sa carrière. Diplômée de Harvard et du Massachussetts Institute of Technology (MIT), elle entre à la Banque mondiale à Washington au début des années 80. Elle passera deux décennies au sein de l'organisation avant de se voir proposer un ministère par le président Obansanjo et de rentrer au Nigeria en 2003.
Faire annuler 30 milliards de dollars de dettes, de sorte qu’il n’en restait plus que 5 milliards de dollars à l’époque, m’a pris une énergie considérable – j’y ai gagné des cheveux gris ! –, mais, des années plus tard, je prends encore à peine la mesure de l’exploit que ça a constitué.
Ngozi Okonjo-Iweala, ex-ministre des Finances du Nigeria
Son action comme ministre des Finances va marquer les esprits, au point de lui valoir le surnom de "Madame Casse-Pieds". "C’est un jeu de mot sur mon nom de famille, explique-t-elle en 2011 à l'hebdomadaire Jeune Afrique, car je me battais avec beaucoup d’énergie contre la corruption". Des ministres, des gouverneurs, des juges, des militaires ainsi que le chef de la police nationale vont faire les frais de son "énergie".
Ngozi Okonjo-Iweala va également lancer de grandes campagnes de privatisations et renégocier la dette du Nigeria, l'une de ses fiertés (avec ses enfants, reconnaît-elle) : "Faire annuler 30 milliards de dollars de dettes, de sorte qu’il n’en restait plus que 5 milliards de dollars à l’époque, m’a pris une énergie considérable – j’y ai gagné des cheveux gris ! –, mais, des années plus tard, je prends encore à peine la mesure de l’exploit que ça a constitué", confie-t-elle dans cette même interview à Jeune Afrique.
Après un bref passage à la tête de la diplomatie nigériane -là encore, une première pour une femme- elle retourne à Washington où elle prend le poste de Directrice générale de la Banque mondiale de 2007 à 2011 où elle se concentre notamment sur les questions de sécurité alimentaire alors qu'une partie du monde est alors secouée par les "émeutes de la faim". Candidate à la présidence de la Banque mondiale, elle échoue et repart pour le Nigeria où le président Goodluck Jonathan lui a proposé de retrouver le ministère des Finances.
En 2019, l'organisation Transparency International la cite parmi les femmes les plus combatives face à la corruption. Une reconnaissance parmi tant d'autres. Fortune, Forbes, Newsweek ou encore Foreign Policy, Ngozi Okonjo-Iweala figure dans nombre de classements au titre de l'influence qu'elle exerce sur le continent africain et dans le monde.
"Nous restons positifs", écrivait-elle dans un tweet le 29 octobre dernier après le veto américain. De l'optimisme et de l'énergie, Ngozi Okonjo-Iweala va en avoir besoin au cours des prochaines semaines.
D'abord parce que l'administration Biden n'a pas encore donné son feu vert à sa nomination, même si le désistement de la candidate sud-coréenne après un coup de fil passé à Washington laisse supposer qu'il n'y aura pas, cette fois, de non américain.
Ensuite, parce que l'OMC traverse une importante zone de turbulences. Chargée d'organiser le commerce entre les différents pays, l'organisation est sans tête depuis la démission du brésilien Roberto Azevedo parti en août dernier "pour raisons familiales" en pleine crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19. Les pays-membres n'ont alors même pas réussi à se mettre d'accord sur un dirigeant intérimaire. L'Organisation mondiale du commerce a dû, en outre, depuis quatre ans, subir les assauts d'une administration Trump allergique au multilatéralisme et adepte du bras de fer, notamment avec la Chine, sur les questions commerciales. La Maison Blanche a ainsi allègrement torpillé l'Organe de réglement des différends, le tribunal de l'OMC, en refusant d'y approuver la nomination de nouveaux juges.
J’ai dû travailler plus dur, y passer beaucoup plus de temps que si j’avais été un homme, et être toujours au sommet de ma forme. Contrairement aux hommes, on ne peut jamais faire une pause. Ce n’est pas facile d’être une femme noire, les portes ne s’ouvrent pas devant vous. Vous devez faire vos preuves chaque jour, mais j’adore ça !
Ngozi Okonjo-Iweala, ex-ministre des Finances du Nigeria
Réanimer une organisation moribonde : la future patronne de l'OMC aura face à elle un chantier immense. Mais celle qui s'est présentée comme "la candidate de la réforme" est consciente de sa capacité à convaincre : "J’ai dû travailler plus dur, y passer beaucoup plus de temps que si j’avais été un homme, et être toujours au sommet de ma forme. Contrairement aux hommes, on ne peut jamais faire une pause. Ce n’est pas facile d’être une femme noire, les portes ne s’ouvrent pas devant vous. Vous devez faire vos preuves chaque jour, mais j’adore ça !"