Niger, Burkina Faso, Mali : le milieu culturel français réagit à la suspension de coopération

Les directions générales des affaires culturelles (DRAC) ont demandé jeudi 14 septembre l’arrêt immédiat de tout projet de coopération culturel avec les ressortissants du Mali, du Niger et du Burkina Faso. La décision politique ne manque pas de faire réagir le secteur culturel français.

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Affiche du Fespaco

Une femme pousse son scooter devant l'entrée du FESPACO (Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou) à Ouagadougou, au Burkina Faso, le vendredi 15 octobre 2021.

AP Photo/Sam Mednick
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“J’ai déjà 4 concerts de Maliens à annuler”, déplore Sébastien Lagrave, directeur du festival de musiques africaines Africolor, se déroulant tous les ans en banlieue parisienne. La chanteuse malienne de wassoulou Nahawa Doumbia, qui devait jouer deux fois, le bluesman Boubacar Traoré et le BKO quintet ne pourront pas se produire au mois de décembre comme prévu. “Financièrement, ce sont des mois de travail par terre”.

En cause, une directive envoyée aux acteurs et institutions de la vie culturelle par les directions générales des affaires culturelles (DRAC). Elles expliquent que "tous les projets de coopération qui sont menés par vos établissements ou vos services avec des institutions ou des ressortissants de ces trois pays doivent être suspendus, sans délai, et sans aucune exception."

Les démentis de l'exécutif français

Le président français Emmanuel Macron affirme, ce vendredi 15 septembre : "Lorsqu'on dit qu'il n'y aura pas de visa ou qu'on annule tous les événements qui seraient faits en France avec tous les artistes venant du Burkina Faso, du Mali ou du Niger: c'est faux, ça ne se passera pas".

La ministre de la Culture Rima Abdul Malak a aussi tenté d'éteindre la polémique assurant que "nous n'avons aujourd'hui pas de service de visa en fonctionnement dans ces pays pour des raisons de sécurité", dénonçant une "confusion" et expliquant qu'il est aujourd'hui "matériellement" impossible de "délivrer des visas pour venir en France"

Pourtant, le gouvernement assure, dans un communiqué, de n’avoir demandé “aucune déprogrammation d’artiste” du Mali, du Niger et du Burkina Faso. Le ministère de la Culture assure aussi que “cette décision n’affecte pas les personnes qui seraient titulaires de visas délivrés avant [le 7 août]”.  

Mais Sébastien Lagrave explique que la plupart des artistes invités ont un visa de courte durée et qu’ils ne sont réalisés qu’à la dernière minute. “Pour ceux de fin d’année, on est actuellement en plein dans la période pour les demander. Donc même si la situation devait rapidement changer, c’est déjà fichu”, se plaint celui à la tête d’Africolor. 

“Une prise en otage des artistes” 

Sur l’année, la musique malienne, burkinabé et nigérienne représente 10% du programme du Tamanoir, salle de musiques du monde près de Paris. Des projets vont aussi devoir être revus, comme le “Burkina Tamanoir Allstar”, rassemblement d’artistes burkinabé déjà passés par cette scène. Mais le directeur Jean-Christophe Delcroix dénonce surtout “une prise en otage des artistes par une situation géopolitique qui les dépasse”.  

Suite aux coups d'Etat militaires et au rejet de la présence de troupes françaises dans ces trois pays, les relations diplomatiques se sont durcies. La France a interrompu le 29 juillet avec le Niger et le 6 août avec le Burkina Faso toutes ses actions d’aide au développement et d’appui budgétaire. Elle l’avait déjà fait pour le Mali en novembre 2022. 

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Dans un communiqué, le Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles (Syndeac) réagit : "Cette interdiction totale, concernant trois pays traversés par des crises en effet très graves, n’a évidemment aucun sens d’un point de vue artistique et constitue une erreur majeure d’un point de vue politique. C’est tout le contraire qu’il convient de faire"

“Ça risque d’amplifier le sentiment antifrançais dans ces pays”, prévient le directeur du Tamanoir. Il regrette également de devoir se couper de la “richesse culturelle” de ces pays.

Ce sentiment est partagé par Thomas Sidibé. Le musicien au son métissé inspiré des rythmes d’Afrique de l’Ouest déplore l’omission de “l’entrelacement culturel” entre la France, le Niger, le Mali et le Burkina Faso. “S’en prendre aux publics et aux artistes est injuste”, ajoute-t-il. 

Contourner les règles 

Thomas Sidibé craint aussi que les pays concernés fassent la même chose aux Français. Lui, qui a l’habitude de collaborer avec des artistes maliens, en pâtirait directement. Le Franco-Ivoirien envisage d'aller, par exemple, en Belgique ou en Côte d’Ivoire pour continuer à travailler et à se produire avec eux. 

Contourner les restrictions est aussi envisagé par le tourneur d’un groupe malien, explique Sébastien Laussel, directeur de Zone Franche, un réseau associatif des musiques du monde. Selon lui, comme les premières dates se jouent en Espagne, ils pourront ensuite se déplacer librement dans l’Espace Schengen, dont la France. Mais Sébastien Laussel nuance : “Ils ont quand même peur que la France impose des restrictions au sein même de cette zone”.