Niger : la Cédéao a-t-elle les moyens d’intervenir militairement ?

Depuis ce mercredi 02 août, les chefs d’état-major de la CEDEAO, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, sont réunis à Abuja, la capitale du Nigeria, afin d’étudier les possibilités d’une intervention militaire au Niger. Quelques jours plus tôt, ce dimanche 30 juillet, au même endroit, les chefs d’État et de gouvernement de la Cédéao ont fait preuve d’une grande fermeté, et décidé de sanctions contre la junte qui a renversé le président Mohamed Bazoum, tout en la menaçant d’un « recours à la force ». Mais comment la Cédéao, qui ne dispose toujours pas d’un bras armé, peut-elle intervenir militairement au Niger ? Analyse.

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CEDEAO

Le président nigérian, Bola Ahmed Tinubu, deuxième à partir de la gauche (en boubou bleu ciel), pose, pour une photo de groupe avec d'autres dirigeants d'Afrique de l'Ouest après une réunion à Abuja au Nigeria, le dimanche 30 juillet 2023.

© AP Photo/Chinedu Asadu
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Les pays d’Afrique de l’Ouest ont fixé un ultimatum d’une semaine à la junte nigérienne pour un « retour complet à l’ordre constitutionnel », sans exclure une intervention militaire. Une fermeté qui tranche nettement avec les décisions de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, au moment où les militaires ont pris le pouvoir au Mali, en Guinée et au Burkina Faso, respectivement en 2020, 2021 et 2022.

L’option militaire est la toute dernière option sur la table

« Toute intervention militaire contre le Niger s’assimilerait à une déclaration de guerre contre le Burkina Faso et le Mali », ont d’ailleurs affirmé ce lundi 31 juillet les porte-paroles des juntes actuellement au pouvoir dans ces pays. Le numéro 2 de la junte nigérienne, le général Salifou Mody, s’est rendu ce mercredi à Bamako, pour s’entretenir avec les autorités maliennes.

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Toujours ce mercredi 2 août , une délégation de la Cédéao conduite par un ancien président nigérian, le général Abdulsalami Abubakar, s’est rendue à Niamey pour s’entretenir avec les putschistes réunis au sein du CNSP, le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie.

Et c’est en marge de ce ballet diplomatique que s’est ouverte, à Abuja, ce même mercredi, la rencontre des chefs d’état-major de la Cédéao, chargés d’étudier les possibilités de « recours à la force » tel qu’évoqué par les chefs d’Etat et de gouvernement. « L’option militaire est la toute dernière option sur la table, le dernier recours, mais nous devons nous préparer à cette éventualité », a déclaré Abdel-Fatau Musah, commissaire de la Cédéao chargé des Affaires politiques et de la sécurité.

Depuis dimanche cependant, les chefs d’États et de gouvernement de la Cédéao ont notamment décidé de « suspendre toutes les transactions commerciales et financières » entre les membres de l’organisation et le Niger.

Les avoirs des responsables militaires impliqués dans le putsch sont gelés. Il est vrai que le nouveau président nigérian, Bola Ahmed Tinubu, par ailleurs président en exercice de la Cédéao a été l’un des premiers à condamner le putsch du 26 juillet au Niger.

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Arrivé au pouvoir en mars dernier, Bola Ahmed Tinubu a pris les rênes de la CEDEAO lors du sommet de Bissau, en Guinée Bissau, le 12 juillet 2023. Tout en affirmant que le Nigeria est de retour sur la scène sous-régionale, il avait alors lancé : « Nous avons besoin de la démocratie pour être un exemple pour le reste de l'Afrique et du monde ».

À l’issue de ce sommet, il avait notamment été convenu de la nécessité de prendre toutes les mesures pour stopper les changements anticonstitutionnels. « La question a été beaucoup débattue au cours de cette conférence, et les chefs d’Etats ont considéré qu’il est temps de stopper ces changements anticonstitutionnels, notamment ceux qui interviennent par des coups d’État. », nous a confié Hassane Koné, chercheur principal au bureau régional pour l’Afrique de l’ouest, le Sahel et le Bassin du Lac Tchad, de l’Institut d’étude de sécurité.

Lors du 62ème sommet de la CEDEAO, tenu à Abuja, en décembre 2022, un projet de création d’une nouvelle force régionale avait été adopté, afin de lutter contre le terrorisme et les changements anticonstitutionnels. À l’époque, les contours de cette force n’avaient pas été précisés, ni les moyens de son financement. Une idée qui a été à nouveau émise au sommet de Bissau.

Le précédent gambien

En cas d’intervention militaire au Niger, la Cédéao devra donc mettre sur pied une force ad hoc. « Le Nigeria formera sans doute l’ossature principale des troupes qui seront engagées sur le terrain [Selon le Global Fire Power, un site américain spécialisé dans les questions de défense, l'armée nigérianne compte 135 000 militaires actifs en 2023, NDLR]. Les autres pays vont apporter chacun leurs contributions en matière logistique, d’équipement… Mais le leader de cette intervention, si elle devait se faire, sera manifestement le Nigeria. », précise le journaliste et essayiste nigérien Seidik Abba.

Soldats sénégalais

Les troupes sénégalaises entrent dans le State House (le palais présidentiel), à Banjul, en Gambie, le lundi 23 janvier 2017, deux jours après que l'ancien président gambien, Yahya Jammeh, a quitté le pays.

© AP Photo/Jerome Delay

La dernière intervention de ce type remonte à janvier 2017, avec l’« Opération restaurer la démocratie », destinée à forcer l’ancien président Yahya Jammeh à céder le pouvoir à Adama Barrow, élu lors de la présidentielle gambienne. L'organisation ouest-africaine avait alors mobilisé un contingent de 4 000 hommes au début de l'opération (Sénégalais, Nigérians, Ghanéens...).

« L’option militaire est possible, à condition d’étudier sa faisabilité dans le contexte nigérien. Parce que la Gambie n’est pas le Niger, d’autant qu’il était relativement facile d’envoyer des soldats à partir du Sénégal pour rétablir l’ordre. Mais pour le Niger, c’est un peu différent, d’autant que le pays et ses voisins restent confrontés au terrorisme djihadiste. », souligne cependant Elimane Haby Kane, président de l'ONG LEGS-Africa, Leadership, éthique, gouvernance et stratégies.

Le problème majeur qui s’oppose à la mise en place d’opérations militaires pour la CEDEAO, c’est le financement des opérations.

Hassane Koné, chercheur principal au bureau régional pour l’Afrique de l’ouest, le Sahel et le Bassin du Lac Tchad, de l’Institut d’étude de sécurité

Une situation qui rappelle que depuis la disparition des « casques blancs » de l’ECOMOG (1990-2003), Economic Community of West African State Cease-fire Monitoring Group (Brigade de surveillance du cessez-le-feu de la CEDEAO), la Cédéao peine à mettre sur pied son bras armé.

« Le problème majeur qui s’oppose à la mise en place d’opérations militaires pour la Cédéao, c’est le financement des opérations. Il faut partir du principe que l’ECOMOG avait en grande partie bénéficié des financements du Nigeria. Et depuis que ce bailleur est confronté à des difficultés économiques et sécuritaires, et qu’il a recentré ses efforts sur lui-même, la CEDEAO s’est retrouvée face à ce problème de financement pour toutes ses opérations militaires. », affirme Hassane Koné, chercheur principal au bureau régional pour l’Afrique de l’ouest, le Sahel et le Bassin du Lac Tchad, de l’Institut d’étude de sécurité.

Ce qui fait dire à Elimane Haby Kane : « Il faut mobiliser des moyens pour avoir une armée forte dans l’espace CEDEAO. Si nous continuons à attendre que ces moyens viennent de l’étranger, comme c’est le cas avec le G5 Sahel, nous allons toujours échouer.»

Un enjeu majeur pour la CEDEAO

Persuadés sans doute que la Cédéao ferait preuve d’intransigeance à son égard, le CNSP a fait monter la tension la veille du sommet en déclarant dans un communiqué : « L’objectif de cette rencontre est la validation d’un plan d’agression contre le Niger à travers une intervention militaire imminente à Niamey. »

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La situation au Niger est un enjeu majeur pour la Cédéao qui voit là le moyen d’arrêter la série de coups d’Etat qui ont lieu dans la région depuis 2020. Son président en exercice, le Nigérian Bola Ahmed Tinubu, y joue sa crédibilité.

« Il y a des liens particuliers entre le Niger et le Nigeria. Les deux pays partagent près de 1500 km de frontières communes. Et sur les huit régions que compte le Niger, cinq sont frontalières du Nigeria. Ce qui se passe au Niger a presqu’une dimension de politique intérieure pour le Nigeria. », souligne le journaliste et essayiste nigérien Seidik Abba.

Les dirigeants de la région se savent néanmoins soutenus par une partie de la communauté internationale. Trois des partenaires les plus importants du Niger, l’Union européenne, les États-Unis et la France, ont salué les décisions de la Cédéao.

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En revanche, l’Algérie, qui partage plus de 900 km de frontières avec le Niger, juge l’implication militaire envisagée par la Cédéao comme une option « malheureuse ». Par la voix de son ministre des Affaires étrangères, elle « met en garde et appelle à la prudence et à la retenue face aux intentions d’interventions militaires étrangères. »

« En ce qui concerne l’option militaire, elle n’est guère réalisable techniquement et militairement par l’organisation régionale, ni d’ailleurs par aucune puissance étrangère. Parce que le président Bazoum est entouré de militaires putschistes, et qu’une partie de la population servirait de bouclier humain. Ce serait donc une opération très compliquée et probablement sanglante. Et très probablement elle n’aura pas lieu, parce qu’il y a d’autres moyens qui sont les sanctions économiques. », estime pour sa part l’ancien ambassadeur français Nicolas Normand.  

Je pense que quand les putschistes disent que la France va intervenir, c’est qu’ils savent que la France soutient à fond le Nigeria.

Antoine Glaser, journaliste et essayiste

D’ores et déjà, l’on constate qu’une partie de la population nigérienne est opposée à toute intervention militaire. « Et il faut écouter ce qu’ils disent : nous on est sous le joug terroriste depuis une dizaine d’années et personne n’a manifesté la moindre solidarité à notre endroit. Aujourd’hui, les gens viennent nous dire qu’ils vont intervenir pour défende la démocratie. Ils devaient d’abord intervenir pour défendre nos vies. », précise Seidik Abba, journaliste et essayiste nigérien.

Toujours ce lundi, par l’intermédiaire de la télévision nationale nigérienne, les putschistes ont accusé la France de vouloir « intervenir militairement ». Ils affirment qu’une réunion s’est tenue à l’état-major de la garde nationale du Niger, afin d’obtenir « des autorisations politiques et militaires nécessaires. »

« Je pense que quand les putschistes disent que la France va intervenir, c’est qu’ils savent que la France soutient à fond le Nigeria. Elle veut absolument que ce soit les Nigérians qui interviennent. Et si les Nigérians ou les forces de la CEDEAO interviennent, je ne dis pas que Français et Américains ne leur donneront pas des renseignement, compte tenu de leurs positions dans ce pays. », affirme le journaliste et essayiste français Antoine Glaser.

Jusqu’à présent, le Niger était un partenaire stratégique pour la France, qui y dispose toujours d’une base militaire indispensable à la lutte contre le terrorisme djihadiste. Mais depuis sa prise de pouvoir, le CNSP s’est engagé dans un bras de fer avec l’ancienne puissance coloniale.

Lancée le 28 mai 1975, la CEDEAO a comme objectif à l’origine, une union économique et monétaire sous-régionale. La multiplication des crises politiques en Afrique de l’Ouest a poussé la Cédéao à élargir considérablement ses champs de compétence. La conclusion du traité de non-agression en 1978 et celle du protocole d’assistance mutuelle en 1981 sont les préalables à la mise sur pied d’une politique régionale de sécurité collective. C’est en 1990, après le début de la guerre civile au Liberia, qu’est créée l’ECOMOG, Economic Community of West African States Cease-fire Monitoring Group (Brigade de surveillance du cessez-le-feu de la CEDEAO), la force armée de la Cédéao. Une force qui a pour objectifs : la supervision des cessez-le-feu, le maintien de la paix à l’instar des casques bleus des Nations unies, le déploiement préventif dans des zones de conflits ou encore le désarmement des forces armées non-régulières. Après les accords de Marcoussis, conclus en 2003, les soldats de l’ECOMOG sont intégrés l’année suivante à l’ONUCI, l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire. Après le coup d’État du 22 mars 2012, contre feu le président malien Amadou Toumani Touré, et l’avancée éclair de la rébellion touareg et des djihadistes, les chefs d’Etat de la Cédéao réunis à Dakar, décident la mise ne place immédiate de la force d’attente. Et lors du dernier sommet de Bissau (juillet 2023), l’idée d’une force destinée cette fois-ci à lutter contre le terrorisme et les changements anticonstitutionnels a une nouvelle fois été évoquée.