Niger : « La Semaine du Cinéma », un festival qui promeut le 7e art sur le continent

Entretien. Du 29 avril au 6 mai prochain, se tient à Niamey la troisième édition de la Semaine du Cinéma, un événement conçu comme une plateforme d’échanges, de rencontres, de valorisation et de promotion du cinéma africain. Pour les organisateurs de ce festival itinérant qui se tient chaque année dans une capitale africaine différente, l’ambition principale est de contribuer au développement de l’industrie du cinéma sur le continent. 
 
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C’est un festival qui ambitionne de révéler au public les nouveaux cinéastes du continent et de la diaspora. Créée en 2021, La Semaine du Cinéma est une initiative que l’on doit à deux jeunes passionnés du 7e art : le Camerounais Hervé Moukoko et le Nigérien Aziz Sanfo.

Diplômé de l’ISMA, l’Institut supérieur des métiers de l’audiovisuel, à Cotonou, au Bénin et de l’Ecole internationale de création audiovisuelle et de réalisation, à Paris, Hervé Moukoko est à la fois réalisateur, scénariste, producteur et comédien. Quant à Aziz Sanfo, il fait ses classes au sein de sociétés de production, avant d’intégrer la chaîne privée malienne Africable Télévision. Après des expériences professionnelles au Mali et au Burkina Faso, il s’installe en France où il travaille notamment en tant que réalisateur au sein de la chaîne de musique panafricaine BBlack Africa.
 
Aziz et Herve
Les co-fondateurs de La semaine du cinéma, le Nigérien Aziz Sanfo (à gauche) et le Camerounais Hervé Moukoko (à droite), à Niamey, au Niger, lors de l'édition 2022 du festival.
© La semaine du cinéma

Comme pour l’édition précédente, les organisateurs de La Semaine du Cinéma ont posé leurs valises à Niamey, au Niger. Les projections de films gratuites et en plein air seront organisées principalement à la galerie Taweydo, à Niamey. Le public pourra ainsi découvrir sept longs-métrages, dix-neuf courts-métrages, six documentaires et une série de cinéastes du continent et de la diaspora.

Une particularité cependant, il n’y a aucune compétition entre les films sélectionnés pour le festival. Il s’agit essentiellement de faire connaître les œuvres et leurs auteurs. Il y a également des films réalisés par les élèves de l’ISMA, partenaire du festival, grâce auquel ce dernier parvient à offrir des bourses d’études au jeune public. D’ailleurs, La Semaine du Cinéma, c’est aussi l’occasion pour les professionnels des métiers du cinéma, de transmettre une partie de leur savoir lors de "masterclass" gratuites également. 

 
Entretien avec Hervé Moukoko, réalisateur, producteur, scénariste et délégué général du festival

 
TV5MONDE : Comment est née l'idée de cette Semaine du Cinéma ?
 
Hervé Moukoko : L'idée est née du simple fait que le cinéma d'Afrique Francophone ne bénéficie pas d’une large distribution et d’une grande visibilité, comme c’est le cas pour le cinéma anglophone. Il y a trop de très bons films qui finissent malheureusement leur vie sur la toile ou dans les placards. Il faut que les cinéastes comprennent que le film doit évoluer de manière organique. Il doit avoir une vie et suivre son chemin : sorties en salles, festivals, télévision, streaming. La Semaine du Cinéma veut donc servir de tremplin à tous ces auteurs qui ont du mal à exporter leurs œuvres. 

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Organiser ce festival revêt une importance particulière ; c'est aussi un message que nous voulons faire passer : la Culture fait partie intégrante de nos vies et elle ne doit pas s'arrêter. Les gens ont besoin de se voir, de discuter, se toucher, échanger… C'est très important pour la santé mentale. J’espère que ce festival permettra à de nombreuses personnes de se reconnecter avec leur monde et leur public.

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TV5MONDE : Il existe déjà un certain nombre de festivals autour du cinéma dans la région. Estimez-vous qu'il en faut un de plus et quelle est votre spécificité ?
 

Hervé Moukoko : L'abondance ne nuit pas. C'est comme si on me disait qu'il y a trop de chaines de télévision dans une région. Plus on est nombreux, mieux c'est. Les festivals servent de relais aux salles de cinéma. Ils permettent également aux professionnels du secteur d'élargir leur réseau. Nous ne sommes pas en concurrence avec tel ou tel autre festival. Nous venons tout simplement soutenir, appuyer le travail que nos prédécesseurs ont commencé.

Projection
Une projection de film à Niamey, au Niger, lors de l'édition 2022 de La semaine du cinéma. 
© La semaine du cinéma

Quant à notre spécificité, elle tient sans doute à notre ambition : servir de tremplin et de canal de distribution aux cinéastes. C’est pourquoi nous avons noué un certain nombre de partenariats avec des festivals, mais aussi des salles de cinéma. Ces partenariats nous permettent de proposer notre catalogue pour les sélections officielles de ces festivals.

Nous tenons ainsi à accompagner les auteurs le plus loin possible. On veut également servir de catalyseur à travers nos différentes "Avant-Premières Mondiales" à l’ouverture du festival. C'est notamment le cas pour les films Amour Kréyol (comédie guyanaise) de Thaizen Ringuet, qui a fait sa première mondiale à Yaoundé et Injustice (film d’action Béninois) de Gabriel Agbahonou, qui a fait de même à Niamey, en 2022. Ce sont de belles expériences que nous souhaitons rééditer à chaque édition.
 
Par ailleurs, La Semaine du cinéma propose des formations à travers des master class dans les différents métiers, des bourses d’étude, des dons de matériels de production. Et nous travaillons également sur la mise en place d’un fond d’aide à la création et au développement de projets. Il s'agit pour nous d’impacter la vie de nos festivaliers et de tous ceux qui aspirent aux métiers de l’audiovisuel.

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TV5MONDE : L'industrie du cinéma ne semble pas très florissante en Afrique
francophone, malgré le dynamisme des capitales comme Abidjan ou Dakar. Quels sont selon vous les principaux freins au développement de ce secteur dans la sous-région ?
 

Hervé Moukoko : Nous n'avons toujours pas compris que le cinéma est une grosse industrie. Si tout le monde y met du sien, beaucoup d'auteurs pourront vivre de leur art. Mais pour cela, les cinéastes doivent être plus rigoureux, plus professionnels. Beaucoup croient faire du cinéma alors que c'est tout simplement du théâtre filmé. Il n’est en effet pas rare de voir des films au scénario insipide, sans intrigue, aucune maîtrise des techniques narratives, un jeu d'acteur qui laisse à désirer, une bande son inadaptée etc.

En Afrique centrale par exemple, j'ai l'impression que beaucoup sont dans le cinéma juste pour les strass et les paillettes et non pas par amour du métier.

Hervé Moukoko, cinéate camerounais

Le cinéma est un art. Et c’est aussi un métier qui s’apprend. Mais lorsqu’on a derrière la caméra une personne qui se dit réalisatrice, mais qui n’a aucune maîtrise de son art, il ne faut pas s’attendre à autre chose qu’un film médiocre. En Afrique centrale par exemple, j'ai l'impression que beaucoup sont dans le cinéma juste pour les strass et les paillettes et non pas par amour du métier.
 
Il est temps que les acteurs de ce secteur comprennent qu’être réalisateur, scénariste, comédien, producteur, directeur photo, etc. c’est exercer un métier. Il faut donc mettre les hommes et les femmes qu’il faut à la place qui est la leur. J’ajoute que les entreprises locales devraient aussi aider au développement de l’industrie du cinéma. Elles peuvent par exemple communiquer dans les productions via des placements de produits. C'est un procédé qui marche très bien en Occident. Et depuis peu, il est aussi très utilisé au Sénégal.
 

Bourse
Une lauréate des bourses d'excellence offertes par La semaine du cinéma, à Niamey, au Niger, lors de l'édition 2022 du festival. 
© La semaine du cinéma

Et pour finir, je crois que les médias qui sont en première ligne, doivent mettre en avant les productions locales de qualité. Plus ils parleront des talents locaux, plus les gens seront informés des productions de qualité qui existent chez nous.

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 TV5MONDE : Comment s’est faite la sélection des films et avez-vous prévu des récompenses ?
 
Hervé Moukoko : La sélection des films s'est faite de la plus simple des manières : chaque semaine, le comité d’organisation visionnait les films en fonction des catégories, ensuite on débattait, puis on décidait du sort du film.
 
Nous avons décidé de ne pas inclure de récompenses, beaucoup de festivals le font déjà. Nous nous concentrons uniquement sur la production et la distribution du catalogue du festival sur l'échiquier international, ainsi que les différentes bourses d’études.