Fil d'Ariane
Le régime militaire issu d'un coup d'Etat au Niger a formé un gouvernement juste avant le sommet du jeudi 10 août à Abuja de dirigeants ouest-africains. Ces derniers n'excluent pas l'usage de la force armée pour rétablir le président renversé Mohamed Bazoum.
Mohamed Toumba, l'un des soldats qui a renversé le président nigérian Mohamed Bazoum, s'adresse aux partisans de la junte au pouvoir au Niger à Niamey, le 6 août 2023. @AP Photo/Sam Mednick.
Le gouvernement formé à Niamey est dirigé par le Premier ministre Ali Mahaman Lamine Zeine et comprend 20 ministres.
Ceux de la Défense et de l'Intérieur sont des généraux du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP) qui a pris le pouvoir, respectivement le général Salifou Mody et le général Mohamed Toumba. Le général Salifou Mody s'était rendu à Bamako pour obtenir le soutien du président de la transition Assimi Goïta. Selon Paris, il aurait rencontré des membres de Wagner au Mali.
L'annonce de sa formation marque l'assise du régime militaire depuis qu'il a renversé le 26 juillet Mohamed Bazoum, et apparaît comme un signe de défiance à l'égard des dirigeants de la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cédéao) qui se réunissent jeudi.
"D'importantes décisions" sont attendues lors de ce sommet, a indiqué la Cédéao, qui a réaffirmé privilégier la voie diplomatique pour restaurer l'ordre constitutionnel au Niger, tout en maintenant sa menace d'un recours à la force.
Une menace brandie la première fois le 30 juillet lors d'un précédent sommet de la Cédéao : un ultimatum de sept jours avait été lancé aux militaires de Niamey pour rétablir le président Bazoum, sous peine d'intervention armée. Mais rien ne s'était passé à son expiration dimanche.
Le président nigérien Mohamed Bazoum au palais présidentiel de Niamey, au Niger, le 16 mars 2023. @Boureima Hama/Photo via AP.
Depuis, les nouveaux maîtres du Niger ont semblé jusqu'ici fermés aux tentatives de négociations de la Cédéao. Ce qui fait craindre que le sommet de jeudi matérialise la menace d'une intervention militaire, aussi redoutée que critiquée dans la région.
Mardi encore, une délégation conjointe de la Cédéao, de l'Union africaine (UA) et des Nations unies avait tenté de se rendre à Niamey. En vain, les putschistes leur barrant la route en invoquant des raisons de "sécurité".
Seule éclaircie à la veille du sommet, une rencontre mercredi soir à Niamey entre le nouvel homme fort du Niger, le général Abdourahamane Tiani, et l'ex-émir de l'Etat nigérian de Kano Sanusi Lamido Sanusi, un proche du président du Nigeria Bola Tinubu.
"Nous sommes venus en espérant que notre arrivée va ouvrir la voie à de vraies discussions entre les dirigeants du Niger et ceux du Nigeria", a déclaré l'ex-émir, précisant cependant ne pas être un "émissaire du gouvernement" nigérian.
En marge de ces tentatives diplomatiques, les chefs d'état-major de la Cédéao se sont réunis vendredi à Abuja, où ils ont défini les contours d'une possible intervention militaire.
S'envolant pour la capitale nigériane mercredi soir, le président de Guinée-Bissau Umaro Sissoco Embalo a affirmé que "les coups d’État doivent être bannis". Selon lui, la Cédéao joue son existence après les putsch dans trois autres États membres de l'organisation (Mali, Guinée, Burkina Faso; suspendus de ses instances dirigeantes) depuis 2020.
De leur côté, le Mali et le Burkina Faso ont affiché leur solidarité avec les militaires du Niger. Ils ont affirmé que si le pays était attaqué par la Cedeao, ce serait "une déclaration de guerre" pour eux.
Mardi, ils ont adressé des lettres conjointes à l'ONU et à l'UA en appelant à leur "responsabilité" pour empêcher "toute intervention militaire contre le Niger dont l'ampleur des conséquences sécuritaires et humanitaires serait imprévisible".
Dans ses efforts pour rétablir le président Bazoum, la Cédéao peut quant à elle compter sur le soutien des puissances occidentales, en premier lieu les États-Unis et la France qui avaient fait du Niger un pivot de leur dispositif dans la lutte contre les jihadistes armés qui sèment la mort dans un Sahel déstabilisé.
Les États-Unis ont exprimé mercredi 9 août leur inquiétude à propos des conditions de détention du président Bazoum, détenu depuis le coup d’État du 26 juillet dans sa résidence présidentielle.
La numéro deux de la diplomatie américaine était venue lundi à Niamey pour rencontrer les auteurs du coup d’État, réunion à laquelle n'avait pas participé le général Tiani. Elle n'avait pas non plus rencontré Mohamed Bazoum.
Les discussions "ont été extrêmement franches et par moment assez difficiles", avait-t-elle reconnu.
Le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, a lui aussi dit sa préoccupation, exigeant la libération de Mohamed Bazoum et dénonçant "les déplorables conditions dans lesquelles vivraient le président Bazoum et sa famille".
Les Nigériens participent à une marche appelée par les partisans du chef du coup d'État, le général Tiani, à Niamey, au Niger, le 30 juillet 2023. @AP Photo/Sam Mednick.
Les nouveaux maîtres de Niamey considèrent la Cédéao comme une organisation "à la solde" de la France, ancienne puissance coloniale et allié indéfectible du président Bazoum. Il en ont fait leur cible principale depuis qu'ils ont pris le pouvoir.
Mercredi 9 août encore, ils l'ont accusée d'avoir violé dans la matinée l'espace aérien nigérien, fermé depuis dimanche, avec un avion de l'armée française venu du Tchad, et d'avoir "libéré des terroristes". Des accusations aussitôt démenties par la France.