Niger : quel avenir pour la présence militaire française ?

Les putschistes du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP) ont dénoncé, jeudi 3 août, des accords militaires conclus avec la France dont le « stationnement » du détachement français dans le pays. Si pour l’heure, l’application de ces textes n’est pas remise en cause, la présence militaire française sur place apparaît fragilisée. Entretien avec Julien Antouly, chercheur au Centre de droit international de Nanterre (CEDIN).

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Des soldats français débarquent d'un avion cargo C130 de l'US Air Force sur la base de Niamey, au Niger, le 9 juin 2021.

Des soldats français débarquent d'un avion cargo C130 de l'US Air Force sur la base de Niamey, au Niger, le 9 juin 2021.

Jerome Delay (AP)
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TV5MONDE : Quels sont concrètement les accords franco-nigériens dénoncés par les putschistes ?

Julien Antouly, chercheur au Centre de droit international de Nanterre (CEDIN) : Il y a au total cinq accords que les putschistes dénoncent. Ces textes régissent la coopération en matière militaire et de défense entre la France et le Niger. Ils sont de deux types. Le premier est assez ancien puisqu’il date de 1977. Il s’agit de ce qu’on appelle un traité de coopération militaire. C’est une pratique assez courante entre la France et des pays ouest-africains. Il vise notamment à encadrer les activités de coopération de type formation ou échanges de militaires. Par exemple, il y a souvent des militaires nigériens qui viennent des écoles militaires françaises et vice versa. Ce type de traité, qui concerne plutôt la coopération sur le long terme, n’a rien à voir avec les opérations anti-terroristes.

La France prend « note » du communiqué des putschistes

Dans un communiqué lu à la télévision nationale, au soir du jeudi 3 août, les putschistes du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP) ont dénoncé certains accords militaires signés avec la France. Une façon d'annoncer la rupture de la coopération militaire avec Paris.

Certains concernent le « stationnement » du détachement français et le « statut » des militaires présents dans le cadre de la lutte antidjihadiste. « Face à l'attitude désinvolte et la réaction de la France relativement à la situation, le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie décide de dénoncer les accords de coopération dans le domaine de la sécurité et de la défense avec cet État », a fait savoir l’un des militaires. 

Paris a réagi, vendredi 4 août, via son ministère des Affaires étrangères. Elle rappelle que « le cadre juridique de sa coopération avec le Niger en matière de défense repose sur des accords qui ont été conclus avec les autorités nigériennes légitimes. [Ces autorités] sont les seules que la France, comme l'ensemble de la communauté internationale, reconnaît. »
 
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La France prend toutefois « note » du communiqué de la junte. 1.500 soldats français sont actuellement stationnés au Niger dans le cadre de la lutte antiterroriste. 

En revanche, les quatre autres accords pointés du doigt par le CNSP sont davantage liés aux opérations anti-terroristes. Ils sont beaucoup plus récents puisqu’ils remontent à 2013 ou après. Ce sont globalement des accords SOFA (Status of Force Agreement, « Accord sur le statut de la force » en français), très courants dans le monde des relations internationales en matière de coopération militaire. Lorsque, pour diverses raisons, un État positionne des militaires à l’étranger, que ce soit pour combattre ou pour stationner dans des bases, il établit un accord avec le gouvernement du pays d’accueil pour fixer le cadre juridique qui va être applicable à ces militaires.

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Ce protocole peut concerner des clauses assez techniques tels que les conditions de visa ou la reconnaissance du permis de conduire. Il encadre également des aspects beaucoup plus stratégiques comme la liberté de mouvement des soldats ou les règles de juridiction. A titre d’exemple, si un soldat commet une infraction dans le cadre de ces activités militaires, il est souvent prévu qu’il soit jugé non pas par le pays d’accueil mais par celui qui l’a envoyé, en l’occurrence la France. 

TV5MONDE : La dénonciation du « stationnement » du détachement français » peut-elle, à terme, remettre en cause la présence française au Niger ?

Julien Antouly, chercheur au Centre de droit international de Nanterre : Indirectement oui. La présence française au Niger ne repose pas sur une résolution des Nations unies mais sur la demande ou l’invitation du Niger. En dénonçant ces accords, comme le Mali et le Burkina l’ont fait, le CNSP signifie qu’il veut mettre un terme à cette invitation. En ce sens, cela peut avoir un impact important à moyen terme, comme au Mali ou au Burkina Faso, où cela s’est traduit par le départ des forces françaises.

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La décision n’a pas été annoncée officiellement mais la France semble avoir suspendu sa coopération militaire avec les forces armées nigériennes. C’est en tout cas ce qu’a annoncé le CNSP. Bien qu’il soit compliqué pour l’heure de savoir si la décision est avérée et effective ou non, j’imagine mal, au vu des conditions actuelles, les soldats français poursuivre leurs opérations avec leurs homologues nigériens. 

Il est toutefois important de souligner que la dénonciation ne veut pas dire que les accords ne sont plus applicables. Peut-être deviendront-ils caduques par la suite mais pour l’instant, ils sont toujours en vigueur. 

Accepter cette décision reviendrait à reconnaître le CNSP comme l’autorité légitime du pays.
Julien Antouly, chercheur au Centre de droit international de Nanterre 

TV5MONDE : Assiste-t-on à une situation semblable à celles survenues au Mali ou au Burkina Faso ?

Julien Antouly, chercheur au Centre de droit international de Nanterre : Nous ne sommes pas encore dans la même configuration, et ce, pour deux raisons. La première, c’est que ces accords contiennent des dispositions précises concernant le préavis et les délais. Dans le cas du Niger, ils s’étendent d’un à six mois.

Mais surtout, et c’est la très grande différence entre le cas nigérien et ceux du Mali et du Burkina Faso, la France ne reconnaît pas les autorités nigériennes issues du putsch. Paris, comme Washington et une grande partie de la communauté internationale, reconnaît toujours le président Mohamed Bazoum comme seule autorité légitime. Au Mali et au Burkina Faso, la situation était tout autre puisque les putschistes avaient « officiellement » remplacé les anciennes autorités, qui avaient elles-mêmes démissionné. C’est pourquoi, quand Ouagadougou a demandé à ce que les militaires français s’en aillent, Paris a accepté.

Dans le cas nigérien, je ne pense pas que la France avalise cette demande puisque depuis une semaine, elle répète qu’elle ne reconnaît pas le CNSP et ses décisions. Accepter cette décision reviendrait à reconnaître le CNSP comme l’autorité légitime du pays. 

TV5MONDE : Dans le cas où les troupes françaises viendraient à quitter le pays, seraient-elles remplacées par une autre force, à l’instar des cas maliens ou burkinabè ?

Julien Antouly, chercheur au Centre de droit international de Nanterre : La reconnaissance des autorités est une question éminemment politique. Si dans quelques jours, semaines ou mois, pour diverses raisons, la France vient à reconnaître le CNSP, alors oui elle devra accepter toutes ses décisions y compris celle-ci. 

Les putschs au Mali et au Burkina Faso ont été effectués avec une grande célérité, avec la mise en place de nouvelles autorités, d’une charte de la transition, d’un gouvernement etc. On n’est pas du tout dans ce cas de figure au Niger pour le moment. Certains observateurs estiment même que le coup d’État est toujours en cours. Si le CNSP devenait le seul maître à bord, il est certain que la France s’en irait. Quant à savoir si une autre force viendrait la remplacer, il est encore bien trop tôt pour le dire. 

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