Le Cameroun en danger ?
Plus qu’un acte stratégique, la prise de Baga est une manière pour Boko Haram de prouver aux autres pays de la région, et au monde entier qu’il dispose de moyens considérables. "C'est d'abord une démonstration de force, assure Louis Keumayou. Jusque-là, ils étaient confinés dans certaines villes, mais ils ont montré qu'ils avaient la capacité d'aller au-delà".
Peuvent-ils aller encore plus loin ? Peut-être. Et le "grand danger, c’est que Boko Haram prenne la pointe nord du Cameroun", affirme Antoine Glaser. Cette région regroupe trois Etats : l’Adamaoua, le Nord et l’Extrême Nord. Si le pays se retrouvait coupé en deux par Boko Haram, "on serait dans la même situation que la RCA ou le Mali, observe Louis Keumayou. On perd le Nord mais à quel moment le récupère-t-on ?"
Pour Cyril Musila, cette perte de contrôle du territoire s’accompagne d’un autre risque. "Dans la partie nord du Cameroun, l'économie est basée sur la contrebande du pétrole essentiellement venu du Nigeria. Si le pays perd cette partie-là, cela signifie que l'économie de contrebande va s'installer dans la durée, et après, c'est difficile de l’arrêter". Autre conséquence économique : si le Cameroun est identifié comme pays en guerre, "les investissements étrangers vont baisser, remarque Samuel Nguembock. D’ailleurs, on a observé que les investissements directs étrangers au Cameroun ont reculé de 16 % au cours du dernier semestre 2014".
Le Tchad menacé
La pointe nord camerounaise est également très intéressante pour les djihadistes puisqu’elle leur permettrait d’accéder facilement au Tchad. "Toute cette région risque d'être prise par Boko Haram s'ils décident d’y entrer. Cela poserait deux problèmes au Tchad, assure Louis Keumayou. Le premier est celui de l'acheminement de son pétrole vers le sud du Cameroun, au port de Kribi. Le deuxième problème concerne l’accès au port de Douala par lequel le Tchad s'approvisionne. Il faut faire remonter les produits jusqu'à Ndjamena en passant par les trois régions concernées". Si Boko Haram s’empare de cette région camerounaise, cela signifierait que "non seulement son pétrole ne descendrait plus mais ses produits d'importation ne remonterait pas non plus", souligne le journaliste.
L’accès aux ports camerounais est indispensable pour le Tchad. Et aujourd’hui, le danger Boko Haram pèse plus sur le régime d’Idriss Déby que ne l’ont jamais fait les multiples rébellions centrafricaines. Car N’Djamena est à 50 km seulement des fiefs nigérians. Pas question donc pour le président tchadien de se laisser faire. "Face à cette situation qui menace dangereusement la sécurité et la stabilité du Tchad et porte atteinte à ses intérêts vitaux, le gouvernement tchadien ne saurait rester les bras croisés", pouvait-on entendre le 14 janvier dernier. Le lendemain, le président camerounais Paul Biya annonçait l’arrivée d’un "important contingent des forces armées tchadiennes pour venir en appui" au Cameroun, soumis à des raids meurtriers des islamistes. Depuis, chaque jour, des équipes mixtes composées d'éléments des forces de police, de gendarmerie et de la garde nationale nomade tchadienne ciblent un secteur différent de N'Djamena, la capitale.