Nigeria : attaques de Boko Haram, quelles conséquences pour la région ?

Dans une vidéo de 35 minutes, Abubakar Shekau, le chef de Boko Haram, revendique l’attaque meurtrière de Baga, près du lac Tchad (Nigeria), qui a fait plusieurs centaines de morts début janvier. Il menace aussi les pays voisins qui combattent la secte islamiste. Les actions de Boko Haram s'intensifient et menacent fortement toute une région d'Afrique. Décryptage.
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Nigeria : attaques de Boko Haram, quelles conséquences pour la région ?
Rassemblement contre Boko Haram à Paris © AP
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Une vraie machine de guerre. La secte islamiste Boko Haram n’en fini plus de perpétrer des attentats au nord-est du Nigeria. Son insurrection a fait plus de 13 000 morts au Nigeria et 1,5 million de déplacés depuis 2009. 
 
Parmi les récentes attaques, celle de Baga, une localité de l’Etat de Borno, proche du lac Tchad, une région géographiquement très bien placée pour que la secte islamiste élargisse son contrôle territorial. "Compte tenu de l'organisation et de la mobilisation de la sous-région, il est important pour Boko Haram de ratisser plus large, en prenant plus de territoire dans les pays voisins, assure  Samuel Nguembock, chercheur associé à l’Institut de Relations internationales et stratégiques (IRIS). La secte joue sur la faiblesse des armées nationales qui ont du mal à contrôler leurs frontières. Et à partir du moment où elle arrive à avoir le contrôle territorial aux frontières transnationales, cela lui permet de se mouvoir plus facilement et de se repositionner en cas de riposte militaire supérieure à sa logistique et à la ressource humaine qu’elle possède". 
 
Pour Mohamed Bazoum, le ministère nigérien des Affaires étrangères, "l'objectif de Boko Haram, c'est le contrôle du lac Tchad, zone stratégique pour son approvisionnement extérieur en armes et vivres et sa sanctuarisation territoriale." La prise de plusieurs localités dans le bassin du Lac Tchad est également une stratégie commerciale. "Contrôler la région, c’est contrôler un certain nombre de ressources (les pâturages et la pêche) et donc l’économie", souligne Cyril Musila, chercheur associé au programme Afrique subsaharienne de l’IFRI. 
 
Le lac Tchad est une frontière naturelle commune à quatre pays : le Tchad, le Niger, le Nigeria et le Cameroun. Ces derniers commercent habituellement entre eux. Mais depuis que Boko Haram occupe cet espace, ils "bloquent en quelque sorte le commerce qui pourrait se faire entre les populations riveraines", note Louis Keumayou, journaliste et président du Club d’Information Africaine. Un constat partagé par Samuel Nguembock : "Si Boko Haram occupe les espaces transfrontaliers, les pays de la région ne peuvent plus échanger. Les lignes d'approvisionnement sont occupées. La ville N’Djamena est très dépendante des approvisionnements provenant du Nigeria. Mais depuis que la secte contrôle le nord du Nigeria, plus rien ne passe par cette région".

Le Cameroun en danger ? 
 
Plus qu’un acte stratégique, la prise de Baga est une manière pour Boko Haram de prouver aux autres pays de la région, et au monde entier qu’il dispose de moyens considérables. "C'est d'abord une démonstration de force, assure Louis Keumayou. Jusque-là, ils étaient confinés dans certaines villes, mais ils ont montré qu'ils avaient la capacité d'aller au-delà".
 
Peuvent-ils aller encore plus loin ? Peut-être. Et le "grand danger, c’est que Boko Haram prenne la pointe nord du Cameroun", affirme Antoine Glaser. Cette région regroupe trois Etats : l’Adamaoua, le Nord et l’Extrême Nord. Si le pays se retrouvait coupé en deux par Boko Haram, "on serait dans la même situation que la RCA ou le Mali, observe Louis Keumayou. On perd le Nord mais à quel moment le récupère-t-on ?"
 
Pour Cyril Musila, cette perte de contrôle du territoire s’accompagne d’un autre risque. "Dans la partie nord du Cameroun, l'économie est basée sur la contrebande du pétrole essentiellement venu du Nigeria. Si le pays perd cette partie-là, cela signifie que l'économie de contrebande va s'installer dans la durée, et après, c'est difficile de l’arrêter". Autre conséquence économique : si le Cameroun est identifié comme pays en guerre, "les investissements étrangers vont baisser, remarque Samuel Nguembock. D’ailleurs, on a observé que les investissements directs étrangers au Cameroun ont reculé de 16 % au cours du dernier semestre 2014". 

 
Le Tchad menacé 
 
La pointe nord camerounaise est également très intéressante pour les djihadistes puisqu’elle leur permettrait d’accéder facilement au Tchad. "Toute cette région risque d'être prise par Boko Haram s'ils décident d’y entrer. Cela poserait deux problèmes au Tchad, assure Louis Keumayou. Le premier est celui de l'acheminement de son pétrole vers le sud du Cameroun, au port de Kribi. Le deuxième problème concerne l’accès au port de Douala par lequel le Tchad s'approvisionne. Il faut faire remonter les produits jusqu'à Ndjamena en passant par les trois régions concernées". Si Boko Haram s’empare de cette région camerounaise, cela signifierait que "non seulement son pétrole ne descendrait plus mais ses produits d'importation ne remonterait pas non plus", souligne le journaliste. 
 
L’accès aux ports camerounais est indispensable pour le Tchad. Et aujourd’hui, le danger Boko Haram pèse plus sur le régime d’Idriss Déby que ne l’ont jamais fait les multiples rébellions centrafricaines. Car N’Djamena est à 50 km seulement des fiefs nigérians. Pas question donc pour le président tchadien de se laisser faire. "Face à cette situation qui menace dangereusement la sécurité et la stabilité du Tchad et porte atteinte à ses intérêts vitaux, le gouvernement tchadien ne saurait rester les bras croisés", pouvait-on entendre le 14 janvier dernier. Le lendemain, le président camerounais Paul Biya annonçait l’arrivée d’un "important contingent des forces armées tchadiennes pour venir en appui" au Cameroun, soumis à des raids meurtriers des islamistes. Depuis, chaque jour, des équipes mixtes composées d'éléments des forces de police, de gendarmerie et de la garde nationale nomade tchadienne ciblent un secteur différent de N'Djamena, la capitale. 

Le Niger peu impacté 
 
Le Niger a, lui aussi, déployé un important dispositif militaire dans la zone menacée. Pour plusieurs observateurs, les attaques de Boko Haram et le contrôle de la région du lac Tchad n’ont pas d’incidences directes sur le pays. D’un point de vue militaire, "l’opération française Barkhane est actuellement en place et les Américains ont une base dans ce pays, ce qui leur permet d’espionner via des drones. Les contingents français et américains verraient venir les islamistes de Boko Haram", assure Louis Keumayou. 
 
Le risque le plus important pour le Niger est sans doute "les possibles connexions de Boko Haram avec les velléités séparatistes touaregs par exemple", confie Cyril Musila. Mais un assaut transfrontalier de Boko Haram serait potentiellement très déstabilisateur pour ce pays extrêmement pauvre, à la démographie galopante, et qui connaît actuellement de fortes tensions politiques. 
 
Mobilisation régionale 
 
"Boko Haram constitue une menace non seulement pour le Nigeria et la région, mais également pour l’ensemble du continent. La situation requiert de la part de l’Afrique, des efforts collectifs plus soutenus", a déclaré la présidente de la Commission de l’Union Africaine (UA). A Niamey, le 19 janvier dernier, 13 représentants de pays africains et non africains se sont réunis pour évoquer la mise en place d’une force mixte multinationale efficace pour lutter contre Boko Haram. Les participants ont également décidé de transférer le commandement de la force du Nigeria au Tchad pour tenter d'accélérer son déploiement opérationnel dans la zone du lac Tchad. 
 
Pour faire face à la menace de Boko Haram, un possible "renforcement d'un soutien international" sera évoqué lors du 24ème sommet des chefs d'Etat de l'UA, qui aura lieu les 30 et 31 janvier prochains à Addis Abeba, en Ethiopie. Mais le Nigeria ne semble pas prêt à accepter toutes les solutions pour venir à bout des islamistes. Le conseiller national à la sécurité du Nigeria ne juge pas nécessaire la formation d'une force soutenue par l'Union Africaine ou l'ONU pour combattre Boko Haram, estimant que son pays et ses partenaires régionaux pouvaient parfaitement faire face à la menace grandissante des djihadistes.